Fig. 1 Pianoforte Hellen de 1763, Musée de la musique, Paris L’urgence de la di

Fig. 1 Pianoforte Hellen de 1763, Musée de la musique, Paris L’urgence de la diversité dans la facture des instruments à clavier au 18ème siècle : l’exemple de l’atelier des frères Hellen à Berne L’organologie est une discipline de la musicologie, traitant des instruments de musique et de leur histoire. Elle permet de retracer l’évolution des instruments de musique et de renouveler notre regard sur le répertoire qu’ils ont suscité et qui est à la base de la pratique musicale classique aujourd’hui. Il va sans dire que les sonates pour clavier de W. A. Mozart (1756-1791) n’ont pas été composées pour le Steinway de concert [Steinway Flügel] tel que nous le voyons aujourd’hui dans nos salles de concert et sur lequel nous avons pris l’habitude de les entendre. À l’époque de Mozart, au contraire, les instruments à clavier [Tasteninstrumente] étaient bien différents du piano [Klavier] moderne et infiniment plus différenciés entre eux, tant du point de vue de la mécanique et du toucher que des possibilités sonores. Ces instruments n’étaient pas des pis-aller en attendant le piano moderne et il vaut la peine de s’y intéresser pour avoir une approche éclairée de la musique du passé. Dans le cadre de cette contribution musicologique, nous nous pencherons sur les instruments à clavier produits par un atelier en particulier, celui des frères Hellen à Berne dans la seconde moitié du 18ème siècle. Particulièrement inventifs, les facteurs bernois ont joué un rôle précurseur dans l’évolution et la diffusion du pianoforte [Pianoforte]. Véritable modèle de diversité organologique, leur production, qui s’échelonne sur une période somme toute relativement courte, de 1759 à 1780, illustre bien les différentes étapes du processus de substitution du clavecin par le pianoforte [Pianoforte], à une époque où les changements de goût musical poussent les facteurs et les musiciens à se tourner vers de nouveaux horizons sonores et à imaginer des instruments aptes à les produire. Les instruments Hellen n’étant cependant pas tous signés ni datés, leur chronologie reste à établir, de même que leur nomenclature, notamment celle des différents types d’instruments à clavier munis d’une mécanique de pianoforte. Le terme pianoforte [Pianoforte] désigne en effet un peu indifféremment aujourd’hui tous les instruments à clavier, dont les cordes sont frappées par des marteaux, au mépris de leur véritable désignation dans les sources et, en fin de compte, de leur diversité. Dans cet article, nous nous concentrerons sur les instruments Hellen en forme de clavecin [in Form eines Cembalos], car c’est dans ces derniers que semblent s’être cristallisées les recherches sonores des facteurs bernois. De fait, c’est la disposition [Disposition] sonore de ces instruments, du moins dans leur état d’origine, qui retiendra ici toute notre attention. En 19721, seuls deux instruments de l’atelier des frères Hellen à Berne étaient recensés. Il s’agissait d’une part d’un pianoforte2 carré [Tafelklavier] signé « par Hellen à Berne 1780 », conservé au Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel, et d’autre part d’un pianoforte carré non signé et non daté, conservé dans une collection privée et très semblable au premier. L’existence d’autres instruments à clavier issus de l’atelier bernois, en particulier des clavecins et même un clavecin organisé [organisiertes Cembalo] (intégrant un ou plusieurs registres d’orgue), était attestée par des annonces publiées principalement à Berne et à Fribourg dans les journaux de l’époque3, bien qu’aucun exemplaire de ce genre n’aient alors été répertorié. Depuis une quinzaine d’années à peine, les instruments à clavier signés ou attribués à l’atelier des Hellen à Berne font l’objet d’un processus de réhabilitation auprès des musicologues spécialisés en organologie des instruments à clavier au 18ème siècle, réhabilitation liée au rôle clé joué par l’atelier bernois dans l’évolution du pianoforte [Pianoforte] dans les pays germaniques et au-delà. Parallèlement, certains musées ont fait l’acquisition d’instruments Hellen, qui se sont avérés de première importance. On pense notamment au pianoforte en forme de clavecin [Pianoforte in Form eines Cembalos auch Hammerflügel genannt], signé « par Hellen à Berne 1763 » et acquis par le Musée de la musique à Paris en 2000 (cf. fig. 1), ainsi qu’au clavecin portant sur la barre d’adresse [Vorsatzbrett] l’inscription aujourd’hui à peine lisible « P Hellen à Berne 1759 »4, acquis par le Württembergisches Landesmuseum de Stuttgart la 1 Cf. RINDLISBACHER, Das Klavier in der Schweiz, pp. 110-114. 2 Le pianoforte [Pianoforte] est un instrument à clavier, dont les cordes sont frappées par des marteaux. Le clavecin, en revanche, est un instrument à clavier et à cordes pincées par des plumes. 3 Cf. notamment la Hoch-Oberkeitlich Privilegiertes Avis-Blättlein de Berne et la Feuille hebdomadaire des Avis de la Ville et Canton de Fribourg. 