VENDREDI 22 JANVIER 2016 LE TEMPS AMANDA CASTILLO Qui n’a pas vécu cette expé-
VENDREDI 22 JANVIER 2016 LE TEMPS AMANDA CASTILLO Qui n’a pas vécu cette expé- rience: devant notre ordinateur, nous commençons à travailler mais une envie soudaine de consulter la météo sur notre télé- phone, d’organiser nos prochaines vacances, de sortir acheter du pain ou de faire le ménage nous prend. Terminer la tâche que nous avions commencée n’est, d’un seul coup, plus la priorité numéro un de notre cerveau. Tout va si vite que nous sommes déjà perdus dans les méandres de nos pensées ou dans une autre action, avant même de nous être rendu compte que nous n’étions plus en train de travailler. Certains se parlent alors à eux-mêmes pour se forcer à être attentifs (le fameux «concentre-toi!»). Pourtant, se fustiger est aussi utile que traiter sa voiture de tas de ferraille lors- qu’elle peine à avancer. De l’avis des neurologues il est bien plus efficace, pour résoudre un pro- blème, d’en comprendre l’origine précise. Que se passe-t-il donc dans notre cerveau? Vie mentale encombrée Dans son livre Le Cerveau funam- bule, Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche en neuros- ciences cognitives à l’Inserm de Lyon, nomme PAM – pour Propo- sitions d’Actions iMmédiates, mais aussi parce qu’elles s’appa- rentent aux spams qui saturent nos messageries électroniques – ces petites sonnettes d’alarmes qui encombrent sans cesse notre vie mentale et nous intiment l’ordre d’interrompre notre acti- vité pour passer à autre chose. Notre cerveau, explique-t-il, est sans cesse confronté au dilemme suivant: dois-je continuer de faire ce que je suis en train de faire ou passer à autre chose? Pour résoudre ce problème, il utilise un système de neurones sentinelles. Celles-ci évaluent «constamment et automatique- ment l’intérêt de tout ce que nous faisons, pensons, ou percevons, en fonction des risques encourus ou des bénéfices immédiatement escomptés», étant précisé que ces neurones ont auparavant enregis- tré dans leur mémoire ce que nous avons déjà ressenti chaque fois que nous avons failli, par exemple, ne pas rendre un rapport à temps ou interrompu notre travail pour une activité plus agréable. Cette mémoire leur permet d’anticiper ce que nous allons ressentir, selon le principe que les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets. «Notre amygdale participe au sentiment d’angoisse déclen- ché par la perspective de ne pas rendre un rapport à temps, et le fameux circuit de récompense anticipe le plaisir d’interrompre son travail pour lire le journal ou boire un délicieux cappuccino», résume Jean-Philippe Lachaux. Hiérarchiser les priorités Aidés par notre circuit de récom- pense, il nous est naturellement plus facile de nous concentrer sur une activité qui nous passionne. Mais lorsque le travail devient rébarbatif ou lorsque notre inten- tion est mal définie ou faible – c’est-à-dire lorsque nous ne hié- rarchisons pas nos priorités – il est très facile de se laisser dis- traire par une pensée amusante, une envie soudaine ou un souci (peut-être êtes-vous en train de penser en ce moment même au nombre d’e-mails urgents qui s’ac- cumulent dans votre messagerie pendant que vous lisez cet article?). Aussi est-il indispensable, pour une bonne concentration, de juger l’activité en cours comme tempo- rairement plus importante que les autres. Nous y parvenons parfois, lorsqu’un objectif urgent prend le dessus pour guider sans hésita- tion l’action et l’attention. Le jour- naliste soumis à un délai de remise d’article serré parvient non seu- lement à s’extraire mentalement de la salle de rédaction bruyante pour se focaliser sur son papier mais résiste aussi à la tentation d’interrompre son travail pour jeter un coup d’œil sur Facebook. Mais sans contrainte de temps pour nous obliger à terminer la tâche commencée, comment atteindre ce que le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi nomme l’état de «flow», cet état attentionnel optimal où tout paraît facile et où nous évoluons sans effort ni crispation dans une certaine plénitude? «Puisque notre concentration s’envole sous l’effet des PAM, commençons par les remarquer avant qu’elles aient le temps de captiver l’attention», conseille Jean-Philippe Lachaux. Prononcer mentalement le mot «PAM» lorsque survient une pen- sée parasite permet d’atténuer son effet distracteur. «C’est une manière de reconnaître qu’une captivation de notre attention est sur le point de se produire, et d’in- troduire une petite pause dans ce processus. Cette pause, aussi courte soit-elle, laisse le temps à notre système stratégique d’éva- luer l’importance réelle de cette alerte.» Dessiner une petite croix sur un papier chaque fois que l’on se déconcentre est une alterna- tive. Autre astuce: passer à un mode «fractionné». En effet, fragmenter les longues tâches complexes en petites missions simples (lire un paragraphe