Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques Image de
Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques Image de soi et image de l’autre : le rôle du miroir dans le développement de l’enfant selon Maurice Merleau-Ponty Matthieu Dubost Résumé L’image de soi dans le miroir se présente comme un moment capital du développement de soi. L’enfant peut à ce stade prendre conscience qu’il a un corps délimité et rompre l’immédiateté de sa perception de lui-même et du monde. Ce moment est aussi capital dans la distinction de son de son corps et de celui des autres. En cela, c’est bien à une analyse en termes d’identité et de différence que le stade du miroir conduit chez Merleau-Ponty. On doit donc reconnaître qu’il est le premier moment dans le procès de la différenciation, bien que ses limites appellent sa continuation par des modes non spéculaires. On devra donc situer le moment de la reconnaissance de son image par rapport aux moments de la parole et du dialogue. Le stade du miroir dans le développement de l’enfant apparaîtra alors comme une étape aussi nécessaire qu’intermédiaire. Citer ce document / Cite this document : Dubost Matthieu. Image de soi et image de l’autre : le rôle du miroir dans le développement de l’enfant selon Maurice Merleau-Ponty. In: Images, textes et concepts. Actes du 132<sup>e</sup> Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, « Images et imagerie », Arles, 2007. Paris : Editions du CTHS, 2012. pp. 173-181. (Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 132-9); https://www.persee.fr/doc/acths_1764-7355_2012_act_132_9_2117 Fichier pdf généré le 09/07/2021 Image de soi et image de l’autre Le rôle du miroir dans le développement de l’enfant selon Maurice Merleau-Ponty Matthieu Dubost Normalien Agrégé et docteur de la Sorbonne Professeur en khâgne au lycée Sainte-Marie de Neuilly La question philosophique de l’image est une question nodale et réflexive. Nodale, parce qu’elle recoupe les domaines esthétique, épistémologique, métaphysique et même éthique, et cela à partir d’un philosophème unique. Mais c’est aussi une question réflexive parce qu’elle oblige la philosophie à s’interroger sur le rapport des choses et de leurs apparences, et par conséquent sur la relation de la philosophie à l’image que l’on s’en forge. Dans la mesure où le philosophe est amené à se demander ce qu’il y a de commun entre l’essence de son activité et l’image qu’il s’en fait, on peut parler d’une appréciation de sa propre image et d’une mise en abyme permanente. La philosophie est donc spéculaire et revient sans cesse à la pensée du miroir. C’est encore le cas de Merleau-Ponty quand il cherche à penser le développement de soi et ses différents stades. Chez lui, la question de l’image se présente d’abord à l’intérieur d’une réflexion sur la constitution de la relation à autrui s’opérant dans l’enfance. Cette méditation doit, selon Merleau-Ponty, répondre à deux objectifs principaux. Tout d’abord, il s’agit d’échapper à l’aporie husserlienne de la constitution d’autrui. Il est impossible aux yeux de Merleau- Ponty d’en démontrer l’existence comme s’y emploie Husserl car autrui est un fait : « Ma conscience est d’abord tournée vers le monde, tournée vers les choses, elle est avant tout rapport au monde1. » Ensuite, cette réflexion sur le miroir doit aussi éviter de comprendre la relation à autrui et le développement de soi comme des opérations issues du seul ego. On ne peut répondre à cette question en partant d’un moi pur, détaché et cartésien. À ce titre, le problème du solipsisme fait l’objet d’une étude serrée en 1960 : « Tout énoncé concernant le Moi entraîne aussitôt un énoncé concernant l’alter ego. Lequel annule le premier ou au moins le transforme. Par exemple : je suis constituant entraîne : l’autre est constituant et donc : je suis constitué2. » La question du développement de soi s’inscrit donc d’emblée, dans le cadre de la relation à autrui, tout comme la question de l’image de soi et du rôle du miroir dans le développement de l’enfant prend ainsi place dans une réflexion plus générale sur la relation à autrui. Car Merleau-Ponty envisage plusieurs modèles de relation où joue toujours l’intercorporéité et le miroir prend tout son sens dans cette intercorporéité. Dans La structure du comportement, dans la Phénoménologie de la perception ainsi que par la suite, c’est toujours à partir des corps que les personnes se rencontrent et peuvent parler d’un « toi » et d’un « moi ». C’est avec « l’empiètement » que se conclue cette recherche. Merleau-Ponty le décrit comme « empiète- ment intentionnel qui [fait] passer en autrui tout ce que [la subjectivité] sait d’elle-même3. » 1. M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p. 176. 