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Pôle de Recherche 1 Assistante : Françoise Amirou – francoise.amirou@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.74.30 « ECKHART ET LA MYSTIQUE JUIVE » Mystique, Eckhart, judaïsme, christianisme, Maïmonide, hassidisme, tradition, sermon, Exode, Séfira, Genèse, Tsaddiq, parabole, Messie, commentaire, religions, Dieu. Comme le soulignait Emilie Zum Brunn 1, le rapport d’Eckhart à la mystique juive fait partie du non-dit de son œuvre. A considérer cette œuvre telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous, il en ressort qu’Eckhart est marqué par la mystique juive, mais il ne peut le dire ouvertement sans encourir de risque, voire de condamnation, à une époque où la frontière entre Judaïsme et christianisme était beaucoup plus marquée qu’aujourd’hui. De là vient la difficulté du sujet qui, par voie de conséquence, a été assez peu traité jusqu’ici. S’y ajoute le fait que, depuis très peu de temps, l’Œuvre d’Eckhart nous est accessible dans ce qui est parvenu jusqu’à nous, même si une grande partie de son Œuvre latine n’est pas encore traduite. Les études sur la question n’ont pas encore eu le temps de se développer, et le rapport d’Eckhart à la mystique juive n’est pas l’élément le plus travaillé de son œuvre, comme vous pouvez le constater dans la bibliographie. De plus, Eckhart est resté très discret sur sa vie et voilà tout juste qu’on peut établir sa biographie 2. Ses rapports au Judaïsme ne sont pas précisés, mis à part les nombreuses références qu’il fait à Maïmonide. On sait seulement que les communautés juives étaient importantes à Erfurt, à Strasbourg et à Cologne, les principales villes où Eckhart est allé et qu’il était en lien avec elles. La communauté juive d’Erfurt avait fait construite en 1094 une importante synagogue, la plus ancienne d’Europe, que l’on peut encore voir aujourd’hui. Juifs et chrétiens vivaient en harmonie et sans séparation en quartiers distincts, près du Couvent des Dominicains d’Erfurt vivaient de nombreuses familles juives, ils menaient des actions communes. Peut-être avaient-ils des rencontres pour étudier l’Ecriture, peut-être Eckhart a-t-il été initié à la mystique juive, on ne sait. Dans les trois villes d’Erfurt, de Strasbourg et de Cologne, les communautés juives étaient ashkénazes, marquées par le hassidisme, avec comme livre de référence, 1 E .ZUM BRUNN, Voici maître Eckhart, Grenoble, J.Millon, 1994, Intr. 2 LW V/3-4, p. 149-193. 2 LW V/3-4, page 149-193 Département de recherche Judaïsme et Christianisme Séminaire 2012-2013 « Mystique juive, mystique chrétienne : regards croisés » Séance du 18 avril 2013 Intervenant : Marie-Anne Vannier Pôle de Recherche 2 Assistante : Françoise Amirou – francoise.amirou@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.74.30 le Séfer Hassidim, qu’Eckhart a dû connaître et qui n’a pas été sans l’influencer dans sa conception de l’homme noble. D’autre part, et cette fois de manière explicite, Eckhart a été largement marqué par Maïmonide, dont il cite quelque 267 fois le Guide des égarés dans son Œuvre latine. Il ne le mentionne pas explicitement dans son Œuvre allemande, mais sous le terme : “un maître a dit”, on peut souvent retrouver Maïmonide. C’est l’auteur qu’Eckhart cite le plus souvent après S. Augustin et Aristote, et la majeure partie des références à Maïmonide se trouve dans le Commentaire de la Genèse et dans le Commentaire de l’Exode là où il réfléchit sur l’essence de Dieu. Eckhart devait connaître 3, on ne sait comment, le Maaseh Bereshit, qui est l’un des piliers de la mystique juive. Il faudrait ajouter qu’Eckhart est très libre par rapport à ses sources : il les fait intervenir pour étayer sa pensée. De manière plus générale, on peut noter également une convergence dans la nature de la mystique dans le Judaïsme et chez Eckhart, c’est une mystique spéculative, une Wesenmystik, une mystique de l’être qui est originale pour l’époque. I.- UNE MYSTIQUE SPÉCULATIVE DANS LE JUDAÏSME ET CHEZ ECKHART 1.1.