Pratiques : linguistique, littérature, didactique La structure du texte artisti

Pratiques : linguistique, littérature, didactique La structure du texte artistique par Iouri Lotman, Préface de Henri Meschonnic, 1973 Michel Arrivé Citer ce document / Cite this document : Arrivé Michel. La structure du texte artistique par Iouri Lotman, Préface de Henri Meschonnic, 1973. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°7-8, 1975. Lire. pp. 100-102; https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1975_num_7_1_927 Fichier pdf généré le 13/07/2018 NOTES DE LECTURE LA STUCTURE DU TEXTE ARTISTIQUE, par Iouri LOTMAN. Traduit du russe. Préface de Henri Meschonnic. Gallimard, 1973. Michel ARRIVÉ Parmi les activités prétendues scientifiques, la sémiotique littéraire est, on le sait, l'une des plus déprimantes : menée de façon rigoureuse, elle conduit — à mon sens inéluctablement, à moins de peu probables mutations — à une série de culs-de-sac. Qu'on pense à Saussure, infiniment torturé par ses anagrammes. Abominable piège à rats où le triste sémio- ticien en est réduit à phagocyter, à digérer et, inévitablement, à déféquer ses propres théories. Au fond de son oubliette, il a tout de même quelques rares joies. Constater qu'il n'est pas seul à y croupir est l'une de ces précieuses satisfactions. La lecture de l'ouvrage de Lotman m'a procuré l'un de ces plaisirs. On attendait depuis longtemps, en France, de lire Lotman, qu'on ne connaissait que par quelques articles et par les allusions (pas toujours très explicites) de Julia Kristeva. Grâce à Henri Meschonnic, à l'équipe de traducteurs qu'il a dirigée (1), et aussi aux éditions Gallimard (qui, bizarrement, publient peu en ce domaine, et pas toujours de façon aussi judicieuse), il est possible d'avoir accès au plus important des ouvrages de Lotman. Le contexte théorique est assez distinct de celui sur lequel repose la sémiotique actuellement pratiquée en France. Mis à part le petit groupe des sémioticiens slavisants, peu de français connaissent les travaux soviétiques. Quant à l'école de Tartu, elle n'a, si on en juge d'après les réfé- (1) Malgré de très louables scrupules, et un utile glossaire des termes russes, la traduction n'est pas absolument parfaite. Donnons un exemple. Le glossaire nous apprend que le russe, comme beaucoup d'autres langues, utilise le même mot (jazyk) pour langue et langage. Il semble qu'en plusieurs points les traducteurs ont fait un mauvais choix. Ils écrivent p. 3 : « Les systèmes modélisants secondaires, comme tous les systèmes de signes, se construisent sur le type du langage. Cela ne signifie pas qu'ils reproduisent tous les côtés des langues naturelles >. La seconde phrase montre que c'est sur le type de la langue que sont construits les systèmes modélisants secondaires, et non sur le type du langage. Ils constituent d'ailleurs eux-mêmes des langages. 100 rences bibliographiques de Lotman, que peu d'informations sur ce qui se fait en France, non plus d'ailleurs que sur les travaux de langue anglaise. Hielmslev est cité une ou deux fois, mais sans précision ni insistance. Il n'en est que plus significatif de constater de très précises concordances, parfois masquées par des divergences terminologiques de surface. Quelques exemples, choisis un peu au hasard. La conception du texte comme discours d'un langage dont les règles ne sont pas préalablement connues (voir, notamment, p. 56, 397, 401) se retrouve, explicitement ou non, dans nombre de travaux français. Si j'ai bien lu, le concept d'isotopie (actuellement utilisé par Greimas, Rastier, P. A. Brandt, Coquet, plusieurs autres) n'est pas, chez Lotman, formalisé par un mot. Il n'en est pas moins sous-jacent à certaines de ses démarches : quand il « reconnaît que les contenus des signes eux aussi peuvent être conçus comme des chaînes structurelles liées par des rapports déterminés » (p. 70), il ne fait rien d'autre que mettre en place le concept d'isotopie du contenu. Quant à son analyse de la rime (voir notamment p. 165 et 186-187), elle constitue une excellente étude des relations entre l'isotopie de l'expression et l'isotopie du contenu. Le concept d'équivalence, utilisé en différents points de l'ouvrage (par exemple