ou un e-mail, aligner cinq idées par écrit, trouver une adresse, etc.) de quelques minutes – l’expérience montre qu’au-delà de cette durée les PAM ressur- gissent – aide à rester concentré. «C’est un moyen de réussir régu- lièrement tout ce que l’on entre- prend et stimuler ainsi le circuit de récompense, [ce qui maintient] notre motivation tout au long de la mission», note Jean-Philippe Lachaux. Car les mini-missions nous donnent la satisfaction d’avoir «coché une case» – le fameux «ça, c’est fait» – sur la longue liste «to do», étant précisé que le circuit de récompense est plus sensible à des petites récom- penses fréquentes que l’on est sûr d’obtenir qu’à des récompenses plus importantes mais lointaines et incertaines. Eliminer autant que possible les sources de distractions externes peut également aider la concen- tration. «Avec moins de monde autour de vous et moins d’objets encombrants sur votre bureau, vous réduisez les risques de cap- ture réflexe de votre attention par ceux-ci», analyse Jean-Philippe Lachaux. Certains installent des programmes sur leur ordinateur qui masquent de l’écran les élé- ments susceptibles de dévier leur attention. A cet égard, les e-mails constituent une source perma- nente d’interruption. Définir à l’avance des moments dédiés à leur lecture incite à sortir d’un mode de réaction permanente pour un mode plus planifié. Une position confortable est aussi essentielle, les signaux d’incon- fort provenant du corps étant des sources de distraction. Silence déconseillé Les experts déconseillent en outre le silence, car il laisse le cor- tex auditif libre de développer ces petites paroles internes que l’on appelle la «petite voix». C’est pour- quoi une musique légère, ou le bruit de fond d’un tea-room, peut parfois faciliter la concentration. Si le bavardage mental ne diminue pas, écrire ses tracas permet d’éloigner les pensées parasites, notre cerveau ne sentant plus le besoin impérieux de les garder en mémoire. Enfin, au-delà des innombrables trucs et astuces, la pratique de la méditation reste, selon de nom- breux experts, le moyen le plus sûr pour devenir maître de son atten- tion. n MANAGEMENT La concentration est une des clés de la réussite. Mais comment ne pas se laisser distraire par ces petites pensées qui détournent sans cesse notre attention de l’activité du moment? Lorsque le travail devient rébarbatif, il est très facile de se laisser distraire par une pensée amusante, une envie soudaine ou un souci. (THOMAS BARWICK/GETTY IMAGES) Devenir maître de son attention s’apprend Pour une bonne concentration, il est indispensable de juger l’activité en cours comme temporairement plus importante que les autres Quel roi est sans faiblesse? Mais l’homme nu est-il toujours un roi? Dans une relation managériale, est-il oppor- tun de montrer des signes de faiblesse? Est-il bénéfique de reconnaître ses erreurs, avouer ses domaines d’incom- pétence, s’autoriser à poser des ques- tions candides, faire état de son igno- rance, montrer ses émotions, ou afficher tout autre signe de non-totipotence? Le cri du cœur de notre âme d’enfant irait sans doute vers l’affirmation inconditionnelle de l’authenticité. Mais avec l’expérience des relations professionnelles, l’on apprend égale- ment à ne pas tendre le bâton pour se faire battre. Ainsi, pour ceux qui auraient envie d’écouter leur petite voix intérieure qui les exhorte à rester eux-mêmes, mieux vaut faire preuve de pragma- tisme et évaluer l’effet de l’authenticité dans les relations, avant de s’y adonner de manière absolue. Que dit la science à ce sujet? Oh, Dieu! Bien des choses, en somme. Evidemment contradic- toires. Les recherches s’intéressant aux apparences et aux catégorisations montrent le poids écrasant des signaux défavorables dans les relations sociales. En gros, tout ce qui n’est pas signe de force est signe de faiblesse et tout signe de faiblesse conduit à des pénalités en termes de confiance et de valeur accordée, de crédibilité, de suc- cès. Ne pas montrer la moindre faille Ainsi, en cas de superficialité, il est fortement déconseillé de montrer la moindre faille. Au mieux, l’authenti- cité est-elle ici la meilleure défense des gens qui ne sont pas armés pour mon- trer leur force. Tout dépend également de la concep- tion que l’on a du management: est-ce dompter les foules, ou gérer les équipes? Le leader est décrit comme une personne dont la force est de s’avouer sa faiblesse. Mais il n’est sug- géré nulle part de pousser l’authenti- cité jusqu’à en informer autrui. En revanche, la recherche dit que les équipes les plus performantes sont celles où les membres du groupe com- muniquent beaucoup (y compris pour poser des questions stupides), uploads/Finance/ concentration-le-temps.pdf
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- Publié le Jul 05, 2022
- Catégorie Business / Finance
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