Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 50 | 2014 Variation st

Lidil Revue de linguistique et de didactique des langues 50 | 2014 Variation stylistique et diversité des contextes de socialisation L’éveil à la variation phonétique en didactique du français langue étrangère : enjeux et outils Raising the Awareness of Phonetic Variation in the Teaching of French as a Foreign Language: Issues and Tools Roberto Paternostro Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lidil/3587 DOI : 10.4000/lidil.3587 ISSN : 1960-6052 Éditeur UGA Éditions/Université Grenoble Alpes Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2014 Pagination : 105-124 ISBN : 978-2-84310-287-5 ISSN : 1146-6480 Ce document vous est offert par Bibliothèque cantonale et universitaire Fribourg Référence électronique Roberto Paternostro, « L’éveil à la variation phonétique en didactique du français langue étrangère : enjeux et outils », Lidil [En ligne], 50 | 2014, mis en ligne le 15 juin 2016, consulté le 16 juillet 2019. URL : http://journals.openedition.org/lidil/3587 ; DOI : 10.4000/lidil.3587 © Lidil L’éveil à la variation phonétique en didactique du français langue étrangère : enjeux et outils Roberto Paternostro * RÉSUMÉ Cet article se donne pour objectif de réléchir aux raisons pour les- quelles la phonétique est le parent pauvre de la didactique du FLE. Il propose d’intégrer des indices phoniques de la variation stylistique à l’enseignement du français. À partir d’une expérience issue d’un terrain didactique, l’auteur se penche sur le « transcodage » en tant qu’outil d’éveil à la variation phonétique en FLE. ABSTRACT This paper attempts to understand why pronunciation is the poor rela- tive of the teaching of French as a foreign language. It examines how phonetic indices of stylistic variation could be integrated in the French language teaching. On the basis of a ield study, the author discusses “transcoding” as a tool for awakening phonetic variation in French as a foreign language. 1. Introduction Les manuels d’enseignement de la prononciation en français langue étrangère (FLE) ainsi que le matériel utilisé en laboratoire de langue proposent de plus en plus un travail sur l’expressivité et plus rarement des activités portant sur les traits phonétiques du français ordinaire, comme les phénomènes d’assimilation ou de simpliication : je sais pas [ʃepa], peut-être [ptɛt]. Néanmoins, ils se limitent souvent à la descrip- tion d’aspects prosodiques et articulatoires de base, à partir d’extraits sonores joués par des acteurs, peu spontanés, qui constituent le seul contexte offert aux apprenants. * ELCF – Université de Genève. roberto paternostro 106 Force est de constater l’absence de la variation phonétique, notam- ment pour le style. Cet article se donne pour objectif de réléchir aux raisons de cette absence et à l’intérêt d’un éveil à la variation phoné- tique en FLE. 2. La variation phonétique en FLE : les raisons d’une absence En tant que locuteur « étranger 1 » du français, je me souviens du mo- ment où des amis parisiens m’ont fait remarquer que mon français était « trop parfait » pour faire français. Ils pointaient certains indices pho- niques : l’absence d’assimilation ou la réalisation de la liaison facul- tative 2 dans je suis italien, prononcé [ʒəsɥizitaljɛ̃] et non [ʃɥi:taljɛ̃]. Bien qu’ayant entendu de telles réalisations, je ne les avais pas croi- sées dans un apprentissage spéciique, et n’osais pas alors m’aventurer dans le domaine inaccessible du non standard, à mon sens réservé aux « natifs 3 ». L’emploi constant du standard me valait d’ailleurs des re- marques que je considérais comme latteuses : « tu parles comme un prof », « tu parles très bien, on dirait un livre ». Les cours de FLE privilégient en effet l’apprentissage du standard comme le français par défaut 4, reléguant la langue ordinaire 5 à l’ap- 1. Pour l’auteur de cet article, qui est de langue première italienne, le français est une langue « étrangère ». La catégorisation d’étrangère est pourtant pro- blématique dès que l’apprenant commence à se familiariser avec une langue, qui n’est plus alors « étrangère » (Gadet, 2012). 2. Gadet (1997, p. 71) souligne le caractère d’« indicateur sociolinguistique très fort » de la liaison, sans doute en lien avec le rapport oral / écrit, l’écrit étant associé au prestige. 3. Berruto (2003) a montré la vacuité des notions de « locuteur natif » et « langue maternelle », impossibles à déinir en termes positifs. Quant aux notions de L1 et de L2, langue « première » et « seconde », qui seraient à préférer à « langue maternelle » et « étrangère », elles ne sont pas moins problématiques. 