17 Introduction : la France, un objet géographique ancien mais aujourd’hui prof

17 Introduction : la France, un objet géographique ancien mais aujourd’hui profondément renouvelé La géographie, en tant que discipline scientifi que au même titre que l’histoire, la sociologie ou la philosophie, a connu depuis le XIXe siècle, moment où elle a acquis son statut de « science », d’importantes évolutions dans la manière de s’écrire, de se penser et d’aborder les grandes problé- matiques de l’organisation des sociétés humaines dans l’espace, ce qui n’est pas allé sans débats, voire polémiques, non seulement entre les géographes mais aussi entre la géographie et les autres sciences dites « de l’homme ». En d’autres termes, la géographie a connu au cours des deux derniers siècles des débats épistémologiques majeurs, l’épistémologie, terme emprunté à la philosophie, étant la réfl exion portée sur une science, ses objets d’étude, ses concepts et ses notions, sa manière d’écrire et de s’écrire, et de se penser. 1. La France au cœur de l’école française de géographie (fi n du XIXe siècle-années 1960) L’expression « école française de géographie », qualifi ée aussi parfois de « classique », désigne les premières décennies, à partir des années 1870-1880, au cours desquelles la géographie devient en France une discipline scientifi que et universitaire à part entière, et acquiert un certain nombre de traits caractéristiques dans ses objets et ses notions, accordant par exemple beaucoup de place à l’étude des paysages, aux éléments naturels ou physiques et, évidemment, à la France. On parle aussi souvent d’une géographie « vidalienne », du nom de Paul Vidal de la Blache, véritable père fondateur de la géographie française qui marque durablement de son empreinte la discipline. C’est donc dans la seconde moitié du XIXe siècle que la géographie se structure, en France, comme discipline scientifi que à part entière, avec ses spécialistes, ses revues spécialisées, ses postes de professeurs dans les universités (chaires universitaires), ses programmes d’enseignement dans les écoles, etc. Plusieurs facteurs expliquent cette mutation majeure, et l’intérêt pour la géographie nationale, celle de la France, en constitue le cœur. Avec le choc de la défaite de 1870, nombreux sont ceux qui essaient d’en chercher les causes dans tous les domaines, et l’école est alors accusée de ne pas avoir assez bien préparé les petits Français à être de bons patriotes. Un rapport offi ciel, rédigé par deux géographes de renom, Émile Levasseur et Louis-Auguste Himly, pointe les trois grandes faiblesses du système éducatif : absence d’enseignement des langues étrangères, manque d’intérêt pour l’éducation physique et sportive, et surtout un niveau déplorable des élèves en géographie, qui ne connaissent rien ou presque 18 de la géographie de leur pays… parce que leurs enseignants eux-mêmes ont en ce domaine des lacunes abyssales. L’histoire et la géographie, particulièrement celles de la France, étant unani- mement considérées à l’époque comme des matières fondamentales à l’école primaire permettant d’inculquer aux jeunes élèves le patriotisme, ce rapport produit un véritable électrochoc au plus haut sommet de l’État. C’est ainsi que dès les années 1870 d’importantes réformes sont engagées, en particulier celle qui réforme en profondeur les universités en 1872 en s’inspirant de ce qui se fait en Allemagne, et que l’enseignement de l’histoire et de la géographie, en particulier celles de la France, est systématisé à tous les niveaux du système éducatif, du primaire jusqu’au bacca- lauréat. Cet eff ort institutionnel considérable se poursuit et s’amplifi e jusqu’aux années 1890-1900 : création de programmes d’enseignement nationaux, recrutement massif de professeurs spécialisés, notamment à travers l’agrégation d’histoire, publication de manuels scolaires rédigés par des historiens et des géographes de renom, etc. La demande scolaire invite donc les géographes à un important eff ort de publications scienti- fi ques, dans les revues et à travers des ouvrages, pour diff user le savoir scientifi que à destination des professeurs du primaire et du secondaire, qui ont besoin d’être formés, et plus largement du grand public. De nombreux livres de géographie et des atlas sont ainsi publiés, majoritairement sur la France, tandis que des revues spécialisées de géographie sont créées, la première étant les Annales de géographie en 1891. Un homme joue un rôle central dans cette organisation de la discipline géographique : Paul Vidal de la Blache (1845-1918), resté célèbre par son Tableau de la géographie de la France qui, en 1903, constitue l’introduction de l’Histoire de France, immense ouvrage en plusieurs volumes dirigé par l’historien Ernest Lavisse. L’infl uence de ce géographe est telle qu’il est courant de parler de « vidalisme », diff usé surtout par les nombreux géographes qu’il a formés et qui vont perpétuer son œuvre. Le vidalisme règne ainsi sans