DÉCADENCE ARTISTIQUE ET DÉCADENCE PHYSIOLOGIQUE: LES DERNIÈRES CRITIQUES DE NIE

DÉCADENCE ARTISTIQUE ET DÉCADENCE PHYSIOLOGIQUE: LES DERNIÈRES CRITIQUES DE NIETZSCHE CONTRE RICHARD WAGNER Author(s): Wolfgang Müller-Lauter Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger , JUILLET-SEPTEMBRE 1998, T. 188, No. 3, NIETZSCHE (JUILLET-SEPTEMBRE 1998), pp. 275-292 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41098145 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Philosophique de la France et de l'Étranger This content downloaded from 193.55.96.20 on Wed, 13 Jan 2021 09:19:55 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms DÉCADENCE ARTISTIQUE ET DÉCADENCE PHYSIOLOGIQUE LES DERNIÈRES CRITIQUES DE NIETZSCHE CONTRE RICHARD WAGNER I « Ce ne sont pas des affaires sur lesquelles je souffre la contra- diction. Je suis désormais, en matière de décadence*, l'instance uni- verselle suprême», écrit Nietzsche le 18 octobre 1888 de Turin à Malwida von Meysenbug, dont la réponse à l'envoi du Cas Wagner l'avait blessé1. Déjà dans l'avant-propos de cet ouvrage il avait noté que sa préoccupation la plus intime était le problème de la décadence ; qu'il avait en l'espèce ses raisons2. Ces raisons ressortis- sent à son intime personnalité. Nietzsche se voit lui-même comme décadent*, et cela à trois points de vue : du point de vue héréditaire, eu égard à la pathologie morbide du père ; du point de vue biogra- phique, en tant que particulièrement exposé à la maladie3 ; et enfin comme enfant de son siècle, époque de déclin4. Connaissant la ques- tion de la décadence* «par expérience», il l'a « épelée dans tous les sens », comme il l'écrit dans Ecce homo. En même temps, Nietzsche se voit comme «le contraire d'un décadent*», comme «foncièrement sain». Comme il est l'un et l'autre, il est en mesure d' « échanger les perspectives » : il peut regarder le sain « à partir de l'optique du malade » et, inversement, à partir de la richesse de la vie «plonger le regard dans le travail secret de l'instinct de décadence* ». S'il y a une chose dans laquelle 1. Lettre n° 1131, KGB, III, 5 ; t. 8, p. 452. 2. Le cas Wagner, lettre de Turin, de mai 1888 ; KSA, 3, p. 3. 3. Ecce homo, pourquoi je suis si sage ; KSA, VI, 3, p. 262 sq. (trad. E. Blondel, Paris, GF-Flammarion, 1992, p. 55 sq.). 4. Le gai savoir, preiace a la deuxième edition, § 2-3 ; KSA, V, 2, p. 17 sq. (trad. P. Wotling, Paris, GF-Flammarion, 1998, p. 27 sq.). (Le mot décadence en italique suivi d'un astérisque est en français dans le texte : nous traduisons son équivalent allemand Verfall par « déclin ») (N.d.T.). Revue philosophique, n° 3/1998, p. 275 à p. 292 This content downloaded from 193.55.96.20 on Wed, 13 Jan 2021 09:19:55 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 276 Wolfgang Müller-Lauter il est devenu «maître par excellence» Ecce homo, dans cet exercice1. S'il est vrai que Nietzsche a très tôt réf dence*, en revanche le mot ne devient la sophie qu'en 1888, sa dernière année de c emploi est préparé par la lecture qu'a f tome des Essais de psychologie contempo get, ouvrage dans lequel la notion se trou spécifique. Nietzsche tenait en haute estime les capacités d'analyse de Bour- get. Dans un de ses derniers brouillons (décembre 1888 -jan- vier 1889), il l'appelle « l'un de la race profonde (...) qui, de son propre mouvement, s'est approché de moi au plus près ». Cela veut dire que Bourget, par son cheminement propre, était parvenu dans la proxi- mité de ce que Nietzsche pensait de son côté2. Bourget retrace un mouvement de décomposition qui frappe en particulier la littérature française contemporaine. C'est une décomposition de ce type que Nietzsche avait lui-même abordée sous des rapports divers. Le fait que ses propres analyses plongeaient dans des abîmes restés fermés à Bourget n'empêchait pas qu'il se sentît non seulement stimulé mais encore confirmé dans ses vues par cet auteur. C'est ainsi que la carac- térisation par Bourget de la décadence* littéraire dans son essai sur Baudelaire lui avait fait forte impression3. Bourget y explique la décadence comme processus d'émancipation des parties subalternes au sein d'un