Université Panthéon-Assas Centre Thucydide ANNUAIRE FRANÇAIS DE RELATIONS INTER
Université Panthéon-Assas Centre Thucydide ANNUAIRE FRANÇAIS DE RELATIONS INTERNATIONALES 2015 Volume XVI PUBLICATION COURONNÉE PAR L’ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES (Prix de la Fondation Edouard Bonnefous, 2008) L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE ET LE PROGRAMME DE DOHA POUR LE DÉVELOPPEMENT Le multilatéralisme en mal de renouvellement par Mehdi ABBAS (*) et Christian DEBLOCK (**) C’est au terme de la 4e conférence ministérielle, qui s’est tenue à Doha du 9 au 14 novembre 2001, dans le contexte particulier post-attentats du 11 septembre 2001, que fut lancé un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, placé sous le sceau de l’engagement unique et devant se conclure en 2005 au plus tard. Le Programme de Doha pour le développement (PDD) avait pour premier objectif l’intégration des pays en développement dans un « système commercial multilatéral ouvert [et] fondé sur des règles [dans des conditions qui] correspondent aux besoins de leur développement économique ». Quinze années plus tard, force est de constater que ce programme ambitieux peine à aboutir. Après avoir été suspendues entre 2006 et 2008, les négociations sont toujours « dans l’impasse » malgré la réussite en demi-teinte de la conférence ministérielle de Bali (décembre 2013), le « Paquet de Bali » ne couvrant que 10% du mandat de Doha. Alors que l’OMC célèbre son vingtième anniversaire et que le PDD est dans sa quinzième année, il nous semble opportun d’analyser les déterminants structurels et institutionnels de l’enlisement des négociation et de nous interroger sur les perspectives qui s’ouvrent au système commercial multilatéral post-Bali. Comme le soulignent A. Narlikar et P. Van Houten, « le temps depuis lequel les négociations sont dans l’impasse signifie qu’il est peu probable qu’une explication mono-causale soit suffisante » (1). Toutefois, une thèse prédomine. Elle impute cette situation à un problème d’action collective que viendrait renforcer l’application du principe du consensus et de la (1) Amrita Narlikar / Pieter Van Houten, « Know the enemy: uncertainty and deadlock in the WTO », in A. Narlikar (dir.), Deadlocks in Multilateral Negotiations. Causes and Solutions, Cambridge University Press, Cambridge, 2010. (*) Maître de conférences en Economie à l’Université de Grenoble Alpes (France). (**) Professeur d’Economie à l’Université du Québec à Montréal (Canada). 740 MEHDI ABBAS ET CHRISTIAN DEBLOCK règle de l’engagement unique (2). L’OMC serait ainsi victime à la fois de son succès et de son universalisme. De son succès, parce qu’elle compte désormais 160 membres (18 accessions depuis 2001). De son universalisme, dans la mesure où la règle du consensus explicite, qui confère à chaque Etat membre un droit de veto, et le principe « un Etat, une voix » s’avèrent peu propices aux grandes décisions. Aux dires de ceux qui invoquent l’argument, ce facteur de blocage pourrait être dépassé, notamment en introduisant une forme de pondération dans les prises de décision et en réformant les pratiques de négociation (3). Certes, la thèse du nombre est pertinente : l’OMC tenant son mandat de ses membres, ces derniers ont l’exclusivité de la proposition et de leurs stratégies et décisions dépend l’issue d’une négociation. Cette thèse est cependant réductrice des problèmes que traverse actuellement l’organisation. D’une part, elle souffre d’être « inward looking » (4), c’est- à-dire centrée exclusivement sur la gouvernance de l’Organisation et les dysfonctionnements de son mode opératoire (consensus et engagement unique). D’autre part, elle néglige la conflictualité de négociations dont les conséquences productives et distributives sont toujours majeures pour les pays qui y participent (5). De plus, la durée n’est cependant pas synonyme de crise ou de paralysie (6), d’où notre préférence pour le terme d’enlisement : le régime OMC demeure fonctionnel par bien des aspects, dont celui, stratégique, de règlement des différends (douze différends résolus par an en moyenne). Elle ne renvoie pas non plus à une « inertie institutionnelle » (7), l’OMC ayant connu, sur la période 2001-2014, de (2) Thomas Cottier / Satoko Takenoshita, « The balance of power in WTO decision-making: towards weighted voting in legislative response », Aussenwirtschaft, n° 58, 2003, pp. 171-196 ; Robert Lawrence, « Rulemaking amidst growing diversity : a ‘club of Clubs’ Approache to WTO reform and new issue selection », Journal of International Economic Law, vol. IX, n° 4, 2006, pp. 823-835 ; Debra Steger, « The future of the WTO: the case for institutional reform », Journal of International Economic Law, vol. XII, n° 4, 2009, pp. 803- 833. (3) Richard B. Porter (dir.), Efficiency, Equity and Legitimacy. The Multilateral Trading System at the Millennium, Brooking Institution Press, Washington, 2001 ; WTO, The Future of the WTO : Addressing Institutional Challenges in the New Millennium, Genève, OMC, 2004 ; Deborah Cass, The Constitutionalization of the World Trade Organization: Legitimacy, Democracy and Community in the International Trading System, Oxford University Press, Oxford, 2005 ; Ernst-Ulrich Petersmann (dir.), Reforming the World Trading System: Legitimacy, Efficiency and Domestic Governance, Oxford University Press, Oxford, 2005 ; Warwick Commission, The Multilateral Trade Regime: Which Way Forward, University of Warwick, Coventry, 2007 ; Debra Steger (dir.), WTO. Redesigning the World Trade Organization for the Twenty-First Century, Wilfrid Laurier University Press, Ottawa, 2010. (4) Joost Pauwelyn, « New trade politics for the 21st century », Journal of International Economic Law, vol. XI, n° 3, 2008, pp. 559-573. (5) A l’instar de l’analyse de Will Martin / Patrick Messerlin, « Why is it so difficult? Trade liberalization under the Doha Agenda », Oxford Review of Economic Policy, vol. XXIII, n° 3, 2007, pp. 347-366. (6) Jagdish Bhagwati fait du blocage une caractéristique majeure des négociations commerciales multilatérales, ce qui le conduit à relativiser le discours catastrophiste sur la paralysie du système, in « Don’t cry for Cancún », Foreign Affairs, vol. LXXXIII, n° 1, 2004, pp. 52-63. (7) Rorden Wilkinson, « The WTO in crisis: exploring the dimension of institutional inertia », Journal of World Trade, vol. XXXV, n° 3, 2001, pp. 397-419. L’OMC et le Programme de Doha pour le développement 741 nombreuses innovations institutionnelles et organisationnelles (8). Aussi préférons-nous avancer une autre hypothèse : celle de la dissonance entre l’institution et le système qu’elle encadre. La dissonance s’explique par les transformations systémiques de l’économie mondiale depuis 1995 et leur articulation à la façon dont les Etats membres, d’une part, construisent leur rapport aux principes du régime commercial et, d’autre part, perçoivent les enjeux des négociations en termes de richesse et de puissance. D’où le problème de dissonance entre la « grammaire générative » (9) du régime OMC (non discrimination, réciprocité, leadership) et le système que l’OMC a la charge de réguler. Ce problème apparaît à deux niveaux. Le régime OMC reste attaché à des principes fondateurs (non-discrimination et réciprocité) qui ne répondent plus de façon efficiente aux réalités d’une économie mondiale de plus en plus intégrée et à la perception qu’ont les Etats membres des problèmes économiques internationaux auxquels ils sont confrontés. Cette perception est fondamentale, l’OMC étant à la fois member-driven et bargain-driven. C’est le premier niveau. Le second renvoie, quant à lui, au binôme réciprocité et leadership, dont l’efficacité est érodée par les nouveaux rapports de puissance que dessine la globalisation. En orientant la discussion dans ces deux directions, nous montrerons pourquoi et comment l’enlisement du Cycle de Doha n’est ni la conséquence d’un dysfonctionnement interne ni le résultat d’une insuffisance de concessions commerciales. Il résulte plutôt d’un double changement : dans les structures de l’économie politique mondiale, d’une part, et dans les stratégies de réaction des grands acteurs, les anciens comme les nouveaux, à cette nouvelle configuration structurelle d’autre part. Trois sections organisent cet article. Nous reviendrons tout d’abord sur le déroulement du Programme de Doha pour le développement (PDD) : ce cadrage factuel vise à faire ressortir les insuffisances de la négociation lancée en 2001, particulièrement pour ce qui est de son contenu « développement » ; cette insuffisance conduira à une réévaluation, par les Etats membres, de l’intérêt de la négociation et à une contestation de sa capacité à dégager un compromis pro-développement. La deuxième section prolongera l’analyse en l’ouvrant sur la substance du régime OMC et sa grammaire générative devenue obsolète : l’héritage du précédent cycle est ici fondamental pour expliquer la réaction des Etats membres à l’évolution du PDD. La troisième section portera sur les stratégies d’acteurs qui, dans un contexte de transformation, fondent l’économie mondiale : l’absence de leadership dans les négociations, couplée à la problématique de la (8) Pour un detail, cf. Carolyne Deere Birkbeck, « Development-oriented perspective on global trade governance: a summary of proposals for making global trade governance work for development », in Carolyn Deere Birkbeck (dir.), Making Global Trade Governance Work for Development, Cambridge University Press, Cambridge, pp. 612-613. (9) John G. Ruggie, « International regimes, transactions, and change: embedded liberalism in postwar economic ordrer », International Organization, vol. XXXVI, n° 2, 1982, pp. 417-456. 742 MEHDI ABBAS ET CHRISTIAN DEBLOCK réciprocité, constitue une autre défaillance de la grammaire générative du régime OMC. L’enlisement du cycle de Doha ou l’impossible articul ation globalisation-développement En lançant à Doha un nouveau cycle orienté vers le développement, les Etats membres de l’OMC uploads/Finance/ multilateralisme-omc-eco-monde-pvd.pdf
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- Publié le Fev 18, 2021
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