4. Nous faisons allusion à l’idéologie du standard, qui considère la forme nor- mée comme la langue de référence, pratiquée par tous les locuteurs apparte- nant aux couches sociales favorisées et représentée principalement par l’écrit (Gadet, 2007, p. 17-18). 5. Le français ordinaire n’est pas le français parlé ni le français populaire. « C’est davantage le français familier, celui dont chacun est porteur dans son fonc- tionnement quotidien, dans le minimum de surveillance sociale : la langue de tous les jours. » (Gadet, 1997, p. 3) l’éveil à la variation phonétique en didactique du fle 107 prentissage sur le tas, si les apprenants ont l’occasion de côtoyer des natifs (voir Regan et coll., 2009) 6, ce qui a pour effet de produire des locuteurs qui donnent l’impression de parler mieux que les natifs. Par ailleurs, la problématique de la place et du statut que le standard occupe dans l’enseignement concerne aussi le français langue maternelle (FLM). Guerin (2010) a ainsi attiré l’attention sur ce qu’elle appelle l’« outre- langue » des enseignants à l’école, à qui l’institution demande d’ac- tualiser « une langue au-delà de la langue », ne s’inscrivant dans rien d’observable. La norme 7 est le premier input pour des apprenants de FLE, et reste souvent la seule actualisation de la langue à laquelle ils ont accès (voir, entre autres, Valdman, 1989 ; Detey & Racine, 2012) 8. Contrairement aux locuteurs L1, en effet, pour qui le contact avec la norme se fait à l’école et qui sont d’abord confrontés à la langue ordinaire de leur entourage, l’apprenant, au début, n’a généralement de contact direct qu’avec la langue de l’enseignant en cours. Il risque alors de croire qu’il s’agit là de « la » langue française. Bien qu’il ait un écho de ce qui se parle hors de la classe, notamment par les documents authentiques, l’internet, les médias, etc., le français ordinaire demeure souvent mar- ginal, un luxe. Malgré des efforts, ces dernières années, pour intégrer la variation à l’enseignement du français, notamment par l’introduction d’accents francophones (Detey et coll., 2010) et par l’intérêt pour le lexique fami- lier et l’intonation expressive (Callamand, 1973 ; Léon, 1993), la varia- tion phonétique demeure le parent pauvre des cours de FLE. 2.1. Les indices phoniques du style ou la variation invisible L’apprenant ne dispose pas de toutes les références sociales nécessaires pour décrypter les nuances de la variation stylistique. C’est donc par l’apprentissage qu’il doit se les construire (Gadet, 2001). Bien que le 6. Bien que l’intérêt d’un apprentissage en immersion ne soit pas remis en cause, tous les apprenants n’ont pas l’occasion de faire un séjour linguistique à l’étranger. 7. La notion de norme évoquée ici recoupe la déinition de standard donnée dans la note 4. 8. La « primauté » de la norme nous parait tout à fait légitime, vu le caractère particulier de l’apprentissage d’une langue étrangère. Cependant, cela ne jus- tiie pas le rôle marginal que l’on réserve à l’apprentissage du non-standard. roberto paternostro 108 phonique constitue un indicateur saillant pour le diaphasique (Gadet, 2007, p. 10) 9, il fait peu l’objet d’un apprentissage explicite en cours ou dans les manuels. La variation stylistique est le plus souvent abordée à partir d’exemples lexicaux, domaine dans lequel le changement de registre semble plus évident, car chaque item semble renvoyer à un style : argent / fric, femme / meuf, policier / lic, etc. (entre autres, Charliac & Motron, 2006, p. 109). La variation phonétique est complexe à déinir et à enseigner, et dificile à assigner à un registre. Les assimilations et les simpliications de la chaine parlée ou les liaisons facultatives, souvent associées au registre familier, apparaissent de fait autant dans une interaction entre amis que dans une conférence ou dans la parole publique (voir Lodge et coll., 1997). Les traits phonétiques ne peuvent donc pas être immé- diatement associés à un style de parole ou à une hiérarchie sociale. Ils sont plutôt à situer sur un continuum, et fonctionnent par cumul selon des paramètres complexes, en fonction de la distance / proximité com- municationnelle entre locuteurs (Koch & Œsterreicher, 2001) 10. C’est leur combinaison et leur fréquence dans une situation — et non un trait isolé — qui créent un accent ou un style. Ainsi, un contour intonatif montant-descendant, souvent associé à un accent de banlieue, passe inaperçu lorsqu’il est produit en contexte « inhabituel » et ne s’accompagne pas d’autres indices regardés comme typiques de jeunes de banlieue (Gadet & Paternostro, 2013). Dès lors, les traits phonétiques peuvent être appréhendés en tant qu’ensemble non hiérarchisé et non précatégorisé, ressource uploads/s3/ paternostro-2014.pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager