Perspective Actualité en histoire de l’art 1 | 2011 Période moderne/Époque cont

Perspective Actualité en histoire de l’art 1 | 2011 Période moderne/Époque contemporaine Impressionnisme(s) aujourd’hui Impressionism(s) today Marianne Alphant, Hollis Clayson, Richard Thomson et André Dombrowski Édition électronique URL : http://perspective.revues.org/1016 ISSN : 2269-7721 Éditeur Institut national d'histoire de l'art Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2011 Pagination : 509-522 ISSN : 1777-7852 Référence électronique Marianne Alphant, Hollis Clayson, Richard Thomson et André Dombrowski, « Impressionnisme(s) aujourd’hui », Perspective [En ligne], 1 | 2011, mis en ligne le 02 juillet 2014, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://perspective.revues.org/1016 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 3 509 Débat Travaux Actualité Impressionnisme(s) aujourd’hui Points de vue de Marianne Alphant, Hollis Clayson et Richard Thomson, avec André Dombrowski Il nous est devenu de plus en plus diffi cile de reconnaître l’étrangeté du projet impressionniste et d’en apprécier la complexité à sa juste valeur. À une époque où, exposition après exposition, on loue la délicatesse esthé- tique d’une peinture plus souvent associée aux maîtres classiques qu’à l’art moderne et contemporain, un effort particulier s’impose à qui veut retrouver l’intensité avec laquelle elle s’est attachée à exprimer les traductions maté- rielles et concrètes de la vision induite par le monde moderne. La modernité des peintres impressionnistes nous paraît de plus en plus étrangère, même si leurs thèmes – le mouvement vers un monde gagné par la technologie, la marchandisation et la virtualité, l’incroyable accélération de la vie et des modes de communication, l’idéologie du sol et de la nation – sont demeurés d’actualité, avec peut-être plus d’acuité encore aujourd’hui. Les échanges qui suivent visent deux objectifs : diagnostiquer d’abord ce qui a conduit à cet état de fait et tenter ensuite d’inverser la tendance afi n de permettre à une nouvelle génération de spécialistes et de visiteurs de musées de retrou- ver toute l’actualité de ce mouvement, sur d’autres critères d’évaluation. Ainsi que le confi rment les trois intervenants, la tâche est vaste et le champ d’investigation encore fertile. Soumettre l’impressionnisme aux démarches qui sont les nôtres, soit celles d’interprétations construites au croisement des disciplines et des cultures, soulève de nombreuses questions, à commencer par celle de la faisabilité de l’exercice. Un tel réexamen nous permettra-t-il de repenser des méthodologies fondées sur les notions de « traduction » et d’« échange » ? (Ou, pour sérier la question : comment et pourquoi l’im- pressionnisme fut-il érigé en style presque mondial après sa disparition en France ? Sur quelles bases certains sujets et certaines destinations furent-ils sélectionnés dans un contexte moderne de circulation mondiale des biens ? Quelle fut la nature de son interaction avec des cultures de l’image en pleine Marianne Alphant, écrivain et journaliste, a dirigé les « Revues parlées » du Centre Pompidou et a organisé les expositions Roland Barthes (2002) et Samuel Beckett (2007). Elle a publié entre autres Claude Monet : une vie dans le paysage (1993, 2010) et Claude Monet : cathédrale(s) de Rouen (2010). Hollis Clayson, Professor of Art History et Bergen Evans Professor of the Humanities, Northwestern University, a notamment publié Painted Love: Prostitution in French Art of the Impressionist Era (1991, 2003). Elle travaille sur le projet Electric Paris: The Visual Cultures of the City of Light in the Era of Thomas Edison. André Dombrowski, Assistant Professor, University of Pennsylvania, est l’auteur de Cézanne, Murder and Modern Life (à paraître en 2012), et spécialiste de l’art et de la culture matérielle français et allemands de la fi n du XIXe siècle. Richard Thomson est Watson Gordon Professor of Fine Art, Edinburgh University. Parmi ses écrits sur l’art français de la fi n du XIXe siècle, on compte des monographies sur Seurat et Degas et La République troublée (2008). Il a collaboré à de nombreuses expositions, dont Monet (2010-2011). ÉPOQUE CONTEMPORAINE 510 DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 3 expansion ? Pourquoi l’impressionnisme en est-il venu à incarner la notion même d’art dans la culture populaire globalisée ?) Mais peut-être surtout : serons-nous à même de produire les nouvelles catégories descriptives et interprétatives aptes à ranimer chez l’observateur la conscience des spé- cifi cités propres à ce mouvement, à raviver le sens des hésitations et des sublimations inscrites dans sa volonté farouche de traduire l’éphémère, à rappeler combien il a cru dans la corrélation mutuelle entre vision plurielle et peinture à la touche pour décrire au mieux ce que sont l’expérience humaine et la culture moderne ? Autrement dit, l’impressionnisme peut-il aujourd’hui nous inviter à