FICHE DE LECTURE : L’ART DE BÂTIR LES VILLES – L’urbanisme selon ses fondements
FICHE DE LECTURE : L’ART DE BÂTIR LES VILLES – L’urbanisme selon ses fondements artistiques Camillo SITTE, 1889 Editions du Seuil, Collection Essais, France, 1993, 188 pages Avant-propos Le travail de Sitte propose une analyse du tissu ancien et celle-ci fait de lui le créateur de la morphologie urbaine. Son livre ne concerne pas l’urbanisme dans sa dimension générale mais bien dans sa seule dimension « esthétique ». Il part d’un constat : la laideur de l’environnement urbain contemporain. Il cherche alors un « dénominateur commun, un secret constant, applicable aux tissus contemporains, […] des règles d’organisation1 ». Nous limiterons donc notre lecture à son approche des tissus anciens afin de les comprendre et de cerner ce qui fait, encore aujourd’hui, leur qualité indéniable. En revanche, nous ne chercherons pas à « appliquer » les règles proposées ici, pour deux raisons, elles ne concernent plus vraiment nos tissus contemporains, il serait maladroit d’importer des méthodes décontextualisées (spatialement et temporellement), et, il n’est plus de bon ton aujourd’hui de proposer une planification rigide de nos villes. Ce dernier point participe d’ailleurs en partie à l’appauvrissement de nos villes, comme souligné par Sitte lui-même : c’est la conception de la ville sur la planche à dessin plutôt qu’à l’échelle humaine2 qui crée en partie cette stérilisation de notre cadre bâti, créant des effets lisibles uniquement en plan et non plus à vue d’œil. Nous donnerons comme exemple préliminairee, à ce propos, ce plan d’un forum antique (voir Fig. 1 ci-dessous) qui révèle que les angles ne sont pas vraiment droits et les espacements des colonnes ne sont pas vraiment réguliers, mais qu’importe ! Pour le piéton, l’effet est grandiose (dans sa dimension esthétique). Sa démarche s’inspire de celle de Viollet-le-Duc qui dans ses Entretiens sur l’architecture3 cherche à promouvoir une architecture qui ne pastiche pas les formes et les styles du passé mais qui soit « de son temps », accordées aux exigences d’une société nouvelle. Ce point est encore d’actualité, il ne s’agit certainement pas de tendre vers une nostalgie des formes anciennes de nos villes. 1 Préface de Françoise Choay, p.II-III 2 Voir Jan Gehl, Pour des villes à échelle humaine, Editions Ecosociété, Montréal, 2012 3 Viollet-le-Duc, Entretiens sur l’architecture, Paris, 1863-1872, reprint Liège, Mardaga, 1977, voir en particulier les Entretiens 1 et 2 Le livre de Sitte s’intéresse essentiellement aux places, et non pas aux rues directement, cependant l’analyse morphologique met en avant des règles communes d’organisation, des relations constantes liant les pleins et les vides des tissus urbains qui sont « au fondement des espaces de convivialité ou encore d’urbanité que notre époque cherche en vain à créer4 ». Introduction Face à la mise en forme maladroite des places, parcelles et rues de nos villes actuelles, il s’agit ici de s’intéresser aux causes des effets esthétiques des cadres urbains du passé (entendons avant 1889), visité par Sitte lui-même5. Pour souligner l’importance de la composition urbaine, Sitte rappelle tout d’abord les mots d’Aristote, pour qui tous les principes de l’art de construire les villes se résument dans le fait qu’une cité doit offrir à ses habitants à la fois la sécurité et le bonheur.6 L’objet du livre est d’analyser une « série de villes anciennes et modernes du pur point de vue de la technique artistique, afin de mettre en évidence les principes de composition qui engendraient jadis de l’harmonie, […] et ne produisent aujourd’hui qu’incohérence et monotonie.7 » 4 Choay, ibid, p.V 5 Nous noterons l’importance de l’exploration urbaine et non pas une analyse uniquement basée sur des plans. 6 Aristote, La Politique, livre VII, chap. II : « C’est pourquoi il est bon de combiner ces deux façons de construire (irrégulière et régulière), et d’éviter de tracer au cordeau la cité tout entière, mais seulement certains secteurs et certains quartiers : ainsi sécurité et élégance seront harmonieusement mêlés. » 7 Sitte, p. 2 Chapitre I : Relations entre les édifices, les monuments et les places Au Moyen-âge et pendant la Renaissance les places urbaines jouaient encore un rôle vital dans la vie publique et, par conséquent, il existait encore une relation fondamentale entre ces places et les édifices publics qui les bordaient.8 Le cas de la Piazza della Signoria de Florence avec l’emplacement de la statue de David de Michel-Ange est l’un des exemples les plus spectaculaires des errements modernes, notamment piégé dans le carcan de la symétrie (développé plus loin). La statue de marbre est adossée au mur de pierre du Palazzo Vecchio, à gauche de l’entrée principale, à