DU COMMISSARIAT AUX COMPTES À L'AUDIT Les BIG 4 et la profession comptable depu
DU COMMISSARIAT AUX COMPTES À L'AUDIT Les BIG 4 et la profession comptable depuis 1970 Carlos Ramirez Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales » 2003/1 n° 146-147 | pages 62 à 79 ISSN 0335-5322 ISBN 202057344X DOI 10.3917/arss.146.0062 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences- sociales-2003-1-page-62.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Leur implication dans des scandales finan- ciers n’est pourtant pas chose nouvelle : ainsi la célèbre affaire McKesson & Robbins qui éclata aux États-Unis en 1938 et vit la mise en cause du cabinet Price Waterhouse conduisit-elle à la création des pre- mières normes professionnelles, dont le respect était censé garantir la qualité du travail de l’auditeur. Mais, comme le souligne Michael Power dans son livre The Audit Society1, les scandales qui ont écla- boussé par la suite la profession comptable améri- caine ou britannique se sont toujours soldés par un renforcement de ces normes, élaborées et appliquées par les professionnels eux-mêmes, plutôt que par une réflexion sur le processus d’audit et sur le rôle de ses spécialistes. La disparition d’Arthur Andersen marque à ce titre un tournant. Elle annonce une remise en question profonde de la double nature, à la fois professionnelle et commerciale, du mode de fonctionnement des conglomérats multinationaux de l’audit et du conseil que sont les Big 4 2 et, plus géné- ralement, une remise en cause des privilèges de la self-regulation dont jouissaient jusque-là les profes- sionnels comptables libéraux. La volonté de mettre fin aux dérives occasionnées par le manque d’indé- pendance d’auditeurs, à la fois au service de leurs clients et censeurs des comptes de ces derniers, et la volonté de renforcer la surveillance des profession- nels par les autorités publiques semblent être en effet les traits dominants des lois récemment votées, comme le Sarbannes-Oxley Act aux États-Unis, ou en passe de l’être, comme la loi sur la sécurité financière en France. Ces textes de loi ne sont pas sans ambiguïté car s’ils ont pour but de résoudre des problèmes créés essen- tiellement par l’activité d’acteurs économiques glo- baux, ils doivent, pour ce qui est des professionnels de la comptabilité, tenir compte de l’appartenance de ces acteurs à des professions nationales dont le mode de développement a été très différent d’un pays à l’autre. En prétendant réformer la profession comp- table dans son ensemble, ils ne font en fait que mettre en évidence la fracture qui sépare le monde des grands cabinets multinationaux de celui des autres membres de la profession. Il est ainsi tout à fait signi- ficatif de voir comment les dirigeants des organismes professionnels français se récrient actuellement contre l’amalgame fait entre la profession et certains de ses cabinets tout en prônant, par l’entremise de René Ricol, président de l’IFAC (International Federation of Accountants), qui avait été successivement en France à la tête de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et de l’Ordre des experts-comptables, «la fin de l’autorégulation»3. Il est tout aussi signifi- catif de voir comment les représentants français des Big 4 sont en train de monter une opposition ouverte aux dispositions du projet de loi sur la sécurité finan- cière visant à limiter strictement les prestations que Carlos Ramirez Du commissariat aux comptes à l’audit LES BIG 4 ET LA PROFESSION COMPTABLE DEPUIS 1970 62 1 – M. Power, The Audit Society : Rituals of Verification, Oxford, Cla- rendon Press, 1997. 2 – Les grands cabinets multinationaux de la profession comptable, les Big 4, dont nous reprendrons ici pour les désigner l’appellation de « Big » qui est la leur dans les milieux professionnels, sont Price Waterhouse Coopers, KPMG, Deloitte Touche Tohmatsu et Ernst & Young. Le terme de Big est apparu à la fin des années 1960 pour dési- gner les dix premiers cabinets (par le chiffre d’affaires et les effectifs) des classements professionnels américains. À la suite de fusions suc- cessives entre membres de cette catégorie, les Big ont vu leur nombre se réduire à huit puis six au milieu des années 1980. En 1998, la fusion entre Price Waterhouse et Coopers & Lybrand a donné nais- sance aux Big 5. 