1 Fourier dans l’œuvre d’André Breton Intervention HSP 16 octobre 2021 par Henr

1 Fourier dans l’œuvre d’André Breton Intervention HSP 16 octobre 2021 par Henri Béhar Aujourd’hui, pour situer la présence d’un personnage dans l’œuvre complète d’un auteur, il existe une méthode toute simple si cette œuvre a été numérisée. Dans le cas présent, il suffit de se reporter au site Mélusine/Surréalisme, et de cliquer sur l’index/Concordance d’André Breton. Puis, ayant indiqué le nom recherché, on obtient une cinquantaine d’occurrences, avec la référence à l’œuvre et la pagination dans l’édition de la Pléiade. Il n’est pas possible d’obtenir le contexte élargi de chaque occurrence : la loi ne me permet pas de fournir cette œuvre avant 2036. Je me contenterai donc de situer brièvement Charles Fourier dans l’œuvre d’André Breton, avec un minimum de commentaires. Tout en constatant que ces références renvoient la plupart du temps à des œuvres très personnelles de Breton, et non à des manifestes où il s’exprime au nom du surréalisme. I. Fourier aux USA Depuis le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944, personne ne doute de la victoire. Ce qui autorise Breton à parler, dans Arcane 17, des régimes démocratiques et des partis revenus dans les bagages des militaires sans avoir rien appris ni rien oublié. Les nouvelles commencent à parvenir directement de la France libérée. Envoyé spécial du quotidien Combat, Sartre effectue un séjour à New York à partir de la mi-janvier 1945. Au cours d’un assez long entretien avec Breton, celui-ci lui confirme que ses anciens amis Aragon, Éluard, Picasso tiennent le haut du pavé. Les staliniens s’emparent des réseaux d’information. Breton en déduit que son retour en Europe serait prématuré. La paix revenue le 8 mai 1945, c’est l’époque où Breton se prend de passion pour Charles Fourier, le théoricien de l’harmonie universelle. Il s’intéresse plus au penseur des lois d’attraction et d’analogie qu’à l’économiste. Son ombre «ௗfrénétiqueௗ» apparaît dans Arcane 17 au côté d’autres socialistes. L’article de Breton sur Arshile Gorky, à l’occasion de son exposition à la galerie Julien Lévy en 1945, constitue la matrice de l’Ode à Charles Fourier, par le biais de l’analogie (SP IV 589). Les 5 volumes des Œuvres complètes de Fourier l’accompagnent durant le voyage qu’il effectue dans l’Ouest américain avec Elisa. Ils se rendent d’abord à Reno, la capitale du jeu, dans le Nevada, bien connue pour les facilités qu’elle offre aux couples désireux de divorcer et de se remarier sur-le-champ. AB écrit à B. Péret, de Reno, le 1ᵉʳ juillet 1945 : «ௗje passe quelques semaines à Reno, qui sont le temps minimum exigé par la procédure de divorce. Je t’annonce donc par cette lettre mon mariage avec Elisa qui aura lieu le 30 juillet très exactement. De là nous rentrerons à New York par l’Arizona et le Nouveau-Mexique de manière à pouvoir assister à quelques festivals indiens.ௗ» (Correspondance, p. 230) Il entreprend alors un long poème, qu’il intitulera Ode à Charles Fourier. «ௗC’est dans le jardin de la pension qui nous abritait, ma future femme et moi, que j’ai commencé à écrire l’Ode indique Breton à son commentateur, Jean Gaulmier. Il se peut qu’elle participe de la si singulière atmosphère de Reno où les “machines à sous”, […] tapissent les murs, tant des magasins d’alimentation que des bureaux de poste, et qui agglomèrent tant bien que mal la 2 foule de ceux qui aspirent à une autre vie conjugale, aux cow-boys et aux derniers chercheurs d’or.ௗ» Les trois mouvements du poème reflètent les circonstances du voyage. Au plan international, on commence à découvrir la réalité des camps d’extermination nazis, l’Europe a subi un hiver d’une rigueur inconnue, les jours de disette se prolongent, la première bombe atomique souffle Hiroshima le 5 août, et reviennent «ௗindigence, fourberie, oppression, carnageௗ». Confronté à ces désastres, le système socialiste de Fourier demeure opératoire. Renversant la vapeur poétique, le deuxième mouvement du poème, très prosaïque, pointe ce qu’il en reste. Le troisième mouvement éclaire l’analogie entre le bonheur présent et l’avenir de l’humanité : «ௗC’est au plus haut période de l’amour électif pour tel être que s’ouvrent toutes grandes les écluses de l’amour pour l’humanité non certes telle qu’elle est mais telle qu’on se prend à vouloir activement qu’elle devienne.