l’endroit choisi par Michel-Ange lui-même. « On pourrait parier sans risque de se tromper qu’aucune de nos commissions modernes n’aurait retenu cet emplacement. L’opinion publique tiendrait pour une plaisanterie ou une folie le choix d’un emplacement qui semble le plus insignifiant et le plus défectueux qu’on puisse imaginer.9 » Et pourtant ! Cet emplacement est remarquable, il crée un effet prodigieux, contrastant avec l’exiguïté relative de la place, et facilite la comparaison avec la taille des passants, la statue géante semblant alors croître encore dans ses dimensions. Avec ces premiers exemples (le Forum antique et la Piazza delle Signoria), Sitte nous montre que les Anciens disposaient leurs monuments et leurs statues sur le pourtour de leurs places, et non pas au centre. Ainsi il y a place pour des centaines de statues (et plusieurs monuments). La place rassemble plus qu’elle n’isole. Chapitre II : Le dégagement du centre des places Dans Vitruve, on peut lire que le centre de la place n’appartient pas aux statues mais aux gladiateurs. Nous pouvons tout à fait actualiser ce propos en énonçant que le centre de la place est pour le citoyen plus que pour l’équipement public. 8 Sitte, p.16 9 Sitte, p.19 Les maîtres du passé faisaient des merveilles sans considération inutile pour des règles esthétiques, alors que, pour notre part, armés de la règle et du compas, nous arrivons loin derrière eux.10 Sitte cherche à exprimer en mots les mécanismes de cette création non consciente qui produit des effets heureux. L’un des premiers constats traite du décentrement des attributs d’une place. Les fontaines et les monuments ne sont situés ni dans l’axe des voies de communication, ni au milieu des places, ni dans la perspective des portails principaux, mais de préférence à l’écart ; non pas dans le lit du trafic, mais plutôt sur l’une quelconque de ces sortes d’ « îles » qui sont placées entre les flux.11 Voir la place du marché de Nuremberg et celle de Rothenburg. Les fontaines au centre des places sont récentes, fondées sur des modèles symétriques. En les décentrant, on évite les flux et on crée un effet artistique heureux. Le second constat est lié aux églises : autrefois, surtout en Italie, on ne construisait jamais d’églises indépendantes et isolées des autres bâtiments. Ces encastrements sur un ou plusieurs côtés créent des places intéressantes. Voir San Giustina à Padoue ou la Piazza del Duomo à Vérone. 10 Nous pourrions étendre le propos en disant qu’avec toutes nos règlementations nous arrivons loin derrière aussi. 11 Sitte, p.26 Le seul objectif manifeste de cette disposition était de toujours ménager une place de bonnes dimensions devant le portail principal. A l’opposé, nos dispositions modernes, où le monument est au centre d’un espace uniformément vide est déjà fort ennuyeux en soi et il empêche aussi l’édifice de produire des effets variés.12 Nous vivons dans l’illusion que l’édifice entier doit être visible. Chapitre III : La fermeture des places Sitte présente différents systèmes de fermeture de places, qui pourtant ménage les vues et les flux. Cette analyse des places peut aisément s’étendre à nos rues : comment ferme-t-on une rue, de part et d’autre. Aujourd’hui, un terrain par le seul fait qu’il ne soit pas bâti est appelé place. Cela est peut- être exact selon des considérations d’hygiène ou de technicité (fonctionnalisme) mais du point de vue de l’art, Sitte indique que les divers exemples de son livre montrent bien qu’à l’intérieur d’une ville un espace libre ne devient une place que s’il est effectivement fermé. Cas le plus simple : un espace est taillé dans la masse des maisons. Voir San Giovanni à Brescia. Il est fait en sorte qu’au moins d’un des principaux points de vue sur l’édifice principal on obtienne l’image d’un espace clos.13 Lien entre rues et place : De nos jours, il est de règle qu’à chaque angle d’une place se coupent deux rues perpendiculaires afin, sans doute, d’isoler au maximum les différents « blocs » de maisons, et d’empêcher ainsi toute impression d’unité. Les Anciens appliquaient la règle exactement inverse : ils s’efforçaient de ne laisser aboutir à chaque angle de la place qu’une seule rue. Voir Piazza del Duomo, Ravenne ou Piazza San Pietro à Mantoue. Cette organisation permet que d’un point quelconque de la place on n’obtienne jamais qu’une seule échappée (ou interruption) dans la continuité des bâtis.14 12 P.32 13 P.36 14 Sitte, p.27-38 La porte voûtée à grandes ouvertures : Un motif souvent employé à des fins uploads/Geographie/ l-x27-art-de-batir-les-villes-c-sitte-fiche-de-lecture.pdf
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- Publié le Dec 09, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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