3 – « La profession des commissaires aux comptes fait son mea culpa », Le Monde, 23 novembre 2002. © Le Seuil | Téléchargé le 09/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.238.108.210) © Le Seuil | Téléchargé le 09/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.238.108.210) peuvent fournir les auditeurs accessoirement à leur mission principale4. Les débats qui font rage dans la profession sur les vices et les vertus des auditeurs seraient difficilement compréhensibles sans la mise en perspective des dif- férentes traditions professionnelles qu’incarnent les participants à ces débats. Les cabinets multinationaux sont d’abord le produit d’un modèle professionnel spécifique qui est né et a prospéré dans le monde anglo-saxon. L’exportation de ce modèle, à la faveur de la mondialisation des marchés financiers, dans des pays marqués par une distribution des rôles différente entre les acteurs du jeu économique, n’a pas été sans problèmes. Cet article analyse ainsi les transforma- tions du champ de la profession comptable libérale qu’a opérées en France le développement des grands cabinets multinationaux pendant les trente dernières années. Par modèle, on entend ici non seulement une forme historique particulière de constitution et de fonctionnement d’un corps professionnel – le profes- sional project des sociologues néo-wébériens des pro- fessions5 –, mais également les formes de l’exercice qui contribuent à ordonner hiérarchiquement le champ professionnel. Ces formes renvoient non seu- lement à des distinctions liées à l’origine sociale des praticiens ou à leur capital scolaire mais également au type de clientèle et au contenu technique du travail d’expertise ainsi qu’à son organisation. On peut, bien entendu, constater une homologie entre le champ des professionnels et celui des clients, avec, dans le cas des comptables, une distinction tranchée entre le monde de la grande entreprise et celui de la PME. Par ailleurs, le modèle des grands cabinets anglo-améri- cains et celui du commissaire aux comptes français de sociétés cotées peuvent tout aussi bien être envisagés à des époques différentes et au sein, chacun, d’un projet professionnel comme des modèles d’excellence professionnelle. Cependant, il faut également remar- quer que, depuis une trentaine d’années, l’histoire de la comptabilité libérale française est essentiellement celle de la confrontation d’un modèle professionnel qui donne la primauté à l’individu et d’un modèle qui, conjuguant taille et prestige, a placé au sommet de la profession des organisations devenues aujour- d’hui de véritables entreprises multinationales6. La consécration des Big ne doit pourtant pas laisser croire que le modèle anglo-saxon s’est imposé grâce à la seule vertu de sa plus grande valeur «marchande», ou que la comptabilité française a fini par être vain- cue par la comptabilité anglo-saxonne7. L’utilisation de la notion de modèle professionnel (en tant qu’objet pour le chercheur et en tant que but à atteindre ou, au contraire, en tant que repoussoir pour les profes- sionnels) permettra justement d’expliquer comment le champ de la comptabilité libérale en France s’est trouvé réordonné par le développement des grands cabinets anglo-saxons sur le marché des services aux entreprises, ainsi que par l’institutionnalisation de leur domination sur la profession française. Les « 20 ans de retard » du modèle professionnel français Il est difficile de situer les grands cabinets internatio- naux par rapport à un modèle professionnel national. Les études sont d’ailleurs nombreuses qui constatent la survivance de comportements «nationaux» par-delà la systématisation des méthodes de travail et de recrute- ment8. Ces organisations «globales» se sont pourtant d’abord épanouies dans un contexte socio-économique spécifique. Si c’est aux États-Unis que l’on pense quand il s’agit de grands cabinets d’avocats d’affaires9, l’origine des Big 4 est davantage à chercher du côté de la profession comptable britannique. Les grands cabi- nets anglo-américains sont en effet tous nés outre- Manche, sauf Arthur Andersen, disparu récemment dans la tourmente qui a suivi le scandale Enron et qui est longtemps passé pour «le plus petit des Big10». Il est donc possible, tout en reconnaissant le uploads/Finance/du-commissariat-aux-comptes-a-l-x27-audit.pdf
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- Publié le Mai 15, 2022
- Catégorie Business / Finance
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