es débats actuels en économie monétaire Pascal Le Merrer, PRAG en économie à l’
es débats actuels en économie monétaire Pascal Le Merrer, PRAG en économie à l’ENS Lettres et Sciences humaines de Lyon (69) L’économie monétaire a longtemps été marquée par les querelles doctrinales entre classiques, keynésiens et monétaristes, mais depuis les années 1980, les théories centrées sur l’offre et la demande de monnaie ont été relayées par des analyses qui se focalisent sur les questions de crédibilité, de règle, de transparence, d’asymétrie d’information, d’identifications des canaux de transmission de la politique monétaire, de stratégies de réduction des risques macroéconomiques. Peut-on en déduire l’émergence d’un nouveau paradigme en économie monétaire ? C’est une question importante car ces nouvelles analyses influencent la conduite des politiques monétaires dans une période où la politique budgétaire semble en retrait. On attend donc beaucoup de la conduite de la politique monétaire aujourd’hui, non seulement la stabilité des prix mais la gestion des tensions financières et l’accompagnement des mutations structurelles… Comme le rappelle Jérôme Boyer « La pensée monétaire trouve sa sève dans l'histoire des faits et des débats monétaires et bancaires. Bien que ni les classiques au dix-neuvième siècle, ni les néo-classiques aujourd'hui, ne parviennent à intégrer correctement la monnaie dans leurs théories économiques, on n'ignore pas tout de la monnaie. La connaissance existe, cependant elle est autant historique qu'analytique. Dans le domaine de la monnaie, l'expérience et les leçons du passé comptent. Les banquiers et les politiques ont dû gérer la monnaie, les économistes la penser, malgré son extériorité aux théories dominantes du marché » [1]. Cet effort pour penser les phénomènes monétaires et financiers a pris une importance particulière à partir des années 1970 avec la crise du SMI, l’accélération de l’inflation, les innovations financières, la crise de la dette des PED puis les multiples crises financières des années 1990. On constate aujourd’hui que les économistes sont convaincus qu’une nouvelle pensée monétaire émerge, ainsi, Joseph Stiglitz et Bruce Greenwald annoncent dans leur dernier livre un « nouveau paradigme » en économie monétaire : « Cet ouvrage peut-être considéré comme une contribution à une nouvelle science économique institutionnelle » [2]. De son côté, Jean-Paul Pollin commençait sa conférence présidentielle en 2004 lors du Congrès de l’AFSE en se donnant pour objectif de montrer que « les travaux récents sur des règles de taux d'intérêt ont renouvelé la théorie de la politique monétaire au point que l'on puisse parler d'une véritable refondation. Car, ce ne sont pas seulement la nature des instruments ou les conditions de mise en œuvre de la régulation monétaire qui se trouvent reconsidérés. Plus profondément, c'est la façon dont on conçoit le rôle de la monnaie dans la formation et la maîtrise de l'équilibre économique » [3]. Ce n’est donc pas seulement la théorie monétaire, mais la conduite de la politique monétaire qui est repensée comme le montre l’exemple d’Alan Greenspan qui, pendant les dix-huit années à la direction de la réserve fédérale américaine, a réalisé un basculement de la logique monétariste à l’action discrétionnaire centrée sur la communication, la gestion du risque et l’anticipation des changements structurels. Il nous faut donc suivre les étapes du renouvellement de la macroéconomie monétaire pour préciser comment ont évolué les approches des canaux de transmission de la politique monétaire afin d’identifier la place aujourd’hui de la monnaie dans la macroéconomie. Le renouvellement de la macroéconomie monétaire La critique de la théorie keynesienne de la demande de monnaie Keynes, dans la Théorie Générale, présente une théorie monétaire en rupture avec la théorie quantitative de la monnaie qui trouve son expression la plus complète dans l’ouvrage d’Irving Fisher de 1911, The Purchasing Power of Money (Le pouvoir d’achat de la monnaie). Rappelons que la théorie quantitative de la monnaie est une théorie de la demande de monnaie. Elle explique la quantité de monnaie détenue pour un niveau donné de revenu global. Pour cette théorie, le taux d’intérêt n’a pas d’effet sur la demande de monnaie. Irving Fisher développa une approche en terme de revenu qui est résumée dans « l’équation des échanges » : MV = PY (M : offre de monnaie ; V : vitesse de circulation de la monnaie ; P : niveau général des prix ; Y : le produit global), avec V constante. Il en résulte que la variation du niveau général des prix résulte d’une modification de la quantité de monnaie. La demande de monnaie Md = 1/V x PY avec 1/V = k (le taux de liquidité de l’économie) qui est constant. Donc la demande de monnaie est déterminée par le niveau du revenu nominal. Pour Keynes, la vitesse de circulation de la monnaie n’est pas constante, car la demande de monnaie est influencée par le taux d’intérêt. Cette théorie de la demande de monnaie conduit à écrire la fonction de la préférence pour la liquidité Md/P = f (i, Y) avec Md/P qui est la demande d’encaisses réelles ; le taux d’intérêt i est relié négativement à la demande d’encaisses réelles alors que le revenu réel Y est relié positivement à cette demande d’encaisses réelles. Donc, si le taux d’intérêt augmente, les agents économiques détiennent moins d’encaisses réelles pour un niveau de revenu donné ce qui augmente la vitesse de circulation de la monnaie. Dans le prolongement des analyses de Keynes, William Baumol et James Tobin construisent dans les années 1950 des modèles de demande de monnaie où les encaisses monétaires détenues par les agents non financiers sont influencées par le taux d’intérêt. Si ces modèles améliorent l’explication de la demande de monnaie pour motif de transaction et de précaution, ils n’arrivent pas réellement à progresser pour justifier la demande de monnaie pour motif de spéculation. Mais en 1956, Milton Friedman énonce une nouvelle théorie de la demande de monnaie dans un article intitulé « The Quantity Theory of Money : a Restatement » (La théorie quantitative de la monnaie : une reformulation). Friedman ne part pas comme Keynes des motifs de la demande de monnaie, mais de la théorie de la demande d’actifs. Pour cette théorie, la demande de monnaie des agents est fonction de leur richesse et du rendement des autres actifs comparés à la monnaie. La demande d’encaisses réelles est donc fonction de la richesse (le revenu permanent), du rendement anticipé des différents actifs et du taux d’inflation anticipé (si ce dernier augmente cela réduit la demande de monnaie car on préfère détenir des actifs qui ne sont pas dépréciés par l’inflation). Pour Milton Friedman, contrairement à Keynes, les variations de taux d’intérêt ont peu d’effets sur la demande de monnaie et les fluctuations de la demande d’encaisses sont faibles (la vitesse de circulation de la monnaie est alors facilement prévisible). Finalement, Friedman retrouve le résultat de la théorie quantitative : la monnaie est le principal déterminant de la dépense globale. Les travaux empiriques sur la demande de monnaie montrent que l’influence du taux d’intérêt n’est pas négligeable mais avec une intensité variable selon les pays. Enfin, on constate que la demande de monnaie dans les pays développés est de plus en plus instable depuis 1973 (rôle des innovations financières). Anticipations rationnelles et nouveaux keynesiens Robert Lucas publie en 1976 un article « Econometric Policy Evaluation : a Critique » où il montre que les modèles économétriques (fondés sur des équations estimées à l’aide de procédures statistiques) ne peuvent pas évaluer correctement les effets des politiques économiques car les agents adaptent leurs anticipations lorsque le comportement des variables anticipées est modifié. S’il y a un changement de politique économique, les agents utilisent différemment l’information pour prévoir l’avenir, ce qui va entraîner une modification de la relation entre les anticipations et le comportement économique des agents ; résultat, les équations du modèle économétrique ne seront plus valables car le comportement des agents aura changé. Une même politique économique pourra avoir des effets différents. Par exemple, si les agents anticipent qu’une hausse du taux d’intérêt de court terme (politique monétaire restrictive) est temporaire, l’effet sur le taux de long terme sera faible et inversement si les agents pensent que cette hausse sera durable. Cette approche sera développée par les nouveaux classiques (Thomas Sargent, Robert Barro, Edward Prescott, Neil Wallace, Patrick Minford…) qui vont construire des modèles avec prix et salaires parfaitement flexibles. Ces modèles montrent que si la politique économique est anticipée par les agents, elle n’a pas d’effet sur le produit global (proposition d’inefficacité de la politique économique). Un effet réel ne peut venir que d’une politique économique non anticipée. Par exemple, une politique monétaire expansionniste peut engendrer une baisse du produit global : si les agents ont anticipé une politique monétaire plus expansionniste que celle effectivement mise en œuvre, la demande globale augmentera moins que ne le pensent les autorités monétaires, les offreurs ayant anticipé une hausse des prix, l’offre globale se déplace, ce qui peut conduire à un équilibre offre globale – demande globale à un niveau de prix plus élevé avec un niveau de produit global inférieur au niveau initial. Conclusion : les politiques discrétionnaires sont inefficaces, voire néfastes car elles créent une incertitude source d’erreur d’anticipation uploads/Finance/ es-debats-actuels-en-economie-monetaire.pdf
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- Publié le Mai 28, 2021
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