COOPERATION SUD-SUD AU SENEGAL DEPUIS dix ans, les plus gros contributeurs ont
COOPERATION SUD-SUD AU SENEGAL DEPUIS dix ans, les plus gros contributeurs ont tous diminué leur aide publique au développement. Une baisse que sont loin de compenser les investissements privés. De son côté, en mettant fin au « système » découlant de la convention de Lomé, l'Union européenne abandonne tout volontarisme au profit du seul soutien à l'ouverture des marchés. Face à ces régressions, les pays du Sud ont entrepris des coopérations bilatérales qui donnent parfois de surprenants résultats. Sur la digue d'une rizière, deux Vietnamiens coiffés du casque vert des soldats de Hanoï observent une rangée des femmes, qui procèdent méthodiquement au repiquage du riz sous un soleil de plomb. La vision est familière, à ceci près que la scène se passe à des milliers de kilomètres des deltas du Mékong et du fleuve Rouge. On est ici dans l'extrême nord du Sénégal, au bord du fleuve éponyme, dans le village de Dado, région de Podor, sur un site pilote de riziculture irriguée de 18 hectares. Ici, grâce à l'expertise vietnamienne, à des semences adaptées et à l'apprentissage de la maîtrise de l'eau, on est passé, en deux ans, de 4 à 5 tonnes à l'hectare dans les parcelles villageoises à 7 à 8 tonnes dans les rizières pilotes. Avec des pointes à 9 tonnes (1). La zone potentielle de culture pour ce village de six cents habitants étant de 95 hectares, et de deux récoltes par an, l'abondance paraît à portée de main. Elle se fait pourtant attendre. A des centaines de kilomètres de là, à N'Diémou, un village de la région de Fatik situé dans une cuvette qu'une eau saumâtre inonde quatre mois par an, c'est de riziculture pluviale, de loin la plus répandue au Sénégal, qu'il est question. Là aussi, deux experts vietnamiens travaillent avec les villageois répartis en trois groupes (hommes, femmes et jeunes) à l'aménagement de bassins rudimentaires. En tout 5 hectares de terre craquelée, de canaux et de digues. L'enseignement est simple et les techniques élémentaires. On apprend à contrôler l'eau, à choisir les semences adaptées parmi des dizaines de variétés et à les stocker. Ou encore à mieux semer et à combiner riziculture et pisciculture dans les bassins inondés. Un ensemble de techniques indispensables et peu coûteuses que les villageois ignoraient il y a encore deux ans. Et cela malgré l'aide au développement massive dont le Sénégal a bénéficié depuis des décennies ! Les projets réalisés collectivement - digues, canaux et vannes - sont modestes et bon marché. Et fabriqués à la main. Ici, pas de matériel coûteux. Aucune commune mesure, en tout cas, avec les 5 millions de francs CFA (50 000 francs) qu'une entreprise privée demandait pour creuser un simple canal à la pelle mécanique. Résultat : en 1999, N'Diémou a récolté 25 tonnes de paddy, soit 5 tonnes à l'hectare. Du jamais vu ! « Avant, dit Hassan, président du groupement villageois, on faisait 700 à 800 kilos à l'hectare dans les bonnes années. Aujourd'hui nous sommes presque autosuffisants. » Pour stocker les récoltes, le village s'est doté de silos en fer galvanisé, fruit d'une coopération avec des experts boliviens. Fabriqués localement, ils coûtent de 300 à 600 francs, selon la capacité. Le président du groupement est confiant. Les villageois ont bien assimilé l'enseignement des Vietnamiens. Ils envisagent même d'aménager une dizaine d'hectares supplémentaires et de commercialiser une partie de la production. Reste que, dans l'immédiat, la population de N'diémou ne tient pas à voir partir les experts de Hanoï. Elle n'est pas la seule. La présence de Vietnamiens dans des villages du Sénégal est la manifestation exemplaire d'une coopération entre pays du Sud, mise en place par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) dans le cadre de son Programme spécial pour la sécurité alimentaire (PSSA). Lancé en 1994, ce dernier entend donner la priorité absolue aux « 800 millions d'habitants des pays en développement [qui] ne disposent pas de nourriture suffisante pour mener une vie saine et active ». Destiné aux pays à faible revenu et à fort déficit vivrier, il vise à satisfaire les besoins des populations en suscitant le développement rural et une amélioration des cultures vivrières. Le programme met l'accent sur les procédés qui respectent l'environnement tout en étant techniquement appropriés et économiquement viables. Le Programme spécial favorise une coopération adaptée, faite de petits projets bon marché, de techniques simples et de promotion de l'économie villageoise. Le Sénégal a été l'un des premiers pays à bénéficier du PSSA et de sa composante Sud-Sud, un partenariat aujourd'hui opérationnel dans