p. 177- 178), est à mettre en relation avec celui qu'on utilise, à la suite de Harris, en analyse du discours. Enfin, il serait intéressant d'étudier les rapports entre les systèmes modélisants secondaires — Lotman leur donne une place centrale dans sa conception du texte artistique — et les langages de connotation hjelmsleviens, greimasiens ou barthésiens : il apparaîtrait sans doute que les seconds constituent une sous-classe des premiers. On pourrait allonger à plaisir (au sens plein de l'expression) l'énumé- ration de ces rencontres. Qu'on me pardonne encore celle-ci : p. 166, Lotman signale que le « phonème peut posséder une signification autonome, c'est-à-dire qu'il s'érige au rang de signe ». C'est en des termes immédiatement comparables que j'ai cru pouvoir dire, dans les LANGAGES DE JARRY, que « l'élément -r- (dans merdre, rastron, bouffre) ne se contente plus de son statut de phonème, mais prend en outre la fonction d'un morphème » (p. 260). Qu'y a-t-il, dira-t-on, de si déprimant en ce touchant spectacle des rencontres entre sémioticiens ? C'est évidemment le fait que, chez Lotman pas plus que chez aucun autre, il n'existe de procédure heuristique pour la construction des langages textuels. De façon peu attendue, Lotman fait une assez large place à l'utilisation de l'écart (p. 177, 282-285, 290, etc.. On trouve même le concept d'écart, p. 350, dans la définition du caractère). Il ne s'agit naturellement pas de l'écart au sens que la stylistique française des années 50 donnait à ce terme : considéré ici comme manifestation d'une règle, l'écart acquiert de ce fait un « sens structurel ». Il reste que le maniement du concept est toujours dangereux. Ainsi Lotman remarque p. 121 que « plus il y a de normes qui se recoupent à un point structurel donné, plus cet élément recevra de sens, plus il semblera individuel, extra-systémique. L'extrasystémique dans la vie se reflète dans l'art en tant que polysysté- mique ». Est-ce à dire que seuls les éléments extra-systémiques sont poly- systémiques ? Que se passe-t-il si un élément polysystémique n'est signalé (en tant que polysystémique) par aucun écart ? La manifestation sous forme d'écart est-elle indispensable à l'identification du trait pertinent du style ? Toutes questions que Lotman, me semble-t-il, ne se pose pas explicitement. 101 Lotman aborde à différentes reprises le problème de la dimension des unités textuelles, et, plus discrètement, celui de leur statut semiotique. Dans sa pratique, que constate-t-on ? Les unités qu'il retient pour pertinentes sont essentiellement le mot, souvent aussi le phonème, le vers dans les textes poétiques, enfin le « texte », qui est souvent assimilé — d'une façon qui ne peut être que métaphorique, — au mot. Quant au statut des unités, ce sont presque toujours — rémunération qu'on vient de faire l'a montré — des unités manifestes (voir, cependant, une utilisation discrète des unités non-manifestes que sont les phèmes et les sèmes, notamment p. 343). Il reste que le mot est évidemment privilégié : « Malgré toute l'importance de chaque niveau mis en évidence dans le texte artistique pour la construction de la structure entière de l'œuvre, le mot reste l'unité de base de la construction artistique verbale » (p. 243). Le résultat ? Un décalage, disons-le, étrange, entre la pratique de Lotman — centrée autour du mot ou de cet autre mot qu'est le texte — et sa théorie, qui pose au contraire la discordance entre les unités de la langue naturelle et celles des systèmes secondaires : « Dans un texte artistique verbal, non seulement les limites des signes sont différentes, mais le concept même de signe est différent » (p. 52). Tous les sémioticiens en sont là, coincés dans le même aporie. Il reste que certains concepts mis en place par Lotman tracent peut-être les voies d'une autre semiotique : ainsi cette fascinante souplesse du langage, empruntée à Kolmogorov (p. 60 et 179), ou la distinction entre les trous lourds et légers (p. 160). C'est, disons-le, dans les trous que travaillera la semiotique. Lotman, jusqu'à présent, est encore resté dans les pleins. 102 uploads/Ingenierie_Lourd/ iouri-lotman-preface-de-henri.pdf

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