partage sur la géographie jusqu’aux années 1960 ; cette période dite « classique » se caractérise par quelques dominantes : une domination de la – géographie régionale, c’est-à-dire la rédaction de monographies étu- diant en détail un pays ou une région ; la France, notamment du fait de la demande scolaire, y occupe une place centrale. Ces monographies fi nissent par devenir très standardisées, avec un plan « type » en trois étapes : d’abord les « caractères généraux » (situation, peuplement, etc.), ensuite la géographie physique souvent très développée (reliefs, cours d’eau, climats, sols, etc.), enfi n les formes de mise en valeur par l’homme (agriculture, voies de communication, etc.) ; une grande réticence à théoriser, c’est-à-dire qu’ils préfèrent « collectionner » les études de – cas régionales mais sans en faire une synthèse théorique permettant de dégager des points communs voire des modèles d’organisation de l’espace ; une géographie – très descriptive qui accorde une place capitale aux paysages ; une géographie – éclatée, qui se scinde rapidement en deux branches rivales, la géographie physique d’une part et la géographie humaine d’autre part, la première dominant pour longtemps la seconde (voir chapitre 5). 19 2. Une rupture épistémologique majeure dans les années 1970 Dans les années 1970, la géographie française, qui a fi ni par devenir très sclérosée et routinière, connaît des changements majeurs qui constituent indiscutablement une vraie rupture épisté- mologique. On parle souvent d’une « nouvelle géographie », par opposition à la géographie « classique » ou vidalienne, qui est d’abord apparue aux États-Unis dès les années 1920 où, à l’initiative de l’école de Chicago, c’est-à-dire d’une équipe de chercheurs de l’université de Chicago composée majoritairement de sociologues, la ville devient un objet d’étude scientifi que ; ils analysent en eff et l’organisation sociale et spatiale des villes et, autre nouveauté capitale, ils proposent des modélisations. C’est par exemple Burgess qui, en 1925, explique que les villes américaines sont organisées en auréoles concentriques du centre vers les périphéries. Mais c’est surtout dans les années 1950 et 1960 où les recherches innovantes se multiplient aux États-Unis, remettant en cause la géographie traditionnelle. En France, cette infl uence et d’autres commencent à se faire véritablement sentir dans les années 1970, surtout après Mai 68 qui contribue à remettre en cause beaucoup de certitudes. C’est ainsi que de nouvelles revues sont créées, par exemple L’Espace géographique (1972) ou EspaceTemps (1976), et que les nouvelles orientations de la recherche géographique sont introduites dans les programmes scolaires de l’enseignement secondaire notamment à l’initiative du géographe Roger Brunet. De nouveaux champs de recherches se développent, par exemple la géographie sociale, surtout appliquée aux villes, ou la géopolitique à l’initiative d’Yves Lacoste. En outre, l’approche de la géographie elle-même évolue : alors que la France était jusque-là abordée sous un angle très vidalien, avec les inévitables premiers chapitres sur le relief et le climat, puis une longue succession plus ou moins indigeste des diff érentes activités, les « nouveaux géographes », notamment Roger Brunet, introduisent les principes de l’analyse spatiale et de la systémique c’est-à-dire une réfl exion théorique bien plus solide que celle des géographes vidaliens qui se contentaient bien souvent de leurs monographies régionales. C’est ainsi que de nombreux concepts, utilisés couramment aujourd’hui, commencent à se répandre en géographie (centres, périphéries, mondialisation, métropolisation, etc.) et que des modèles sont élaborés, par exemple celui de l’organisation de l’espace des îles tropicales (voir chapitre 4). Cette rupture épistémologique crée cependant beaucoup de divisions et de polémiques, à tel point que l’on désigne la période qui va jusqu’à la fi n des années 1990 comme celle de la « crise » de la géographie, dont les cicatrices ne sont pas totalement refermées aujourd’hui. 20 3. Aujourd’hui, une approche sans cesse renouvelée du territoire français La géographie française affi che aujourd’hui un grand dynamisme et une réelle diversité des approches et des champs d’études, au risque cependant d’un éclatement et d’une perte d’unité. La géographie de la France, devenue un grand classique dans le domaine scolaire et universitaire, notamment parce qu’elle est présente dans les concours de recrutement des professeurs d’his- toire-géographie, connaît depuis une dizaine d’années des renouvellements importants liés aux profondes mutations qui aff ectent le territoire à toutes les échelles : les géographes étudient ainsi aujourd’hui toutes les facettes de ces transformations, à toutes les échelles et pour tous les acteurs spatiaux, dans une grande diversité d’approches comme le uploads/Geographie/ extrait 11 .pdf

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