ௗ» (OC III, 358) Des différentes étapes de son parcours, Breton salue le philosophe. Du grand cañon du Colorado, de la forêt pétrifiée, du Nevada des chercheurs d’or et des villes fantômes, et pour finir, du centre de la chambre souterraine et sacrée des Indiens hopis, le «ௗ22 août 1945 à Mishongnoviௗ». La date et le lieu inscrits dans le poème ont leur importance. Ils marquent l’intérêt de Breton pour le destin et la culture des Indiens pueblos. Des notes inédites, ornées de dessins, en témoignent (OC III, 183-209). Il relève ce qui concerne les végétaux, les maisons, les coutumes, en particulier les danses de la Vache et du Serpent, dont il consigne brièvement les évolutions, les costumes des danseurs, leurs bijoux, tout en regrettant le trouble qu’apportent les touristes. Le couple est accompagné par un jeune ethnologue, et Breton s’appuie sur les observations précédentes des savants. S’il lui arrive de comparer la pensée des initiés à l’attitude surréaliste, son regard se veut neutre, objectif. Il rapporte un ensemble de poupées katchinas, mais les Hopis se refusent à lui vendre leurs masques. Quant aux Zunis, on prétend qu’ils peuvent aller jusqu’à tuer le Blanc qui serait trouvé en possession d’un de leurs masques. «ௗJe n’ai pas abandonné l’idée de relater les impressions si vives que j’ai éprouvées dans leurs villages (Shungopavi, Wolpi, Zuni, Acoma) où j’ai pu me pénétrer de leur dignité et de leur génie inaliénables, en si profond et bouleversant contraste avec la condition misérable qui leur est faiteௗ», dira-t-il dans ses Entretiens (OC III 561), en s’insurgeant contre le déni de justice des Blancs à leur égard. Pourtant ni ce livre de voyage, qui aurait nécessité d’abondantes reproductions, ni l’ouvrage Les Grands Arts primitifs d’Amérique du Nord, conçu en 1947 pour la galerie Jeanne Bucher, avec la collaboration de Lévi-Strauss, Robert Lebel et Max Ernst, ne virent le jour de son vivant. Ils auraient mis en évidence le regard précurseur de Breton sur les sociétés amérindiennes, tout en satisfaisant un rêve de toujours au cours de ce voyage au Nouveau- Mexique. En somme, Elisa, Fourier, les Indiens Hopis participent d’une même attraction passionnelle : la quête d’un bonheur individuel dans l’harmonie sociale. 3 II L’ANTHOLOGIE DE L’HUMOUR NOIR Après l’Ode à Charles Fourier, l’individu apparaît explicitement dans l’Anthologie de l’humour noir, mais seulement dans l’édition de 1950, avec d’autres ajouts. Auparavant, Breton devait en traiter dans s 4ᵉ conférence prévue le 25 janvier 1946, consacrée aux penseurs sociaux : Saint-Simon, Enfantin et «ௗl’immenseௗ» Fourier, dont Breton écrit : «ௗLes passions, selon Fourier sont universelles et bonnesௗ; l’ascétisme se trompe en les niant, et c’est sur les passions que devrait s’établir la société future. C’est précisément le refrènement -- on dirait aujourd’hui le refoulement des passions qui fait les vices. Ces vices disparaîtront dans une bonne organisation sociale où les passions ne seront plus combattues mais encouragées et ou il faudra veiller à leur judicieuse utilisation.ௗ». Il traite ainsi de «ௗl’attraction passionnée ou révélation sociale permanente […] la projection enthousiaste de [l’amour] dans toutes les autres sphèresௗ» (OC III, 357) – ce qui revient à placer, en toute conscience, l’amour au centre même de toute l’Harmonie fouriériste. L’éloge de la passion et du désir, de tous les désirs – contre la discipline marxiste – n’en continuera pas moins de relier au surréalisme le cœur du message de Fourier, jusqu’à placer le réformateur sous le signe de «ௗla liberté absolueௗ» (OC III, 265). Le conférencier se demande quelle part d’humour teinte ses excès d’imagination prophétique, alliés à un savoir si sûr qu’il pourrait être lié à la tradition hermétique. Si Fourier se révèle «ௗimmenseௗ» aux yeux de Breton, c’est parce qu’il «ௗopère la jonction cardinale entre les préoccupations qui n’ont cessé d’animer la poésie et l’art depuis le début du XIXᵉ siècle et les plans de réorganisation sociale qui risquent fort de rester larvaires s’ils persistent à ne pas en tenir compteௗ» (OC III, 598). Particulièrement sensible à cette position – analogue à celle que le surréalisme aura voulu incarner tout au long du XXᵉ siècle – le poète s’efforcera dès lors de situer l’utopiste au cœur de ce romantisme dont lui-même se disait le «ௗsuzerainௗ» (OC III, 264). Le comparant à Nerval ou scrutant l’influence qu’il put avoir sur Eliphas Lévi puis Victor Hugo (OC III, 267ௗ; OC II, 910), il n’hésite pas, pour lui «ௗrendre les honneurs auxquels il a droitௗ», à s’opposer au jugement de Baudelaire (OC II, 911). Enfin, en ces années soucieuses d’explorer l’héritage hermétiste, et comme pour mieux le situer au confluent de toutes les sources du surréalisme, il ne manquera pas d’interroger ses rapports avec ce qu’il nomme ici «ௗla philosophie hermétiqueௗ» (OC II, 910), ailleurs «ௗla persistante vitalité d’une conception ésotérique du mondeௗ» (OC III, 740). Fourier entendait «ௗrefaire l’entendement humainௗ» (OC II, 910). Dans les années 1946- 1947, uploads/s3/ fourier-dans-loeuvre-dandre-breton-bat.pdf

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