« De même que la prose n’est séparée de la poésie par aucun seuil, l’art exprim

« De même que la prose n’est séparée de la poésie par aucun seuil, l’art exprimant l’angoisse n’est pas véritablement séparé de celui qui exprime la joie (...) il ne s’agit plus de dilettantisme : l’art souverain accède à l’extrémité du possible. » (Bataille 7 ) «... encore faudrait-il rechercher si cette mise en cause de l’art, que repré­ sente la partie la plus illustre de l’art depuis trente ans, ne suppose pas le glissement, le déplacement d’une puissance au travail dans le secret des œuvres et répugnant à venir au grand jour. » (Blanchot 8 ) * ** Un art suspendu, ou une mise en cause de l’art dans l’art lui-même, et en tant qu’œuvre ou en tant que tâche de l’art — c’est ce que le sublime met en jeu, ou c’est l’enjeu que le sublime aura servi à désigner. Au nom du sublime, ou sous la poussée de quelque chose qui aura souvent (mais non exclusivement) porté ce nom, l’art est interrogé ou provoqué en vue d’autre chose que l’art. Plus précisément, il s’agit d’un double suspens, ou d’une double mise en cause. D’une part, c’est l’esthétique, comme discipline phi­ losophique régionale, qui est récusée dans la pensée de l’art que le sublime a saisie. Kant est le premier à faire droit à l’esthétique au sein de ce qu’on peut nommer une « philosophe première » : mais il est aussi, et pour cette raison même, le premier à supprimer l’esthétique comme partie ou comme domaine de la philosophie. Il n’y a pas d’esthétique kantienne, on le sait désormais. Et il n’y a pas, après Kant, de pensée de l’art (ou du beau) qui ne récuse l’esthétique, et qui n’interroge dans l’art autre chose que l’art : disons, la vérité, ou l’expérience, l’expérience de la vérité ou l’expérience de la pensée. D’autre part, c’est l’art qui se suspend et qui frémit, comme le dit Adorno, c’est l’art qui tremble au bord de l’art, se donnant pour tâche autre chose que l’art, autre chose que les œuvres des beaux-arts ou que les belles œuvres de l’art : quelque chose de « sublime ». Tout se passe comme si l’objet « esthétique » aussi bien que l’objet esthéti­ que, à peine saisis par la philosophie (et qu’ils se soient offerts à elle ou qu’elle ait été s’en emparer, cela revient ici au même), se dissolvaient pour laisser place à autre chose (rien moins, chez Kant, que la destination sublime de la raison elle-même : la liberté), mais tout se passe aussi, et en même temps, comme si la prise et la fuite de ces objets exigeaient de la phi­ losophie qu’elle pense autrement et l’art et elle-même. Dans le suspens de l’art est en jeu la tâche de la pensée. Elle y est en jeu, cependant, de telle manière qu’elle ne prend pas le relais de l’art, qui se trouverait ainsi à la fois supprimé et conservé dans une présentation « vraie » de la vérité. Une telle pensée du relais, ou de la 7. Œuvres, VII. 8. La littérature et le droit à la mort (1947). 78 © ÉDITIONS BELIN / HUMENSIS. TOUS DROITS RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS - PAGE TÉLÉCHARGÉE SUR LE SITE PO-ET-SIE.FR - VOIR LES « CONDITIONS GÉNÉRALES D’UTILISATION » DE CE SITE. uploads/Philosophie/ 30-1984-p76-103-pdf-page-3.pdf

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