- Deux mystiques convergentes Nous allons donc commencer par étudier cette mystique spéculative. Vous avez déjà envisagé la mystique juive lors des séances précédentes, vous la connaissez mieux que moi. Les travaux de Gershom Scholem et de Moshe Idel ont permis de la rendre accessible. Eckhart est représentant d’un autre courant mystique : la mystique rhénane qui se caractérise par trois éléments : une langue : le Moyen haut allemand, une région : la vallée du Rhin, une époque : le XIV° siècle. Ses commentateurs actuels ne le reconnaissent pas nécessairement comme un mystique. C’est l’opposition entre l’école de Bochum, représentée principalement par Kurt Flasch et les autres interprètes. Or, à considérer son œuvre dans son ensemble et son intuition de fond : la naissance de Dieu dans l’âme, force est de reconnaître qu’Eckhart est un véritable mystique 4 : il part (selon l’étymologie du terme mystique : mûo) de ce qui est le plus caché : le cœur de Dieu, qu’il lui a été donné de connaître on ne sait comment. Dès 1824, Franz von Baader avait classé Eckhart parmi les mystiques 5.. Pour caractériser sa mystique, Alois Haas parle de « mystique fondamentale, car le dynamisme déjà présent de « l’être- un » avec Dieu devient, dans l’irruption, offert à l’homme comme une manière d’être fondamentale. Pour y parvenir, l’homme ne peut rien par lui-même. Cette manière d’être fondamentale de l’unité avec Dieu dans l’événement de la naissance de Dieu dans l’âme est un événement de grâce, décrit dans des catégories ontologiques. Ce que l’homme est, il l’est comme un don, « en Dieu et par Dieu » 6. Cette mystique de l’union n’est pas sans analogie avec la mystique juive où l’union à Dieu a une place fondamentale. Chez Eckhart, la mystique est fondée, comme chez S. Thomas d’Aquin, sur la cognitio Dei experimentalis, ce qui est également le cas dans la mystique juive 7. C’est cette expérience de Dieu qui est commune aux grandes religions. 3 . A. H. FRIEDLANDER, « Eckhart et la tradition juive : Maïmonide et Paul Celan » , in : E. E. Zum Brunn (éd) , Voici maître Eckhart, Grenoble, J. Million, 1994, p. 390. 4 C. BUTLER, Western mysticism, Londres 1992 ; A. PAUS, P. DESELAERS, B. McGINN, D. MIETH, T.R. PETERS, A. M. HAAS, J. SUDBRACK, “Mystik”, Lexikon für Theologie und Kirche 7, col. 583-597; A. LOUTH, The origins of the christian Mystical tradition,Oxford, 1981. 5 Franz von BAADER, Sämtliche Werke, Leipzig, 1851--‐1860, Bd. XV, p. 159. 6 A.M. HAAS, « Mystique rhénane », DS 13, col. 515. 7 G. SCHOLEM, Les grands courants de la mystique juive, Paris, Payot, 1973, p. 16. Pôle de Recherche 3 Assistante : Françoise Amirou – francoise.amirou@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.74.30 De plus, Eckhart et la mystique juive partent de l’Ecriture, et proposent une mystique biblique. Cependant, Eckhart ne reprend pas la mystique des Hékhalot ni celle de la Merkavah qui est ancienne, il serait plus proche de la kabbale, qui lui est contemporaine. Comment l’a-t-il connue, comment y a-t- il été initié ? Par ses contemporains, par Maïmonide ou par les deux sources ? La question reste en suspens. En tout cas, elle aide Eckhart à mieux pénétrer le sens de l’Ecriture. Dans le Judaïsme, comme chez Eckhart, la mystique prend également en compte l’apport de la philosophie et elle a souvent une dimension apophatique. Sur ce plan, Maïmonide a eu un grand rôle pour Eckhart et on va essayer de le préciser. On trouve aussi que, dans les deux traditions mystiques, la réflexion est axée sur « l’idée d’un Dieu vivant qui se manifeste lui-même dans les actes de la Création, de la Révélation et de la Rédemption »8. Il y a, en revanche, une dimension ésotérique dans la mystique juive que l’on ne trouve pas chez Eckhart, ou du moins, telle est, pour une part, la raison de son procès : d’avoir fait connaître à tous les plus hautes réalités de la vie spirituelle. 1.2.- L’apport de Maïmonide Maïmonide a permis à Eckhart de mieux articuler foi et raison, de poser un principe herméneutique original pour son époque, au début de son Commentaire sur l’Evangile de S. Jean : « Expliquer par les raisons naturelles des philosophes les affirmations de la foi chrétienne et de l’Ecriture dans les deux Testaments (…). L’intention de son œuvre étant de montrer comment les vérités des principes, des conclusions et des propriétés des choses de la nature sont clairement indiquées dans ces mêmes mots de l’Ecriture sainte que l’on interprète au moyen de ces réalités naturelles. On insèrera aussi, çà et là, quelques interprétations d’ordre moral » 9. Sans doute ce principe vaut-il pour la troisième partie de son Œuvre tripartite : L’œuvre des expositions, mais s’il y commente l’Ecriture, Eckhart y propose aussi des développements mystiques, tant dans le Commentaire de l’Evangile de S. Jean que dans celui de l’Exode… Il ne propose pas une rationalisation de l’Écriture, mais prend, au contraire, en compte, comme Maïmonide, ce qui est caché et opte, souvent, comme lui pour la voie négative. Les Paraboles de la Genèse en sont l’illustration. Après avoir terminé son Commentaire de la Genèse, où il a essentiellement mis en œuvre l’exégèse littérale et n’étant pas entièrement satisfait des conclusions de l’ouvrage, Eckhart uploads/s3/ eckhart-et-la-mystique-juive.pdf
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- Publié le Mai 01, 2021
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