LA GAUCHE TUNISIENNNE ET SON GRAND RECIT Table PREMIERE PARTIE. ENCORE UNE FOIS

LA GAUCHE TUNISIENNNE ET SON GRAND RECIT Table PREMIERE PARTIE. ENCORE UNE FOIS SUR LA NATURE DE LA SOCIETE ET LE CARACTERE DE LA REVOLUTION I - Deux thèses erronées La Tunisie semi-féodale et semi-coloniale La Tunisie du capitalisme dépendant II - La Tunisie est-elle capitaliste ? III - Les transitions sont toujours ambigües IV - Le poids de la répression policière V - Crise du marxisme, crise de la pensée critique DEUXIEME PARTIE. LE SYSTEME RENTIER VI - Définitions : rente, oligarchie rentière, système rentier VII - Le système rentier : capitaliste ou précapitaliste ? VIII - L’oligarchie dans ses rapports avec les groupes sociaux IX - Le système rentier dans l’histoire économique X - Système rentier et dépendance Première étape : 1956-1969 Deuxième étape : 1970-1986 Troisième étape : 1987-1994 Quatrième étape : 1995-2010 Cinquième étape : 2011-2020 - L’oligarchie rentière comme nouvelle classe dirigeante - Un rôle grandissant pour l’excroissance mafieuse - Les nouveaux compradors - Un paysage social sinistré - Le piège mortel de la dette s’est refermé Pour conclure 1 PREMIERE PARTIE ENCORE UNE FOIS SUR LA NATURE DE LA SOCIETE ET LE CARACTERE DE LA REVOLUTION Lorsque l’on s’engage en politique, la première question à résoudre est celle des amis et des ennemis. Dans la politique politicienne, où l’on se bat pour accéder au pouvoir ou y pour rester, l’objectif n’est jamais de changer l’ordre social existant, mais simplement d’améliorer sa place en son sein. C’est la raison pour laquelle la question des amis et des ennemis reste soumise à des considérations purement tactiques. De ce fait, les démarcations sont d’une extrême versatilité. Les adversaires et les alliés d’un jour ne seront jamais les mêmes le lendemain ; tout dépend des gains immédiats que l’on espère retirer d’un nouveau positionnement. Dans l’action révolutionnaire, en revanche, où l’on se bat pour changer le système, le problème se pose en termes entièrement différents. Ici, les amis et les ennemis ne se limitent pas aux partis politiques se disputant le pouvoir. On les détermine d’abord en fonction du statut – dominant ou dominé, exploiteur ou exploité, inclus ou exclu – qu’occupent les acteurs sociaux (classes, couches, catégories) dans le régime économique. Sont alors réputés amis les acteurs dont les intérêts exigent la transformation de ce régime, et déclarés ennemis ceux dont les intérêts s’opposent à cette transformation. Dans l’activité révolutionnaire, l’objectif ultime est toujours le changement social, jamais le seul changement des majorités parlementaires et des équipes gouvernementales. Le mouvement révolutionnaire définit son orientation générale à partir de la distinction entre amis et ennemis. Cela concerne aussi bien sa stratégie – son but final – que ses tactiques – les buts immédiats correspondant aux diverses étapes de développement de son action. Lorsque la ligne générale est correctement arrêtée, la progression du mouvement est assurée, malgré les difficultés inévitables rencontrées en chemin. Par contre, si la ligne est établie de manière erronée, le mouvement aura beau prendre toutes sortes d’initiatives, déployer de gros efforts, s’agiter à outrance et même parfois remporter quelque succès, il n’en sera pas moins condamné à plus ou moins brève échéance. Sans ligne correctement fixée, il est voué à la marginalisation, à force de tâtonner en vain, dans le noir le plus total, comme l’ivrogne dont les mains tremblantes s’acharnent à ouvrir une porte avec la mauvaise clé. Tel est malheureusement le cas aujourd’hui dans de nombreux pays, où la gauche radicale évolue sans référentiels adéquats, ses anciens repères ne fonctionnant plus et les nouveaux repères faisant toujours défaut. Cette gauche en crise ne parvient plus à s’implanter parmi les classes populaires. Et reste confinée à l’intérieur d’un cercle social restreint – celui de la jeunesse scolarisée et des professions intellectuelles –, le seul à pouvoir être séduit et mobilisé, du moins un certain temps, par des formules idéologiques gratifiantes, mais sans effet tangible sur les rapports de force politiques réels. I - DEUX THESES ERRONEES Pour définir les amis et les ennemis, il faut partir de l’analyse de la structure de classes de la société et d’une compréhension correcte de la nature du système économique qui détermine cette structure de classes. Par rapport à ces derniers points – le type de société et de système économique – la gauche tunisienne se réclamant du marxisme souffre d’un double handicap : - Elle est divisée autour de deux représentations diamétralement opposées : pour la mouvance patriotes-démocrates, c’est la thèse « semi-féodale, semi-coloniale » ; pour la mouvance POCT, c’est la thèse du « capitalisme dépendant » –, une fracture née dans les années 1970-1980 et jamais résorbée depuis ; 2 - Les thèses sont opposées, mais les deux sont également fausses, parce que ni la première ni la seconde ne correspond à la réalité économique et sociale du pays. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi aucune n’a pu l’emporter sur l’autre, malgré les années passées : l’erreur ne peut pas corriger l’erreur. A vrai dire, de nombreux militants n’accordent plus beaucoup de foi à ces conceptions vieillies et usées. Certains en parlent même avec un peu de moquerie, tant elles paraissent en décalage avec leur propre expérience. Ces conceptions dépassées n’ont cependant jamais été soumises à un vrai travail de déconstruction critique, ce qui explique qu’elles restent encore influentes dans divers milieux, malgré le discrédit dont elles souffrent. Ce travail de déconstruction critique ne présente pourtant aucune difficulté insurmontable. Et il est nécessaire : on ne bâtit pas le neuf sans détruire le vieux. Commençons par la thèse de la Tunisie « semi-féodale et semi-coloniale ». La Tunisie semi-féodale et semi-coloniale Ce n’est pas le deuxième segment de l’expression, le caractère semi-colonial, qui pose problème. Notre pays est dominé par l’étranger. A la limite, il importe peu que cet état d’asservissement soit qualifié de semi-colonial, de néocolonial ou de toute autre manière. La réalité de la dépendance est avérée : on peut la désigner comme on veut, cela ne change rien de fondamental à l’affaire. Ce qui doit retenir l’attention dans l’expression, c’est le premier segment, le caractère semi-féodal. D’où vient une telle notion ? Serait-ce un concept scientifique, le résultat théorique logique d’une analyse concrète de la société et de l’économie tunisiennes ? Non. La formule est directement tirée du lexique de la révolution chinoise du début du siècle dernier et, plus spécifiquement, d’un texte de Mao Tsé-toung de 1926, intitulé « Analyse des classes de la société chinoise ». Sur quels critères objectifs s’appuyait Mao Tsé-toung – dans ce texte et dans ses écrits ultérieurs – pour qualifier la Chine de son époque de pays semi-féodal ? Voici les principaux traits mis en évidence : - L’existence d’une classe de gros propriétaires fonciers puissante, dominant l’Etat et exerçant son ascendant sur l’ensemble du corps social ; - Une économie nationale marquée par la primauté absolue de la production agricole ; - La prépondérance des rapports serviles (non marchands et non monétaires) dans l’économie rurale ; - Une population active composée à une majorité écrasante de paysans (paysans sans terre, paysans pauvres, petits et moyens paysans…). A partir de ce constat de base, la classe des gros propriétaires fonciers était désignée comme le principal adversaire intérieur de la révolution démocratique, et la paysannerie comme le premier ami et allié, comme la principale force motrice de cette même révolution démocratique. C’est de cette évaluation qu’est issue (après des années de controverses internes) la stratégie établie par le PCC. Elle consistait à organiser en priorité les paysans et à les armer, pour lancer, à travers leur insurrection, une vaste campagne politico- militaire d’encerclement des villes par la campagne, jusqu’à la prise du pouvoir central à Pékin, la capitale. Pareille stratégie était-elle conforme aux données réelles de la situation en Chine ? Il faut croire que oui, puisqu’elle a réussi. Etait-elle pour autant transposable dans la société tunisienne des années 1970-1980, lorsque furent conçues les premières formulations de la thèse « semi-féodale, semi-coloniale » parmi les groupes qui allaient donner naissance au mouvement des Patriotes-démocrates ? Non, certainement pas. En Tunisie, à ce moment déjà : - Les gros propriétaires fonciers n’avaient quasiment pas de présence au sein de l’Etat et n’exerçaient aucune influence notable sur ses choix politiques ou économiques ; - Sur le plan démographique, la paysannerie avait vu ses effectifs fondre et son poids dans la population active considérablement baisser (plus de 60% en 1956 ; moins de 30% en 1980 ; autour de 15% aujourd’hui) ; 3 - La part relative de la production agricole dans l’économie nationale avait elle aussi diminuée dans des proportions équivalentes ; - Le servage avait définitivement disparu des grandes propriétés. (Il ne subsistait, à l’état de vestige dégradé, que dans les petites exploitations familiales et concernait principalement le travail non rémunéré des femmes, dénommées « aides familiales » dans les statistiques officielles) ; - Enfin, l’essentiel de la population vivait maintenant en zone urbaine ou péri-urbaine. Définir une société de ce genre comme semi-féodale était proprement saugrenu, comme était saugrenue l’idée d’attribuer aux gros propriétaires fonciers tunisiens le uploads/Finance/caracteristiques-du-systeme-economique.pdf

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  • Publié le Mar 31, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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