organisme. Ce processus a pour conséquence 1' « anar- chie ». La langue, comme la société, est un organisme de ce genre. Bourget écrit : « Un style de décadence est celui où l'unité du livre se décompose pour laisser la place à l'indépendance de la page, où la page se décompose pour laisser la place à l'indépendance de la phrase, 1. Ecce homo, Pourquoi je suis si sage, KGW, VI, 3 (KSA, t. 6, p. 262 sq.) (trad. E. Blondel, GF- Flammarion, p. 53 sq.). Z. Fragments posthumes, décembre lööö - début janvier 1ÖW, Zò (Vj, JS.LrtV, VIII, 3, p. 456 (= KSA, t. 13, p. 642). - Avant la rupture avec Malwida von Meysenbug, qui débute avec la lettre citée ci-dessus, Nietzsche avait demandé à son amie de le conseiller dans la recherche d'un traducteur du Cas Wagner en français. Il écrit à ce sujet : « En vérité, il faudrait un styliste subtil, voire raf- finé, pour rendre le ton de cet écrit » ; et il remarque entre parenthèses : « J'aurais eu tout cet été l'occasion de demander un autre avis, celui de M. Paul Bourget, qui habitait dans mon voisinage ; mais il n'entend rien in rebus musicis : à part cela, il serait le traducteur dont j'aurais besoin» (lettre du 4 octobre 1888, KBG, III, 5 (KSA), t. 8, p. 447 sq.). 3. Sur « La réception de Baudelaire par Nietzsche » ; voir sous ce titre les remarques de Karl Pestalozzi, dans les Nietzsche Studien, t. 7, 1978, p. 158- 178. Cf. également la discussion qui s'y rapporte jointe à cet article. Revue philosophique, n° 3/1998, p. 275 à p. 292 This content downloaded from 193.55.96.20 on Wed, 13 Jan 2021 09:19:55 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Décadence artistique et décadence physiologique 277 et la phrase pour laisser la place à l'indépendance du mot. Les exem- ples foisonnent qui corroborent cette féconde vérité. »* Nietzsche trouvait cette caractérisation adéquate pour la défini- tion du style artistique de R. Wagner. Déjà, au cours de l'hi- ver 1883-1884, il note : « Style de la décadence* chez Wagner : le trait isolé devient souverain, la subordination et la mise en ordre se font au hasard. Bourget page 25 ! »2 Dans une lettre à C. Fuchs du prin- temps 1886, on lit sur la musique de Wagner : « La partie l'emporte sur le tout, la phrase sur la mélodie, l'instant sur la durée (même le tempo), le pathos sur l'éthos, et finalement V esprit (en français) sur le "sens". (...) on voit l'élément individuel avec trop d'acuité, on voit le tout beaucoup trop flou (...). Mais voilà ce qu'est la déca- dence*, mot qui, comme il va de soi chez nous, ne doit pas réprou- ver, mais seulement décrire. »3 Dans Le cas Wagner, on trouve une variante du texte cité de Bourget : « A quoi se reconnaît toute déca- dence* littéraire ? A ce que la vie ne réside plus dans le tout. Le mot devient souverain et saute hors de la phrase, la phrase empiète sur le sens de la page et l'obscurcit, la page vit aux dépens du Tout - le Tout cesse d'être un Tout. » Mais c'est là « le symbole de tout style de décadence* », ajoute Nietzsche4. 1. P. Bourget, Essais de psychologie contemporaine (1883), Paris, Galli- mard, rééd. coll. « Tel », 1993, p. 14. 2. Fragments posthumes hiver 1883-1884, 24 (6), KGW, VII, 1, p. 688 (KSA, t. 10, p. 646). (La « page 25 » est celle de l'édition originale où se trouve le texte cité ci-dessus.) (N.d.T.) 3. Lettre n° 688, KGB, 3 (KSA, t. 7, p. 177). 4. Le cas Wagner, § 7 (KSA, t. 6, p. 27). On a beaucoup glosé sur le fait que Nietzsche a repris, sans le dire, les formulations de Bourget. Cf. sur ce point J. Kamerbeek, « Style de décadence ». Généalogie d'une formule, in Revue de littérature comparée, 39 (1965), p. 268-286, en l'occurrence, p. 273 sq. - En 1938, C. von Westernhagen a en l'espèce accusé Nietzsche de plagiat (Das Urbild des « Fall Wagner », L'original du Cas Wagner), Bayreuther Blättern, 61 (1938), p. 174-183, repris dans Richard Wagner, 1956, p. 509-523). - M. Mon- tinari s'est référé à la variante de Nietzsche : « (...) Le mouvement va, dans Le cas Wagner, du particulier au général, du mot au Tout ; dans les uploads/s3/ muller-lauter-decadence-artistique-et-decadence-physiologique-pdf.pdf

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