PAUL LÉAUTAUD CHEZ MIRBEAU EN MAI 1914 [Dans le Fonds George Besson de la Bibli
PAUL LÉAUTAUD CHEZ MIRBEAU EN MAI 1914 [Dans le Fonds George Besson de la Bibliothèque Municipale de Besançon1, Chantal Duverget, docteur en histoire de l’art, a découvert des notes manuscrites inédites de Paul Léautaud, prises au retour d’une visite à Triel, chez Mirbeau, le 16 mai 1914. Nous remercions vivement Chantal Duverget d’avoir transcrit ces notes à notre intention et de nous avoir autorisés à les publier. P. M.] Ces notes de Léautaud sont restées à l’état brut, car il n’a apparemment pas jugé bon de les retranscrire et de les développer dans son Journal littéraire comme il en avait l’habitude : du samedi 9 mai 1914, il passe en effet au lundi 18 mai et expliquera par la suite : « Quel dommage que le premier feu de mon histoire avec Mme Cayssac2 m’ait fait négliger de noter par le détail cette visite3 ». Il n’en rappellera pas moins, le 19 février 1917, à l’occasion des obsèques de l’écrivain, une visite qui l’a visiblement marqué, à une époque où Mirbeau est déjà très affaibli par la maladie et manifeste nombre de symptômes de la vieillesse, bien qu’il n’ait que 66 ans : « Quand j’allai, sur son invitation, le voir à Triel, et déjeuner avec Georges [sic] Besson, [Alice Mirbeau] ne parut point. Quand il achetait un tableau, il le donnait en garde à un ami, disant : “Je l’entrerai quand elle ne sera pas là4.” Il avait quelquefois des mots énormes. Le jour de notre visite à Triel, à Besson et à moi, il vint nous chercher à la gare dans une sorte de carriole. Nous étions à peine assis : “Oh ! vous savez, j’ai découvert un garçon de ce pays ! Il ne sait même pas lire. Un talent ! Un talent…” De même, nous faisant admirer les plantations de son jardin, et comme en effet nous admirions : “Hein ! c’est fameux. Des choux ! des choux, pas autre chose5 !” » Comme le rappelle Léautaud, c’est George Besson qui a servi d’intermédiaire et a introduit son confrère à Triel. L’affaire semble s’être faite en deux temps. Le 15 avril 1914, Léautaud note dans son journal : « Reçu ce soir la visite de Georges Besson, le directeur des Cahiers d’aujourd’hui. Il m’a parlé de Mirbeau. Mirbeau lit mes Chroniques. Il a été enchanté de la Chronique sur les poétesses6. Il dit très souvent : “Ah ! il faudra pourtant que j’invite Léautaud à venir me voir.” J’ai dit à Besson que j’aurais grand plaisir à aller voir Mirbeau, seulement que me retient toujours la crainte de l’importuner. Il est convenu que le mois prochain nous prendrons rendez-vous pour aller ensemble à Triel7. » Le 12 mai, Léautaud est donc allé voir Besson, afin de se mettre d’accord sur la journée du 16 mai 1914 à passer de conserve Triel-sur-Seine, chez leur illustre aîné. 1 Manuscrit Fonds Besson Ms.Z.639. 1249. 1.&2. 2 Anne Cayssac a été, pendant dix-neuf ans, la maîtresse – mariée – de Léautaud, qui, voyant en elle une emmerdeuse carabinée, tout en se livrant avec elle à toutes sortes de polissonneries consciencieusement rapportées dans Le Petit ouvrage inachevé, l’appelait souvent, avec sa coutumière amabilité, « le Poison », « la Panthère » ou encore « le Fléau ». 3 Paul Léautaud, Journal littéraire, Mercure de France, 1956, tome III, p. 233. 4 C’est en cachette d’Alice qu’Octave avait jadis acheté au Père Tanguy deux toiles de Van Gogh, Les Iris et Les Tournesols, qu’il prétendait lui avoir été offertes par le vieux marchand de couleurs… 5 Paul Léautaud, Journal littéraire, tome III, p. 239. Cette admiration pour les choux rapproche Mirbeau de Camille Pissarro, le peintre des choux… 6 Mirbeau était très hostile à celles qu’on appelait « les bas bleus », comme l’illustre caricaturalement sa provocatrice chronique intitulée ironiquement « Propos galants sur les femmes » (Le Journal, 1er avril 1900). Certes, il s’est un temps entiché d’Anna de Noailles, sur les conseils de Léon Blum (voir À Léon Blum », L’Humanité, 11 septembre 1904), mais il est vite revenu de son initiale ferveur et il a ridiculisé la poétesse, entourée de sa cour d’adoratrices – mais sans la nommer – dans le dernier chapitre de La 628-E8 (1907). Voir Nelly Sanchez et Pierre Michel, « Le Courrier d’une neurasthénique – Une lettre inédite d’Anna de Noailles à Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 18, 2011, pp. 178-182. 