une quarantaine de pays, dont vingt-trois en Afrique. Il était, si l'on peut dire, un candidat idéal. Et pas seulement parce que le directeur général de la FAO, M. Jacques Diouf, ingénieur agronome et ancien ministre, est un enfant du pays. Mais aussi parce qu'un tiers de sa population, soit deux millions et demi de personnes, vivent en dessous du seuil de la pauvreté et que les trois quarts de ses besoins en riz, plus de 500 000 tonnes, sont importés tous les ans alors que le pays devrait, depuis longtemps, être autosuffisant. Pendant des décennies, c'est l'Etat qui a défini les grandes lignes d'une politique agricole fortement subventionnée. Elle a fait la part belle aux investissements d'infrastructure et aux aménagements hydroagricoles coûteux dans la vallée du fleuve Sénégal et en Casamance. Une stratégie qui s'est traduite par un échec doublé d'une injustice. « Le secteur irrigué Fleuve et Casamance, explique l'un des coordinateurs du PSSA au Sénégal, M. Makane Guissé, a absorbé jusqu'à 80 % des crédits à la riziculture alors qu'il représente à peine 16 % de la population. Or il n'a jamais donné les résultats escomptés. Dans le même temps, le secteur pluvial, qui représente l'essentiel de la population et de la production agricole, a été laissé pour compte. » Après les échecs répétés de la politique agricole, il était devenu urgent, ces dernières années, d'inverser les priorités. Et cela d'autant plus que des mesures de libéralisation draconiennes étaient imposées au secteur agricole, en 1994, dans le cadre de l'ajustement structurel, sous la pression de la Banque mondiale et des bailleurs de fonds. Le temps des projets ruineux et des « éléphants blancs », ces réalisations dispendieuses et souvent ingérables, mais imposées d'en haut, est dépassé. Place à une approche minimaliste, au terrain et aux experts bon marché. « On sait par expérience que ce qui part d'en haut arrive rarement en bas et n'est de toute façon pas ou peu adapté au niveau et aux besoins des villages », estime le directeur de la FAO, pour qui « le principe de la coopération Sud-Sud vise à inverser le schéma au moindre coût. A partir de la base pour influencer les échelons supérieurs dans leurs choix, et provoquer des réactions en chaîne dans d'autres domaines. » Des projets modestes mais constructifs MAIS de coûteuses habitudes perdurent, qu'il faut éliminer. Là-dessus, M. Diouf est sans ambiguïté. « Dans le monde entier, dit-il, la structure des projets est telle que de 10 % à 20 % des fonds partent systématiquement en études. Et il n'est pas rare qu'un seul pays ait des dizaines de projets, de plusieurs millions de dollars chacun, en cours. Pourtant, le résultat est là : ça ne marche pas. La réalité, c'est que les populations continuent à payer les erreurs du passé. C'est que le Sénégal importe encore 500 000 tonnes de riz chaque année après avoir englouti des fortunes dans de nombreux projets. » « Moi, s'exclame-t-il, je refuse de mettre le peu d'argent qu'a l'organisation dans des expertises et des projets coûteux. » Il cite le cas d'une « énième » étude sur l'agriculture sénégalaise, qui a coûté 8 millions de dollars, et ironise : « Dans notre programme un poulailler coûte 15 dollars. » Dans le même ordre d'idées, M. Diouf explique qu'un expert du Sud embauché dans le cadre du PSSA touche environ 600 dollars par mois, alors qu'un expert international, souvent occidental, en coûte de 15 000 à 30 000. De vingt-cinq à cinquante fois plus ! « Et pour ce prix-là, non compris les frais de voyage, cet expert-là ne reste guère plus de quelques jours sur le terrain et dort dans un hôtel climatisé tous les soirs. Les Vietnamiens, eux, vivent dans les villages sénégalais pendant deux années d'affilée. » En 1997, après la signature d'une convention tripartite Vietnam-Sénégal-FAO, une quarantaine d'experts vietnamiens sont arrivés dans le cadre d'un programme pilote PSSA lancé en basse Casamance et dans la vallée du fleuve Sénégal, pour le bénéfice d'une soixantaine de groupes de paysans. Avec pour principal objectif d'augmenter les rendements et la productivité rizicoles. Mais pas seulement. Les coopérants de Hanoï animent d'autres projets, qui n'ont rien de spectaculaire mais qui améliorent l'ordinaire et favorisent l'autosuffisance des foyers ruraux. Et qu'importe si, à leur arrivée, ils ne parlent pas français : « la vulgarisation des techniques se fait très bien par les gestes et par l'exemple », souligne M. Nguyen Duc Thao, chef de uploads/Geographie/ cooperation-sud-sud-au-senegal.pdf
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- Publié le Jul 15, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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