Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 En Russie, les
Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 En Russie, les journalistes sur le front de l’information PAR JULIAN COLLING ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 28 MARS 2022 À la rédaction du journal « Novaya Gazeta », qui a annoncé lundi 28 mars 2022 suspendre sa publication. © Photo Julian Colling / Mediapart L’intervention en Ukraine a chamboulé la vie de nombreux journalistes russes, qu’ils soient partis ou restés en Russie. Des fêlures ont même commencé à apparaître au sein de la machine de communication de l’État, qui a fait face à une vague de démissions. Moscou (Russie).– L’image de Marina Ovsïannikova, déboulant sur son propre plateau pendant le très suivi journal du soir de la première chaîne russe, a fait le tour du monde. Mais au-delà de ce coup d’éclat, d’autres signaux plus faibles sont venus souligner le lourd cas de conscience des journalistes travaillant pour les médias pro-gouvernementaux en Russie. Certains ont décidé de quitter eux aussi leurs écuries. Au sein de la chaîne NTV, jadis unique télévision indépendante pendant les années 1990, puis mise sous cloche entre 2001 et 2004, après l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, la présentatrice Lilia Gildeïeva a démissionné après seize années de loyaux services. Non sans se réfugier à l’étranger au préalable, par souci de sécurité. Le reporter chevronné Vadim Glousker, en poste depuis vingt-huit ans, est lui aussi parti. Plusieurs sources font état de départs chez Rossiya 1, la deuxième chaîne du pays - notamment à la production du programme phare Vesti – et au sein du conglomérat de télévision et radio publique dont elle fait partie. L’agence de presse d’État Tass, réputée la plus sérieuse, a également dû essuyer plus de départs depuis le 24 février qu’en plusieurs années d’activité. Des salariés étrangers ont aussi quitté l’entreprise. Enfin, au sein du vaisseau-amiral Perviy Kanal, pour lequel travaillait Marina Ovsïannikova, la correspondante à Paris, Janna Agalakova, a elle aussi claqué la porte. Avec l’aide de l’ONG Reporters sans frontières, elle a publiquement livré l’envers du décor de sa démission. « Ce n’était plus possible pour moi d’appeler ce qu’il se passe en Ukraine “opération pacifique”, a-t-elle notamment déclaré. Tout en appelant à comprendre les dilemmes de nombreux confrères: « C’est facile de les accuser, de demander pourquoi ils ne protestent pas, mais ils ont des familles, des parents âgés, des enfants, des maisons à payer… Ils sont otages de la situation. » À la rédaction du journal « Novaya Gazeta ». © Photo Julian Colling / Mediapart Selon diverses sources russes, l’ambiance serait globalement devenu délétère au sein des médias pro- pouvoir, de nombreux salariés ayant de la famille en Ukraine ou des proches servant dans l’armée russe. D’autres corporations étatiques ont été touchées : deux producteurs ont quitté par exemple Gazprom Media – qui détient NTV et détenait Écho de Moscou, la vénérable radio libérale qui vient d’être interdite par les autorités. Même le géant numérique Yandex a vu plusieurs haut gradés quitter le navire par choix moral. Son directeur général Tigran Khoudaverdian s’est quant à lui retiré pour cause de sanctions occidentales contre sa personne. Pendant ce temps, la télévision d’État poursuit son travail de sape, en montrant comme ci-dessous sur Perviy Kanal la destruction affolante de Marioupol, mais en expliquant que c’est l’œuvre des nationalistes ukrainiens, qui pratiqueraient la politique de la terre brûlée en quittant les lieux. Les sources et la nature de l’information autour de l’opération militaire que reçoit la population russe sont devenus des enjeux vitaux. Les autorités l’ont bien compris. En dehors des capitales culturelles, Moscou Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 et Saint-Pétersbourg, dans les régions, les populations - plus âgées notamment - se reposent davantage sur la seule télévision gouvernementale pour s’informer et garder un lien avec l’extérieur. Son influence reste considérable, d’où une vision des événements radicalement différente. Résistants de l’info Plusieurs études récentes font état d’un bon de popularité de Vladimir Poutine (à 70 %). Une majorité de Russes dit soutenir (ou du moins accepter) l’intervention russe et entretient une opinion négative de l’Ukraine. Parallèlement, l’écrasante majorité des médias indépendants russes ont été interdits, leurs sites bloqués, comme ceux de nombreux médias étrangers. Des centaines de journalistes russes ont fui le pays ; d’autres ont décidé coûte que coûte de rester et de continuer à informer tant bien que mal. « Même si je m’y attendais un peu, la vitesse de la répression sur les médias et la fermeture d’Écho m’ont tout de même choqué », confie Tatiana Felgenhauer, 37 ans, figure bien connue de l’auditorat libéral au micro d’Écho de Moscou, où elle a officié pendant dix-huit ans avant sa dissolution. En 2017, elle était poignardée dans son studio par un déséquilibré, juste après un reportage de Rossiya 1 présentant la radio comme un agent nuisible à la Russie. « Mais pour autant, je n’ai pas du tout envie de partir. Ceci est mon pays, je suis une journaliste russe… malheureusement! Pour l’Ouest, je ne suis pas la bienvenue, car je suis Russe. Et pour les autorités de mon pays, je suis aussi une ennemie. Ma place est donc ici. Un seul homme a décidé de tout détruire, pour l’Ukraine, la Russie, le monde. Je ne peux pas l’accepter et je continuerai à dire la vérité, à essayer d’arrêter cette folie. C’est mon devoir. » Tatiana Felgenhauer, ancienne de la radio Écho de Moscou. © Photo Julian Colling / Mediapart À l’image de très nombreux confrères indépendants, la jeune femme s’est lancée en solo sur YouTube, où elle interviewe le gratin des personnalités opposées au Kremlin et à son «opération spéciale». Elle vient de couvrir le nouveau procès d’Alexeï Navalny, tout juste condamné à neuf ans supplémentaires de prison, pour le compte du site indépendant Mediazona. Son cofondateur Sergueï Smirnov a lui émigré en Lettonie. Le 4 mars dernier, une nouvelle loi liberticide était adoptée, visant à désormais criminaliser la diffusion d’informations non-conformes au sujet de l’opération. Un journaliste très populaire de Saint-Pétersbourg, l’ancien député Alexander Nevzorov, vient d’être le premier à voir une enquête criminelle ouverte contre lui pour ce motif, un précédent inquiétant. Il avait publié un article sur les bombardements à Marioupol, et se trouverait déjà à l’étranger. Le prestigieux journal Novaya Gazeta, mené par son rédacteur en chef et récent prix Nobel de la Paix Dmitri Mouratov, représente les « Derniers des Mohicans » de la presse indépendante à Moscou. Malgré les risques, le journal avait décidé, jusqu'au 28 mars, de continuer ses opérations depuis la capitale russe, en se conformant à la nouvelle législation. Dans un tweet, il a annoncé lundi, en début d'après-midi, suspendre sa publication, sur les réseaux comme sur papier, après un nouvel avertissement de Roskomnadzor (le Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l'information et des médias de masse). Et ce « jusqu'à la fin de “l'opération spéciale sur le territoire de l'Ukraine” », précise la rédaction. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 Une valeureuse reporter avait signé, le 12 mars, un retentissant et terrible reportage sur le sort de la ville de Mykolaïv. Sur d’autres pages, la rédaction imprimait simplement des pages blanches avec l’inscription « pas de mots », à la place de ce qui devrait être une couverture précise des actions russes en Ukraine. Des membres (plutôt jeunes) de la rédaction ont aussi quitté le pays. « Évidemment, c’est dur pour nous de devoir suivre cette loi, qui signifie un peu la fin du vrai journalisme en Russie, disait Nadejda Proussenkova, membre du directoire de la Novaya Gazeta, avant l'annonce de la suspension. Mais le simple fait que nous soyons encore debout nous pousse à continuer jusqu’au bout, pour nos lecteurs qui font l’effort d’essayer de savoir ce qui se passe vraiment. » Tatiana Felgenhauer, ancienne d’Écho de Moscou Continuer à travailler en Russie actuellement est tout sauf une gageure. « Je n’avais jamais connu de problèmes nerveux auparavant, aujourd’hui je n’arrive plus à trouver la tranquillité, je dors mal, je fais des cauchemars, raconte le jeune journaliste Ivan Jiline. Tous les journalistes russes, restés ici ou exilés, sont absolument épuisés. Mais je suis très fier du choix de mon journal de continuer coûte que coûte. » La très respectée spécialiste de politique extérieure du journal centriste Kommersant, Elena Chernenko, s’est elle vue retirer son accréditation au ministère des affaires étrangères pour avoir lancé une lettre ouverte dénonçant l’intervention en Ukraine. Depuis, des dizaines de ses connaissances ont fui le pays. Elle- même accuse le coup, mais garde courage. « Je plaisante que je serai la dernière à quitter le Titanic, rit-elle au téléphone. Personnellement, c’est très dur pour moi car même en tant que“spécialiste”, je n’avais pas du tout vu arriver cette attaque. Depuis, une censure de type militaire s’est abattue. Tout ceci est injuste car il existait un vrai espace, certes restreint, de presse libre en Russie. Une diversité des sources. C’est terminé. Regardez Alexeï Venediktov[l’un des co-fondateurs d’Écho de Moscou – ndlr], le uploads/Finance/ article-1020958.pdf
Documents similaires









-
39
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 14, 2022
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 0.0664MB