7 Paul Léautaud, Journal littéraire, tome III, p. 162. Entre les deux jeunes écrivains, le courant est visiblement passé très vite, puisque Léautaud ira jusqu’à envisager, en 1922, de faire de Besson le légataire de ses papiers : « Lundi 3 avril. - [...] J’ai oublié de noter qu’avant-hier samedi matin, Besson étant venu me voir au Mercure, je lui ai parlé de mon intention de l’instituer mon héritier littéraire, c’est-à- dire de lui léguer mes papiers : manuscrits, journal, lettres, fragments parus dans des revues ou articles parus de même, avec mission de les publier, les droits d’auteur devant aller à Madame Cayssac. Il a déclaré accepter, et même avec grand plaisir8. » Leurs relations ont commencé dix ans plus tôt, en octobre 1912. Le 26 de ce mois, Léautaud écrit en effet dans son Journal littéraire : « Ce matin, au Mercure, visite d’un M. Georges Besson, envoyé à moi par Mirbeau. Il vient de fonder et dirige une revue : Les Cahiers d’aujourd’hui. Ce que j’ai écrit sur Claudel9 a enthousiasmé, paraît-il, Mirbeau, qui a jadis aimé Claudel, il me semble bien10, et je l’ai dit à ce M. Besson, mais aujourd’hui ne peut plus le voir. Ce M. George Besson venait me demander si je ne voudrais pas donner à sa revue un autre article sur le même sujet. J’ai répondu que le temps me manque absolument pour des travaux à côté, et que mon petit article du Mercure contient à peu près tout ce que j’ai à dire, sans bavardages. Il paraît que Mirbeau continue à parler souvent de moi, qu’il a exprimé plusieurs fois le désir de me voir de temps en temps, que mon nom est de la dizaine de noms qu’il prononce avec sympathie. J’ai expliqué à ce M. Besson que j’ai eu à plusieurs reprises l’intention d’aller voir Mirbeau, me disant qu’il est malade, qu’il peut mourir, et que j’aurai des regrets alors de n’avoir pas montré plus de cordialité, de souci, à un homme qui a été si gentil pour moi11, que toujours les scrupules à l’importuner, sachant son horreur grandissante de la société, des bavardages, aussi l’ignorance de la façon qu’on peut le voir, m’ont chaque fois arrêté. Que j’irais avec plaisir, surtout le sachant en meilleure santé. Ce M. George Besson m’a répondu qu’il ne serait pas étonnant que Mirbeau m’écrive dès maintenant d’aller le voir à Triel.12 » Au lendemain de la guerre, Besson sollicitera de Léautaud une collaboration à la nouvelle série de ses Cahiers d’aujourd’hui. Il y fera d’abord paraître un élogieux article d’André Billy, en décembre 1921, puis republiera In memoriam, dans les numéros 4 et 5, mais Léautaud n’en aura que du « désenchantement », trouvant que cet écrit ne comporte pas les qualités propres à ses chroniques du Mercure. Ce qui n’empêche pas Besson de l’« accabler de compliments » : « Il trouve tout cela admirable. Je lui ai dit : “Eh ! bien, c’est que vous n’avez aucun sens critique littéraire.” Nous avons bien ri tous les deux13. » Leurs relations amicales se poursuivront pendant la Deuxième Guerre Mondiale, ainsi que l’atteste une anecdote comme les aimait Mirbeau. À Saint-Claude, George Besson est sollicité par Léautaud qui, se souvenant opportunément que son ami était marchand de pipes (Besson travaillait encore pour la coopérative “La Pipe”), le prie instamment, en 1944, de 8 Paul Léautaud, Journal littéraire, tome III, p. 25. Le 29 mars, il écrivait déjà : « Je pense depuis quelques jours à faire de George Besson mon héritier littéraire pour tous mes papiers à publier ou mes articles ou récits autobiographiques à réunir en volumes, les droits d’auteur allant à la Panthère. Elle manque trop de ce qu’il faut pour s’occuper du côté littéraire de mes affaires » (ibid., p. 23). 9 C’est dans sa chronique du Mercure de France du 1er octobre 1912 que Léautaud règle son compte à Paul Claudel, en rendant compte de l’édition de son Théâtre en quatre volumes inutilement prolixes, où les personnages se donnent les uns aux autres d’« éloquentes leçons de catéchisme » : « M. Paul Claudel offre de la beauté, nous dit-on. Jamais ne fut mieux prouvé que beauté peut être différent d’intelligence ». Pour Léautaud, ce « diseur de peu de choses » a un « style de fonctionnaire » (p. 635)… 10 C’est Marcel Schwob qui a servi d’intercesseur auprès de Mirbeau et lui a fait découvrir Tête d’Or, qui l’a alors enthousiasmé et dont il a fait une lecture anarchisante. 11 En 1903, Mirbeau avait pensé à Léautaud pour uploads/Geographie/ chantal-duverget-et-pierre-michel-paul-leautaud-chez-mirbeau-en-mai-1914.pdf
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- Publié le Jul 21, 2022
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