LOUIS DE VILMORIN, un contributeur fondateur de la génétique et de la création

LOUIS DE VILMORIN, un contributeur fondateur de la génétique et de la création variétale du blé à l’échelon mondial Alain Bonjean, Groupe Limagrain, Biopôle Clermont-Limagne, rue Henri Mondor - 63360 Saint- Beauzire – France alain.bonjean@limagrain.com Résumé Louis de Vilmorin (1816-1860) fut, en dépit de sa courte existence, un remarquable contributeur à la génétique et de la création variétale du blé et son œuvre a concouru à l’émergence des gains de productivité de cette céréale au niveau planétaire. Nous lui devons la conceptualisation et la mise en pratique de la sélection généalogique, dont sont encore issues, directement ou via des méthodes dérivées, la majeure partie des variétés mondiales de blé de notre génération. Son fils Henry et leurs descendants offrirent à la France et au monde une série de grandes variétés cultivées jusque dans les années 1950, ainsi qu’une approche de plus en plus multidisciplinaire de l’amélioration de l’espèce. Plus largement, Louis de Vilmorin et sa famille contribuèrent significativement à l’amélioration de la productivité et de la qualité du blé, tout en jetant les bases d’une industrie semencière moderne et de l’UPOV. Mots-clefs : Vilmorin, blé, génétique, sélection généalogique, variété, obtention végétale. Texte L’homme Pierre Louis François Lévêque de Vilmorin (18 avril 1816 – 22 mars1860), généralement appelé de son vivant Louis de Vilmorin ou encore Louis Vilmorin, est le petit-fils de Philippe André Victoire de Vilmorin (1746-1804), et le fils aîné de Philippe André Lévêque de Vilmorin (1776-1862). Physiquement handicapé depuis sa jeune enfance suite à un traumatisme (Brongniart, 1860 ; Duchartre, 1860 ; Decaisne, 1861), Louis de Vilmorin fut éduqué par sa famille de manière privée tant dans l’amour des plantes que dans le milieu des affaires. Formé dans les connaissances de la physique, de la chimie et de l’histoire naturelle de son époque, cet homme présenté par ses contemporains comme modeste, et au caractère chaleureux et persévérant dans l’effort, préfigure par la diversité de ses travaux et leur approche multidisciplinaire le chercheur moderne. Dès 22 ans, son intérêt personnel était avant tout tourné vers la recherche même s’il devint également un remarquable dirigeant d’entreprise lorsqu’en 1843 il succéda à son père à la tête de la société Vilmorin-Andrieux & Cie. C’est d’ailleurs sous son impulsion que la compagnie familiale développa la ferme expérimentale de Verrières-le-Buisson dans l’Essonne, achetée en 1815, et y regroupa ses travaux de recherche et de création variétale sur de nombreuses espèces de plantes qui témoignent de sa passion de la science et de son hyperactivité (Decaisne, 1861). Grand observateur, Louis de Vilmorin regroupa à partir de ses contacts européens et parfois bien au- delà diverses collections d’espèces dans ses jardins d’essais - blés, pomme de terres, betteraves, colzas, topinambours, ignames, quinoas, légumes, fourragères, tinctoriales, textiles, ornementales, etc. - et en établit des classifications sur des bases botaniques et parfois physiologiques. Commentant en 1858 les travaux de création variétale qu’il conduisait également sur ces plantes, il définissait ainsi ses objectifs personnels : « l’étude de la transmission héréditaire des caractères a été et sera le but de toute ma vie ; les diverses expériences que j’entreprends dans cette direction ne sont que des efforts successifs pour attaquer la grande question qui fait le lien commun de ces recherches » (Brongniart, 1860). Expérimentateur sagace, il est à souligner qu’il travailla seul ou plus souvent en collaboration avec des chimistes de son temps, comme ses amis Chevreul (1786-1889) et Boussingault (1801-1887), à l’amélioration qualitative d’espèces à vocation industrielle. Citons pour exemples ses travaux sur la teneur en sucre dissous dans le jus des betteraves, la teneur en colorant renfermée dans les racines de 1 garance ou celle d’huile dans des graines de colza (Brongniart, 1860), jetant ainsi les bases de nouvelles agro-industries. Chef d’entreprise soucieux d’offrir à ses clients des semences de qualité, Louis de Vilmorin imagina également dès 1850 avec le père Dutertre de Brain sur l’Authion, près d’Angers la reproduction des semences par contrats avec des agriculteurs spécialisés. Membre de la Société centrale d’Horticulture, de la Société centrale d’Agriculture, du Conseil d’Administration de la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale et correspondant de l’Académie des Sciences ainsi que de plusieurs sociétés savantes et agricoles de la France et de l’étranger, il publia entre 1838 et 1860 des mémoires souvent succincts sur des sujets éclectiques (Duchartre, 1860). Certains sont restés très célèbres, notamment sa communication de 1856 à l’Académie des Sciences intitulée « Note sur la création d’une