Fiche de l’Irsem n° 5 : “Les complexes conflictuels régionaux” mai 2010 9 pages
Fiche de l’Irsem n° 5 : “Les complexes conflictuels régionaux” mai 2010 9 pages Fiche de l’Irsem n° 5 Les complexes conflictuels régionaux Sihem DJEBBI Pour citer ce document : Sihem Djebbi, “ Les complexes régionaux de sécurité” Fiche de l’Irsem n° 5, mai 2010, 9 pages http://www.irsem.defense.gouv.fr/spip.php?article74 ²²²²²²²²²² Fiche de l’Irsem n° 5 : “Les complexes conflictuels régionaux”. mai 2010 1 9 pages LES « COMPLEXES CONFLICTUELS RÉGIONAUX » La multiplication des conflits intra-étatiques depuis la fin de la guerre froide, qui ont tendance à se pérenniser, être plus complexes à résoudre et faire énormément de victimes civiles, a conduit de nombreux chercheurs et spécialistes des « war studies » à étudier les dynamiques de ces crises. Cette littérature s’est cependant longtemps focalisée soit sur une approche interne et stato-centrée, soit sur une approche globale. Depuis la fin des années 1990s, une approche alternative tend cependant à se développer autour du concept de « complexe conflictuel régional ». Elle accorde une attention particulière aux dynamiques régionales de conflit en apparence ou initialement intra-étatiques, et promeut une approche régionale dans leur prévention et résolution. Elle tente à la fois de déterminer les logiques régionales d’ingérences dans la crise interne (facteurs de spill-into) ainsi que les facteurs de débordement régional (facteurs de spill-over). Ces recherches souligner que lorsque différents conflits coexistent au sein d’une région, ils ont tendance à s’influencer et interagir, voire à se renforcer mutuellement et à se diffuser dans des zones jusqu’alors non affectées. De tels conflits ne pourraient donc plus être compris séparément, mais seulement en rapport avec leur contexte régional. Cette fiche précisera d’abord le contexte historique d’émergence du concept de CCR ainsi que ses affiliations avec d’autres théories (« complexe régional de sécurité », « nouvelles guerres ») et approche des relations internationales (transnationalisme). Elle déclinera ensuite les paramètres constitutifs du concept (militaires, sociaux, économiques et politiques) et déterminant l’émergence de ce type de configurations. Enfin, un point sur l’état actuel de la recherche sur les CCR permettra de mettre en évidence les grandes lignes des débats et agenda de recherche relatif à ce concept. 1. CONTEXTE D’ÉMERGENCE DU CONCEPT DE CCR Entre le global et le national : la région comme échelle intermédiaire d’analyse Émergence de l’entité régionale dans les Relations Internationales En dehors des travaux sur les « communautés de sécurité » de Karl Deutsch, et sur les « islands of peace » de Joseph Nye, les approches régionales ont été amplement négligées dans la littérature sur la sécurité durant la guerre froide. Ce n’est que dans les années 1990s, principalement en Europe, que l’approche régionale a été incluse de manière plus significative dans les études de la sécurité, à travers les théories sur les « complexes de sécurité ». Cette approche remonte certes à 1983 avec l’ouvrage de Barry Buzan People, States and Fear, mais son essor et sa diffusion n’ont réellement marqué le champ des études sur la sécurité qu’après 1989-1991, reflétant l’intérêt post guerre froide pour la multipolarité et l’émergence de blocs économiques régionaux intégrés. Elle ne doit pas être confondue avec le « régionalisme », sous-champ des relations internationales qui s’est développé dans les années 1970s et principalement consacré aux intégrations régionales. La théorie des « complexes de sécurité » La théorie des « complexes de sécurité », qui a donné naissance à l’École de Copenhague, considère que le niveau systémique d’analyse de la sécurité internationale, qui se focalise sur quelques puissances majeures, ne suffit pas à rendre compte des problématiques sécuritaires les plus urgentes et importantes des États. En effet, leurs problèmes de sécurité les plus basiques dépendent davantage de leur voisinage immédiat que de superpuissances distantes. Les principales hypothèses de la théorie des complexes de sécurité soulignent que la sécurité s’inscrit dans des régions géographiquement et socialement construites, et que les problématiques de sécurité perdent de leur pertinence à mesure que la distance croît. L’interdépendance sécuritaire serait donc plus intense entre les acteurs au sein d’une même région qu’entre régions. Buzan définit le concept comme « un ensemble d’unités dont les processus majeurs de sécuritisation, désécuritisation ou les deux sont si inter-reliés que leurs problématiques de sécurité ne peuvent raisonnablement pas être analysés indépendamment les uns des autres ». Cette théorie suggère ainsi que le système international peut être divisé en unités régionales, au sein desquelles les interactions sécuritaires peuvent être soit conflictuelles (à travers la sécuritisation, c’est-à-dire la représentation de menaces existentielles donnant lieu à des politiques de défense ou d’hostilité, militaires ou non) ; soit coopératives (à travers la construction de ²²²²²²²²²² Fiche de l’Irsem n° 5 : “Les complexes conflictuels régionaux”. mai 2010 2 9 pages