Cahiers d’Asie centrale 11/12 | 2004 Les Montagnards d’Asie centrale Le pastora
Cahiers d’Asie centrale 11/12 | 2004 Les Montagnards d’Asie centrale Le pastoralisme dans l’ouest de la Mongolie : contraintes, motivations et variations Peter Finke Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/asiecentrale/701 ISSN : 2075-5325 Éditeur Éditions De Boccard Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2004 Pagination : 245-265 ISBN : 2-7449-0429-5 ISSN : 1270-9247 Référence électronique Peter Finke, « Le pastoralisme dans l’ouest de la Mongolie : contraintes, motivations et variations », Cahiers d’Asie centrale [En ligne], 11/12 | 2004, mis en ligne le 23 juin 2009, consulté le 21 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/asiecentrale/701 © Tous droits réservés /245 Lepastoralismedansl’ouestdelaMongolie: contraintes,motivationsetvariations Peter Finke* Introduction La Mongolie est certainement l’une des régions archétypales du noma disme pastoral dans le monde. Ceci n’est pas surprenant si l’on examine les conditions naturelles du pays. Sa plus grande partie est occupée par de vastes steppes et déserts, parfois accidentés parfois plats, qui s’étendent à perte de vue. Les quelques monts qui rompent ces étendues plates culminent, à l’ouest dupays,danslachaînedel’Altay.Cettechaînemontagneuses’étendàlafois sur la Russie, la Chine et le Kazakhstan mais sa partie la plus importante se trouveenMongolie. Le pastoralisme constitue la principale activité économique des habitants del’ouestdelaMongoliedepuisau moinsdeux millénairesetdemi.Mêmesi les caractéristiques générales de cette activité présentent des similarités remar quables à la fois à travers le temps et à travers l’espace, il existe une grande variété de détails qui se manifestent dans la composition des troupeaux, dans la gestion des ressources pastorales et dans l’organisation sociale. Cet article décrit comment les gens habitant dans l’ouest de la Mongolie se sont adaptés à leur environnement naturel particulier et comment les modes d’adaptation ontchangéaveclestransformationspolitiquesetéconomiquesduXXesiècle. Les événements qui ont le plus influencé le mode de vie des éleveurs de l’ouest de la Mongolie sont d’une part la collectivisation et la réorganisa tion socialiste de l’économie entre 1960 et 1990 et, d’autre part, à partir des *MaxPlanckInstitut,Halle–Allemagne;finke@eth.mpg.de CAHIERSD’ASIECENTRALEN°1112,2003 246 / P. Finke années 1990 la réorientation vers l’économie de marché. Ces deux vagues de transformations ont changé non seulement les modes de propriété mais aussi les modes d’élevage, de transhumance et de commercialisation des produits animaliers. Il serait cependant erroné de penser que le système politique, qu’il soit socialiste ou capitaliste, était en mesure d’éradiquer les différences indivi duelles. Les hommes peuvent toujours choisir de respecter ou non les exi gences politiques, et les autorités locales reconnaissaient la complexité du phénomène pastoral en laissant souvent le choix final à l’éleveur individuel. D’autres facteurs que politiques pouvaient alors entrer en jeu. Les décisions individuelles concernant la gestion des troupeaux et les déplacements saison niers dépendaient en effet d’un grand nombre de critères comme les varia tions écologiques souvent très localisées, les motivations économiques, les obligations sociales ainsi que les préférences personnelles. Cet article essaie donc de rendre compte de la diversité des modes de vie pastoraux et du rôle des conditions politiques et macroéconomiques sur la formation des déci sionsetdesstratégiesindividuelles. LaMongolieoccidentale:lepaysetleshommes Avant de présenter l’organisation de l’élevage pastoral, je vais présen ter brièvement la région et les hommes qui y habitent. J’utilise le terme de «Mongolie occidentale» pour