Un mouvement littéraire et culturel, Voltaire & les Lumières TEXTE 1- VOLTAIRE,

Un mouvement littéraire et culturel, Voltaire & les Lumières TEXTE 1- VOLTAIRE, article « gens de lettres », in Encyclopédie (1751-1765) Gens de Lettres, (Philosophie & Littérat.) ce mot répond précisément à celui de grammairiens: chez les Grecs & les Romains: on entendoit par grammairien, non - seulement un homme versé dans la Grammaire proprement dite, qui est la base de toutes les connoissances, mais un homme qui n'étoit pas étranger dans la Géométrie, dans la Philosophie, dans l'Histoire générale & particulière; qui sut - tout faisoit son étude de la Poésie & de l'Eloquence: c'est ce que sont nos gens de lettres aujourd'hui. On ne donne point ce nom à un homme qui avec peu de connoissances ne cultive qu'un seul genre. Celui qui n'ayant lû que des romans ne fera que des romans; celui qui sans aucune littérature aura composé au hasard quelques pièces de théatre, qui dépourvû de science aura fait quelques sermons, ne sera pas compté parmi les gens de lettres. Ce titre a de nos jours encore plus d'étendue que le mot grammairien n'en avoit chez les Grecs & chez les Latins. Les Grecs se contentoient de leur langue; les Romains n'apprenoient que le grec: aujourd'hui l'homme de lettres ajoûte souvent à l'étude du grec & du latin celle de l'italien, de l'espagnol, & sur - tout de l'anglois. La carrière de l'Histoire est cent fois plus immense qu'elle ne l'étoit pour les anciens; & l'Histoire naturelle s'est accrûe à proportion de celle des peuples: on n'exige pas qu'un homme de lettres approfondisse toutes ces matières; la science universelle n'est plus à la portée de l'homme: mais les véritables gens de lettres se mettent en état de porter leurs pas dans ces différens terrains, s'ils ne peuvent les cultiver tous. Autrefois dans le seizième siècle, & bien avant dans le dix - septième, les littérateurs s'occupoient beaucoup de la critique grammaticale des auteurs grecs & latins; & c'est à leurs travaux que nous devons les dictionnaires, les éditions correctes, les commentaires des chefs d'oeuvres de l'antiquité; aujourd'hui cette critique est moins nécessaire, & l'esprit philosophique lui a succédé. C'est cet esprit philosophique qui semble constituer le caractère de gens de lettres; & quand il se joint au bon goût, il forme un littérateur accompli. C'est un des grands avantages de notre siècle, que ce nombre d'hommes instruits qui passent des épines des Mathématiques aux fleurs de la Poésie, & qui jugent également bien d'un livre de Métaphysique & d'une pièce de théâtre: l'esprit du siècle les a rendus pour la plupart aussi propres pour le monde que pour le cabinet; & c'est en quoi ils sont fort supérieurs à ceux des siècles précédens. Ils furent écartés de la société jusqu'au temps de Balzac & de Voiture; ils en ont fait depuis une partie devenue nécessaire. Cette raison approfondie & épurée que plusieurs ont répandue dans leurs écrits & dans leurs conversations, a contribué beaucoup à instruire & à polir la nation: leur critique ne s'est plus consumée sur des mots grecs & latins; mais appuyée d'une saine philosophie, elle a détruit tous les préjugés dont la société étoit infectée; prédictions des astrologues, divinations des magiciens, sortilèges de toute espèce, faux prodiges, faux merveilleux, usages superstitieux; elle a relégué dans les écoles mille disputes puériles qui étoient autrefois dangereuses & qu'ils ont rendues méprisables: par - là ils ont en effet servi l'état. On est quelquefois étonné que ce qui boulversoit autrefois le monde, ne le trouble plus aujourd'hui; c'est aux véritables gens de lettres qu'on en est redevable. (...) TEXTE 2- VOLTAIRE, lettre à M. Le comte d'Argental (1762) Ferney, le 27 mars 1762 Vous me demanderez peut-être, mes divins anges, pourquoi je m'intéresse si fort à ce Calas, qu'on a roué ; c'est que je suis homme, c'est que je vois tous les étrangers indignés, c'est que vos officiers suisses protestants disent qu'ils ne combattront pas de grand cœur pour une nation qui