communautés de sécurité et de politiques communes de « désécuritisation », grâce à une normalisation des rapports). Les complexes de sécurité régionaux considèrent ainsi la région comme une entité territorialement cohérente, composée de groupes d’États partageant des frontières communes. En dehors de la géographie cependant, elle ne présente rien de nécessairement « primordial » en lien avec une culture ou des ethnies communes, ce qui compte étant l’intensité des interactions sécuritaires entre les unités. Dans cette perspective, les régions peuvent être considérées comme de mini-systèmes où toutes les autres théories des relations internationales peuvent être appliquées, telles que l’équilibre des puissances, la polarité, l’interdépendance, les systèmes d’alliances, etc. Dans cette théorie, Buzan opère une distinction entre cinq secteurs de sécurité : militaire, économique, politique, sociétale, environnementale1, qui fonctionnent en interaction. Alors que la première renvoie au postulat réaliste de la sécurité stato-centrée et internationale, les autres catégories sécuritaires permettent de décloisonner la problématique de la sécurité de la stricte approche étatique et institutionnelle, et d’élargir l’objet référentiel de la sécurité à la société, ce qui sera approfondi par le concept de CCR. Ce cadre conceptuel permet ainsi d’affranchir les études de sécurité des études stratégiques. Barry Buzan, People, States, and Fear: The National Security Problem in International Relations, Harvester Wheatsheaf : Hemel Hempstead, 1983 ; réédité en 1991 An Agenda for International Security Studies in the Post- Cold War Era, Londres, Longman, 1991. Barry Buzan et Ole Wæver, Regions and Powers: The Structure of International Relations Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 2003. Thierry Balzacq, « La sécurité : définitions, secteurs et niveaux d’analyse », in Fédéralisme, Régionalisme, Vol.4, 2003-2004. Les “complexes conflictuels régionaux” De nombreux chercheurs ont approfondi la théorie des complexes de sécurité, l’appliquant exclusivement aux régions marquées par un ou des conflits, alors définies comme des « configurations conflictuelles régionales », des « complexes conflictuels régionaux » ou encore des « formations conflictuelles régionales »2. Chacune de ces terminologies renvoie à une même approche s’intéressant à la fois aux dynamiques régionales d’infiltration dans la crise intra-étatique, et à celles de débordement régional des dynamiques internes. Les causes et les ramifications de la plupart des conflits « internes » s’inscriraient dans un espace transnational régional et créeraient un réseau complexe de causes et d’effets difficiles à appréhender à l’échelle strictement nationale ou globale. Le concept renvoie à des « ensembles de conflits transnationaux dont les liens se renforcent mutuellement au sein d’une région donnée, ce qui aboutit à des conflits plus longs et plus difficiles à résoudre », selon la définition de Barnett Rubin. Cette constellation de réseaux transnationaux régionaux est considérée comme plus significative que les réseaux externes, même si les entités étatiques sont également rattachées à la politique et à l’économie à l’échelle globale. En effet, le développement d’un conflit intra-étatique dans un État peut donner lieu à des mouvements et des contestations régionales relatives à un territoire, au pouvoir ou à des ressources, conduisant parfois à une déstabilisation des États voisins. De même, des rivalités régionales anciennes autour du pouvoir et du contrôle de ressources naturelles peuvent créer des tensions politiques transfrontalières, conduisant à un conflit régional. La diffusion et la perpétuation de la violence et de l’instabilité sont liées à des dynamiques transfrontalières d’ordre politique, militaire, économique, sociale, qui seront analysées plus loin. 1 La sécurité militaire renvoie à la capacité des États de conduire des offensives armées contre d’autres États, de faire face à une offensive armée provenant d’autres États, et à la perception des intentions des autres États. La sécurité économique renvoie à renvoie à l’accès et au contrôle de ressources matérielles, financières et commerciales nécessaires à la puissance de l’État. La sécurité politique concerne la stabilité organisationnelle des États, des systèmes de gouvernement et des idéologies qui les légitiment. La sécurité sociétale concerne la préservation ou le maintien de valeurs centrales comme la langue, la culture, la religion, l’identité nationale, les coutumes au fondement de la collectivité. Enfin, la sécurité environnementale renvoie à la préservation du milieu naturel. 2 Également parfois désignée par « guerre en réseau », une notion qui ne doit pas être confondue avec le concept de « network centric warfare », également traduit par « guerre en réseau », concept apparu dans les doctrines militaires après la guerre froide également, et qui décrit la manière de conduire une opération militaire en reliant entre elles différentes armées uploads/Geographie/ fiche-n5-complexes-conflictuels-regionaux.pdf
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- Publié le Fev 19, 2021
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