désigner les trois provinces de Bayan Ölgiy, de Xovd et d’Uvs1. Cette région a une histoire différente du reste du pays. Historiquement elle est la patrie des Oyrat, des Mongols occidentaux, qui pendant des siècles se sont opposés aux Xalx et à d’autres groupes de Mon golsorientauxquisontdominantsaucentreetàl’estdupays2. Après la destruction du dernier empire oyrat par les Manchous en 1757, les parties occidentales ont formé le district de Kobdo3 et ont été incorpo rées dans la Mongolie extérieure. Pendant 150 ans, la situation du district de Kobdon’apasététrèsdifférentedecelledesautresfiefsplusàl’estmêmesila région a toujours maintenu un certain particularisme culturel. En 1911, quand les Xalx déclarent la Mongolie un état indépendant, les princes de l’ouest ne les suivent qu’à contrecœur. Le nouveau gouvernement réussit plus tard à établir son contrôle sur les régions occidentales mais il continua à se méfier des Oyrat et à les soupçonner d’aspirations sécessionnistes4. Plus tard, dans lesannées1920et1930,lesrégionsoccidentalesmanifestèrentànouveau,aux yeux du nouveau gouvernement socialiste, leur caractère indépendant. La résistance à la collectivisation et à la destruction de l’église bouddhiste était particulièrementfortedansl’ouestdupays5. Dans les décennies qui suivirent, les trois provinces occidentales connu rent le même sort que le reste du pays. Elles étaient cependant considérées comme plus conservatrices et plus arriérées que les autres. Cela s’expliquait sans doute par leur composition ethnique: Xovd, Uvs et Bayan Ölgiy étaient Le pastoralisme dans l’ouest de la Mongolie / 247 les seules régions du pays où les Xalx étaient minoritaires; au contraire, la majorité de leurs habitants consistait en Mongols occidentaux et en groupes turcophones6. Parmi les groupes turcophones, les Kazakhs musulmans sont les plus nombreux. En 1989, on dénombrait en Mongolie 130000 Kazakhs qui cons tituaient ainsi la minorité la plus importante du pays. Les autres groupes tur cophones comprennent un petit nombre d’Ouïghours, les Xoton qui ont été mongolisés pendant ce dernier siècle, et les Touvins7. Les Uryanxay parlent denosjourslemongol maisilssontparfoisinclusdanslesgroupesturcopho nesmêmesileuraffiliationlinguistiqued’origineresteincertaine. Àladifférencedesautresgroupesethniques,lesKazakhssontdenouveaux venusdanslarégion.IlscommencèrentàmigrerenMongolieseulementaprès 1860.Audébut,ilss’établirentsurtoutlelongdelafrontièreduXinjiangmais pendantlapremière moitiéduXXesiècleilscommencèrentàempiétersurles terres peuplées par des Mongols. En 1940, ils ont été dotés d’une autonomie officieuseparlacréationd’uneprovinceàpart,BayanÖlgiy,oùplusde90% des habitants sont kazakhs. Cette situation est restée inchangée jusqu’à nos jours malgréledépart massifdesKazakhsaprèsledémembrementdel’Union soviétique et la proclamation du Kazakhstan indépendant. Jusqu’en 1994, près de 60000 personnes partirent pour le Kazakhstan, ce qui représente 40% de la population kazakhe de Mongolie. À cause des difficultés rencontrées au Kazakhstan, l’émigration s’est arrêtée en 1994 et depuis lors entre 10000 et 20000KazakhssontrevenusenMongolie8. De nos jours, chacune des trois provinces de l’ouest a une population d’à peu près 100000 personnes. Ces provinces sont ensuite divisées en dis tricts (13 pour Bayan Ölgiy et 19 pour Uvs) qui à leur tour abritent chacun quelques milliers de personnes. À l’époque du socialisme, chaque district, appelé sum en mongol, correspondait à une exploitation collective avec ses pâturages. Les centres des districts possédaient une école, un hôpital et d’autres équipements et servaient ainsi de centres administratifs et culturels sans intervenir beaucoup dans la gestion économique et sociale de la vie de leurshabitants. Lepaysagepastoral:configurationécologique La Mongolie occidentale se divise