4 En raison de cette inscription, le clavecin a été attribué à Peter Hellen (1723-1779). Nous pensons plutôt que cette inscription signifie « P[ar] Hellen à Berne 1759 », manière usuelle dont les instruments issus de cet atelier étaient signés. Il serait même plus probablement l’œuvre de Johann Ludwig Hellen même année. L’instrument de Paris est aujourd’hui le plus ancien pianoforte en forme de clavecin [Pianoforte in Form eines Cembalos] des collections nationales de France. Quant à l’instrument de Stuttgart, c’est l’un des très rares clavecins [Kielflügel auch Cembalo genannt] suisses parvenus jusqu’à nous. L’atelier Hellen est également connu pour ses instruments combinant une mécanique de pianoforte et de clavecin. On appelle aujourd’hui ces instruments des pianoforte- clavecins combinés [Kielhammerflügel, d. h. kombinierte Pianoforte-Cembali]. Ce sont plus proprement des pianoforte avec registre de clavecin [Pianoforte mit Cembalozug], comme nous le verrons plus loin. Plusieurs instruments de ce genre nous sont parvenus, en dépit des modifications subies dans certains cas. Le premier, un pianoforte [Hammerflügel] signé « par Hellen à Berne 1763 » et conservé à la Villa Medici Giulini à Briosco5 (cf. fig. 2), disposait à l’origine d’un registre de clavecin [Cembalozug]. Tel était également le pianoforte [Hammerflügel] attribué à Hellen et non daté, qui se trouve au Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg6. Enfin, un troisième et un quatrième pianoforte avec registre de clavecin [Hammerflügel mit Cembalozug], attribués à Hellen et non datés, nous sont parvenus. Ils se trouvent dans la collection de l’Association Ad Libitum à Etobon, en France, et au Musikinstrumenten-Museum de Berlin7. En raison de leur précocité, ces instruments, de même que le pianoforte [Hammerflügel] de Paris, placent l’atelier Hellen au premier plan dans l’histoire du pianoforte [Pianoforte] au 18ème siècle, au même titre que ceux de facteurs tels que Franz Jacob Spath (1714-1786), Johann Andreas Stein (1728-1792) ou Joseph Merlin (1735-1803), respectivement à Ratisbonne, Augsbourg et Londres8. (1716-1781) seul, dont la présence est attestée à Berne depuis 1754. Son frère cadet, Peter Hellen, n’apparaît en effet pas dans les archives bernoises avant 1763. Par précaution, nous préférons donc ne pas attribuer ce clavecin explicitement à Peter Hellen et nous le mentionnerons comme le clavecin Hellen de 1759 à Stuttgart, sans autre précision. 5 Cf. GIULINI, Villa Medici Giulini. Un invito all’arte e alla musica, p. 6 (n° cat. 9). 6 N° inv. MINe 105. 7 Cf. DROYSEN-REBER et RASE, « Historische Kielklaviere bis 1800 », pp. 233-238. 8 Cf. LATCHAM, « The musical instruments en forme de clavecin by, and attributed to, the workshop of Johann Ludwig Hellen », pp. 68-94. Pour une étude approfondie de l’histoire du pianoforte au 18ème siècle, cf. également Michael LATCHAM, « Johann Andreas Stein and the search for the expressive Clavier », pp. 133-215. Fig. 2 Pianoforte de 1763, collection particulière, Briosco Actuellement, dix-sept instruments à clavier ont été recensés, qui sont issus de l’atelier des frères Hellen ou qui leur sont attribués9. Pour notre part, nous avons récemment découvert un clavecin à deux claviers attribuable à Hellen (cf. fig. 3), ainsi que deux pianoforte carrés [Tafelklavier], dont l’un d’eux est signé « Par Hellen à Berne 1773 ». Cet instrument, de même que le clavecin se trouvent dans des collections particulières. Quant au troisième, il a été mis en vente aux enchères à Vichy en mai 2014. Au total, ce sont donc désormais vingt instruments Hellen existants10. 9 Cf. BATTAULT et GOY, « Les petits pianoforte de Hellen », pp. 48-67. 10 Cf. MONTAN-MISSIRLIAN, « La découverte d’un clavecin suisse du 18ème siècle, attribuable aux frères Hellen (Berne, c. 1763) », pp. 201-226. Fig. 3 Clavecin attribuable aux frères Hellen, Berne, c. 1763, collection particulière, Suisse D’une manière générale, les instruments Hellen reflètent bien les préoccupations musicales de leur époque, dont le mot d’ordre est assurément la possibilité de varier le son le plus possible. Les frères Hellen ont mis au point des instruments à clavier [besaitete Tasteninstrumente] qui permettaient des modifications [Veränderungen] du son, dans certains cas même pendant le jeu. Ils dotaient notamment leurs pianoforte [Pianoforte] de registres [Register] actionnés par des leviers de registration [Registerhebel] ou des genouillères [Kniehebel], permettant ainsi de modifier le son plus ou moins rapidement, au bénéfice d’une nouvelle forme d’expressivité musicale. Par certaines caractéristiques organologiques, les instruments [Tasteninstrumente] des frères Hellen puisent à des sources aussi diverses qu’allemandes méridionales au sens large y compris alsaciennes (mécanique allemande primitive sans échappement dite Prellmechanik [frühe Deutsche Mechanik bzw. Prellmechanik ohne Auslösung] uploads/s3/ lurgence-de-la-diversite-dans-la-facture.pdf

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