fait rouer leurs frères sans aucune preuve. Je me suis trompé sur le nombre des juges, dans ma lettre à Monsieur de la Marche. Ils étaient treize, cinq ont constamment déclaré Calas innocent. S'il avait eu une voix de plus en sa faveur, il était absous. À quoi tient donc la vie des hommes ? À quoi tiennent les plus horribles supplices ? Quoi parce qu'il ne s'est pas trouvé un sixième juge raisonnable, on aura fait rouer un père de famille ! On l'aura accusé d'avoir pendu son propre fils, tandis que ses quatre autres enfants crient qu'il était le meilleur des pères ! Le témoignage de la conscience de cet infortuné ne prévaut-il pas sur l'illusion de huit juges, animés par une confrérie de pénitents blancs, qui a soulevé les esprits de Toulouse contre un calviniste ? Ce pauvre homme criait sur la roue qu'il était innocent ; il pardonnait à ses juges ; il pleurait son fils auquel on prétendait qu'il avait donné la mort. Un dominicain, qui l'assistait d'office sur l'échafaud, dit qu'il voudrait mourir aussi saintement qu'il est mort. Il ne m'appartient pas de condamner le Parlement de Toulouse ; mais enfin il n'y a eu aucun témoin oculaire ; le fanatisme du peuple a pu passer jusqu'à des juges prévenus. Plusieurs d'entre eux étaient pénitents blancs ; ils peuvent s'être trompés. N'est-il pas de la justice du roi et de sa prudence de se faire au moins représenter les motifs de l'arrêt ? Cette seule démarche consolerait tous les protestants de l'Europe et apaiserait leurs clameurs. Avons-nous besoin de nous rendre odieux ? Ne pourriez-vous pas engager Monsieur le comte de Choiseul à s'informer de cette horrible aventure qui déshonore la nature humaine, soit que Calas soit coupable, soit qu'il soit innocent ? Il y a certainement, d'un côté ou d'un autre, un fanatisme horrible ; et il est utile d'approfondir la vérité. Mille tendres respects à mes anges. TEXTE 3 - VOLTAIRE, article "Fanatisme", in Dictionnaire philosophique portatif, 1764. Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique.[...] Le plus détestable exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélémy, leurs concitoyens qui n'allaient point à la messe.[...] Lorsqu'une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J'ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de Saint Pâris, s'échauffaient par degrés malgré eux : leurs yeux s'enflammaient, leurs membres tremblaient, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits. Il n'y a d'autre remède à cette maladie épidémique que l'esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; car, dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l'air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d'être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l'esprit l'exemple d'Aod, qui assassine le roi Eglon ; de Judith, qui coupe la tête d'Holopherne en couchant avec lui ; de Samuel, qui hache en morceaux le roi Agag. Ils ne voient pas que ces exemples, qui sont respectables dans l'antiquité, sont abominables dans le temps présent ; ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne. Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage ; c'est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l'esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu'ils doivent entendre. Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? TEXTE 4- VOLTAIRE, Article «Torture», in Dictionnaire philosophique portatif(1764) Les Romains n'infligèrent jamais la torture qu' aux esclaves, mais les esclaves n'étaient pas comptés pour des hommes. Il n'y a pas d'apparence (1) non plus qu'un conseiller de la Tournelle (2) regarde comme un de ses semblables un homme qu'on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l'appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu'il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien la comédie des Plaideurs : "Cela fait toujours passer une heure ou deux". Le grave magistrat qui a acheté pour uploads/Litterature/ groupement-textes-voltaire-et-les-lumieres.pdf

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