en deux parties très différentes: la chaîne de l’Altay d’une part et, d’autre part ce qu’on appelle le plus souvent la dépression des grands lacs9. Le Gobi djounghar s’étend jusque dans le sud delaprovincedeXovd. L’Altay mongolestlaplus hauteetlaplus longuechaîne montagneusedu pays avec des sommets qui s’élèvent à 4000 m et une étendue de 1600km. Malgré sa hauteur, les glaciers n’occupent qu’une partie minime des régions d’altitude. Ceci n’était pas vrai pour les époques plus anciennes comme le prouve le relief émoussé des sommets. Le relief est nettement plus accidenté 248 / P. Finke dans les parties basses de l’Altay qui ont été davantage exposées à l’érosion par l’atmosphère et les cours d’eau. En conséquence, les vallées en altitude sontpluspropicesaupacagequelespartiesbasses. La dépression des grands lacs est une basse steppe désertique dont l’alti tudevarieentre750 met1200m.Ellesecaractériseparuneariditéextrême, des étés torrides et des hivers très froids. La dépression est le plus souvent plate et, par endroits, rocheuse. C’est la partie la plus septentrionale des déserts de la Mongolie où se trouvent les plus grandes étendues sableuses du pays. La plus grande partie de la dépression est occupée cependant par une steppedésertiquequipeutêtreutiliséecommepâturageàlabonnesaison. Les ressources en eau sont relativement bonnes si l’on compare avec le reste du pays. La plupart des ravins dans l’Altay sont occupés par des ruis seaux qui aboutissent à des petits lacs de montagne ou s’infiltrent dans le sol quand ils arrivent dans la plaine. En montagne cependant ces ruisseaux sont extrêmement importants pour les éleveurs en été. Ceux des ruisseaux qui arri ventjusqu’àlaplainesejettentdanslarivièredeXovdquialimenteplusieurs lacsintérieurs.Laplupartdesrivièresgèlentenhiver,denovembreàavril. En plus de terrain accidenté, le climat est un autre obstacle majeur à la pratique de l’agriculture intensive à l’ouest de la Mongolie. Il s’agit d’un cli mat très sec et continental avec de très hautes amplitudes diurnes et annuelles (jusqu’à30°Cdansles24heures),detrèscourtesmisaisonsetdelongshivers froids. Les étés sont relativement frais à cause de l’altitude. La température moyenne annuelle est au dessous de 0°C même dans les plaines; en janvier elleestde25°Cetresteainsipendanttoutl’hivertandisqu’enjuilletellepeut monterà25°Cdanslesplainesetà1015°Cdanslamontagne10. Les précipitations sont faibles. Dans les parties hautes de l’Altay elles peuvent dépasser les 300mm par an mais dans la plupart des régions elles sont bien au dessous de ce chiffre; dans la dépression, elles descendent sous 100mm. La situation se complique du fait que les précipitations varient beaucoup d’une année à l’autre ce qui signifie que la qualité de la couverture végétale dans un endroit précis est imprévisible. La plus grande quantité de précipitations tombe en été tandis que les hivers sont secs, sans neige, sur tout dans les plaines. Ceci a une grande importance pour l’élevage et nous y reviendrons plus loin. Les chutes de neige dans les montagnes peuvent com mencerenaoûtetellespeuventseprolongerjusqu’auxmoisdemaietdejuin. L’humiditéesttrèsbasseetauprintempspeuttomberaudessousde20%11. Le pastoralisme dans l’ouest de la Mongolie / 249 Figure1.MoyennesdestempératuresetdesprécipitationsàXovd Source:X.A.U.A.E.1987:20 En hiver, on peut observer des inversions de températures, qui restent plus élevées dans les vallées montagneuses abritées que dans les plaines. Ceci a une grande importance pour les déplacements des troupeaux et nous y reviendrons plus loin. Le tableau 1 essaie d’en donner une idée en comparant les températures et les uploads/Geographie/ le-pastoralisme-dans-l-ouest-de-la-mongo.pdf
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- Publié le Fev 18, 2022
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