nouvelle race de betterave et considération sur l’hérédité dans les végétaux » où est formulée pour la première fois la sélection généalogique. On doit aussi citer sur le plan génétique ses « Notices sur l’amélioration des plantes par le semis et considérations sur l’hérédité dans les végétaux » et ses études de disjonction de couleurs de fleurs en F2 dans des croisements de Lupinus hirsutus, publiées post-mortem (Vilmorin, 1879). A titre privé, rappelons encore que durant son heureuse union avec Elisa Dailly (1826-1868), qui dirigea la firme à la mort de son mari et réalisa pour sa part des travaux pionniers sur la génétique du fraisier, Louis de Vilmorin eut trois fils dont son aîné Henry (1843-1899) qui poursuivit ses travaux (Vadrot, 2014). Son intérêt pour le blé préfigure celui d’une dynastie de grands sélectionneurs céréaliers français En 1850, lorsque vivait Louis de Vilmorin, malgré des concentrations industrielles dans le nord et quelques ilots épars çà et là, la France reste un pays essentiellement agricole1 : 65% de sa population active tire son revenu de l’agriculture, ce qui correspond encore à 36% de son PIB, et l’exode rural s’initie à peine. L’agriculture traditionnelle évolue lentement vers certains éléments de modernité : passage à de nouveaux modes d’assolement où la jachère est remplacée peu à peu par la culture de nouvelles plantes fourragères, remplacement de la faucille par la faux, première machinerie agricole à l’image du tarare. Cette année-là, la France produisit 6,6 millions de tonnes de blé sur 5.991 millions d’hectares pour un rendement moyen de 1,102 tonne par hectare2 (Bonjean, Doussinault, Stragliati, 2000). A l’aube de l’industrialisation de la société qui va transformer les modes de vie, les variétés de blé produites étaient alors des variétés de pays, localement plus ou moins bien adaptées, dont certaines avaient été introduites de l’étranger, notamment d’Angleterre, de Hollande et d’Ukraine. Les agriculteurs échangeaient des semences de celles qu’ils estimaient les meilleures, ou que des marchands leur présentaient comme telles, sous des noms souvent différents. Afin de remédier à cet état de fait et de passer d’une sélection empirique à une création variétale raisonnée sur des bases précises, un des apports fondamentaux de Louis de Louis de Vilmorin fut de procéder à des échanges de semences avec les autres améliorateurs de blé de son époque en France et à l’étranger, puis de comparer par semis ces cultivars en Bassin parisien. De ces travaux qui durèrent une dizaine d’années, il résulta son « Essai d'un catalogue méthodique et synonymique des froments qui composent la collection de L. VILMORIN » publié en 1850 à la Librairie agricole de Paris. 1 - Le secteur secondaire deviendra majoritaire dans la population active française seulement en 1926. Avant cela durant la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe, le rendement en blé de la France va enfin décoller pour trois raisons : utilisation de variétés améliorées par rapport aux populations de pays, utilisation accrue d’amendements et d’engrais, mécanisation. Ainsi le rendement moyen national de 1850, soit 1,102 tonne par hectare passera à 1,291 tonne par hectare en 1900 et 1,328 tonne par hectare en 1926 (Bonjean, Doussinault, Stragliati, 2000). 2 - Pour comparaison, en 2015, selon France Agrimer, notre pays a produit 40.4 millions de tonnes de blé sur seulement 5,2 millions d’hectares, soit un rendement moyen de 7,830 tonnes par hectare. 2 Etabli à partir d’une clef de caractères botaniques, ce classement est basé sur la classification de MM. Seringe et Metzger en sept espèces34. Les variétés de blé cultivées à l’époque en France y sont regroupées et organisées en 53 sections d’après des critères comme le caractère vêtu ou non vêtu du grain, la forme de l’épi, son port ou non de barbes, sa couleur, la présence ou l’absence de poils sur les glumes. Louis de Vilmorin mit ainsi en évidence de très nombreux « synonymes » pour certains cultivars et de souligner leur manque de fixité5, mais aussi, bien avant l’invention du marquage moléculaire, les relations de proximité entre différentes variétés. Ainsi, à titres d’exemples, classée en S11, l’une des plus anciennes variétés françaises, très tolérante au froid, le Blé de Crépi se dénomme, selon ses régions de culture, Froment blanc, Blé Grizard de Douai, Blé d’hiver ordinaire des environs de Paris, Blé commun d’hiver à épi jaunâtre, Blé du Cayran, Bladette sans barbes, Blé de Poméranie, Froment anglais, Blé rouge d’Armentières, ou encore Blé roux d’Armentières, tandis qu’en section 33, le blé de Mars rouge barbu qui passe pour être le plus précoce de tous les anciens blés de printemps peut aussi s’appeler aussi Odessa rouge barbu, Odessa tendre, blé uploads/Geographie/ louisdevilmorin-texteetphotosalainbonjeanoctobre2015-versionfinale-texteseul.pdf

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