réexaminer nos existences et nos valeurs plutôt qu’à simplement les conforter [André Dombrowski] ? André Dombrowski. L’impressionnisme a longtemps été considéré comme un mouvement artistique dans lequel s’équilibraient de manière très complexe la forme et le contenu, le travail pictural et l’histoire. Après une longue période imprégnée de préoccupations socio-historiques, le pendule a-t-il de nouveau oscillé vers l’étude des formes de l’impressionnisme en tant que telles ? Comment notre analyse des opérations/techniques/histoires de la vision dans la peinture impressionniste a-t-elle déplacé la frontière séparant forme et contenu ? Les débats récents nous ont-ils permis de déterminer si l’impressionnisme, en tant que style, était critique ou, au contraire, complaisant vis-à-vis des modernités qu’il a dépeint ? Marianne Alphant. Résumée comme ici avec ses périodes, ses modes, ses fl ottements, ses oscillations pendulaires, l’histoire de l’impressionnisme paraît curieusement vic- time de ce trouble que produit dès la première heure la peinture impressionniste. Comment voir cette peinture ? C’est la seule question. Concrètement formulée, ce sera souvent : où se placer pour regarder ces toiles ? S’en approcher ? C’est un fouillis de touches, « un mortier versicolore » 1, « un chaos de raclures de palette » 2. S’en éloigner ? Ce n’est rien : une route vide, un pré. Ce rien, et l’inexplicable ivresse qu’il produit, Baudelaire les découvre en feuilletant dans l’atelier de Boudin sa collection de pastels de ciel et de nuages (fi g. 1). Des tableaux ? Non. Quelque chose leur manque, la présence de l’homme peut-être, l’achèvement, le fi ni, l’ima- gination ? Mais ces « beautés météorologiques » le grisent « comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium » 3. Premier vertige du critique. Il y en aura d’autres. Ces images tant regardées, d’où vient leur emprise ? Comment ont- elles encore le pouvoir de nous toucher ? On a tout essayé pour l’expliquer, en vrac : l’époque, le milieu, le déclin de la peinture d’histoire, l’hédonisme, le photographique, le prosaïsme, la sublimation, la France républicaine, la légèreté transportable des tubes de couleurs, l’œil, la vitesse de la pochade et des échanges, la nouvelle organisation du marché de l’art, la civilisation des loisirs, la lumière, la naissance du cinématographe, l’intericonicité 4. L’histoire cherche des concordances, un ordre, c’est son métier, elle rassure. Au risque de perdre de vue ce qui était pourtant constitutif de cette peinture, et qui a tant frappé ceux qui la découvraient : sa dimension d’outrance. Couleurs trop intenses, valeurs trop voisines, falaise trop grosse, cathé- drale trop proche, nymphéas en séries, partout l’excès (on pourrait dire : jusque dans les conditions de vie qu’un artiste comme Monet s’imposa). 1. Eugène Boudin, Grand ciel, vers 1888-1895, Le Havre, Musée Malraux, collection Senn. Impressionnisme(s) DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 3 511 En avons-nous fi ni avec ce malaise ? Peut-être, dirait-on, puisqu’on n’en parle plus, le consensus populaire et le travail de la théorie ayant réussi ce que Zola avait entrepris : ramener le chahut autour des toiles à « un accès de folie bête » 5. Et pourtant non, dirait-on, comme en témoigne la persistance de la question : comment voir ces toiles ? Ainsi se réjouit-on que cette jeune violence, toute affadie qu’elle soit, et neutralisée par le temps qui passe et l’engouement consensuel, se fasse encore sentir. Elle ne peut que rendre sympathique cette histoire de l’art en proie au doute et qui devient à force un personnage : hésitant, tâtonnant, traversant des crises – comme l’artiste, en somme, et c’est ainsi qu’on l’aime (même si elle ne s’aime pas forcément dans cette image), aussi débordée par son sujet qu’un peintre. Ce qui ne cessera jamais de m’intéresser chez Monet, ce sont en effet les blancs de sa biographie : mutisme, aveuglement, sentiment que ses toiles ne sont que des essais, expérience d’états paniques ou de désorientation, d’improvisation, de débordement, d’échecs. Aussi révélateurs et mystérieux que les réserves de sa peinture, l’inachèvement main- tenu des Dindons ou bien encore cette zone aveugle, en bas à gauche d’un panneau de l’Orangerie (Nymphéas, soleil couchant, salle 1, mur ouest ; fi g. 2). Richard Thomson. Considérer l’impressionnisme du point de vue de l’histoire sociale de l’art, un angle d’approche qui a dominé les études sur le sujet depuis plus de trente ans, s’est révélé extrêmement utile en tant qu’instrument analytique. On se souviendra que cette démarche de contextualisation historique, sociale et économique de l’impressionnisme a pris des formes multiples, des approches aussi variées que les écrits exemplaires de Robert Herbert et de Timothy J. Clark – dans des perspectives uploads/s3/ alphant-m-clayson-h-thompson-r-dombrowski-a-impressionnisme-aujourd-x27-hui-revue-perspective.pdf

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