2. M. Merleau-Ponty, Manuscrit VIII du 6 octobre 1958, p. 162. Les numéros des manuscrits de Merleau-Ponty sont ceux des volumes de la BNF, selon le classement définitif de 1998. 3. M. Merleau-Ponty, Résumés de cours, p. 151. Toutes les choses se « touchent », selon une intercorporéité généralisée, et plus sensible encore dans la relation à autrui. Je suis d’abord en relation à l’autre parce que nos corps se contactent et de ce fait s’entredélimitent. Cela pose alors la question essentielle de la différence : comment puis-je encore distinguer le moi de l’autre si, pour échapper à l’aporie husserlienne, j’ai posé l’empiètement de toutes les choses les unes sur les autres ? C’est ici que se pose spécialement la question de l’image et de son rôle. Car l’image spéculaire va constituer une sorte d’étape intermédiaire où le sujet va se préparer à la rencontre de l’autre. Merleau-Ponty accorde en effet un rôle capital au « stade du miroir » tel que la psychologie développementale et la psychanalyse l’ont décrit. En étant confronté à sa propre image, l’enfant est obligé de modifier ses schémas perceptifs en même temps que de se repositionner dans le monde et dans ses rapports aux autres. D’un stade autarcique où le sujet reste cependant à constituer, la confrontation à sa propre image permet dans le cadre privé le développement de la subjectivité en même temps qu’elle dévoile la structure normale de la perception. L’image dans le miroir n’est plus seulement alors une image parmi toutes celles que l’enfant manipule mais le paradigme d’un schéma perceptif durable que le philosophe présente comme la vérité même de l’ontologie. L’image spéculaire consiste alors en une ouverture du soi sur le monde et sur autrui. Plus précisément, il faut se demander quelle place revient à l’image de soi dans la constitution de l’intersubjectivité. Quels sont son rôle et sa valeur, parmi d’autres moments comme l’inter- corporéité ou le dialogue, autres lieux de constitution ? Ces questionnements sont importants car ils vont de pair avec la valeur du visuel en général, tellement important en Occident. Il s’agit ici de comprendre le rôle intermédiaire de l’image de soi par le miroir, nécessaire bien que seulement transitoire, dans la différenciation des sujets. En cela, l’image reste inférieure au langage et à la parole dans la différenciation du moi et de l’autre. On verra d’abord comment le schéma de l’empiètement, tout en répondant à certains problèmes de l’intersubjectivité, laisse les êtres dans une certaine indifférenciation. C’est alors qu’on comprendra le rôle exact du miroir dans ce procès d’individuation de l’enfant vis-à-vis de l’entourage. On décrira enfin en quoi ce stade spéculaire reste insuffisant et doit laisser place à d’autres modes de différenciation non imagés, tel que le dialogue. Il faut d’abord reprendre la question du mode de relation à autrui et préciser le thème de l’empiè- tement comme lieu d’indifférenciation première. On pourra alors comprendre que la théorie de l’empiètement suppose une différenciation qui passe en premier lieu par l’image de soi. Dans la perception commençante, celle de l’enfant, le champ est occupé d’abord par ce qui est humain. L’enfant perçoit en premier lieu les expressions et les visages, ainsi que les objets créés par l’homme4. C’est ainsi qu’il vit la communication bien avant la séparation des consciences. Ce moment est celui de l’immédiateté et de la sensibilité qui passent d’abord par le corps : le pur esprit ne rencontre pas le pur esprit et « je ne les connais qu’à travers leurs regards, leurs gestes, leurs paroles, en un mot à travers leur corps5. » Même si autrui ne s’y réduit pas à sa silhouette, c’est d’abord comme corps que je le perçois et le rencontre. Cette première approche, quasi intuitive, est radicalisée par la suite. Ce passage de la phénoménologie à l’ontologie est, de l’aveu de Merleau-Ponty, dû à la nécessité de penser l’intersubjectivité6. Autrui est connu par « empiètement », comme « chair de ma chair7 » mais dans cette chair commune il se distingue de tout autre objet parce qu’il dessine une conduite relative aux objets : « les autres regards, je les vois eux aussi, c’est dans le même 4. M. Merleau-Ponty, La structure du comportement, p. 189-181. 5. M. Merleau-Ponty, Causeries, p. 44. 6. Voir Beata Stawarska, « Anonymity and sociality – the convergence of psychological ans philosophical currents in Merleau-Ponty’s ontological Therory if Intersubjectivity », in Chiasmi no 5. 7. M. Merleau-Ponty, Signes, uploads/Ingenierie_Lourd/ merleau-ponty-sur-les-enfants-et-le-miroir.pdf
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- Publié le Jul 31, 2021
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