© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2012 DOI: 10.1163/157005812X629257 Arabica 59 (

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2012 DOI: 10.1163/157005812X629257 Arabica 59 (2012) 267-290 brill.nl/arab Un muḥaddiṯ muʿtazilite zaydite : Abū Saʿd al-Sammān al-Rāzī et ses Amālī * Hassan Ansari Research Unit Intellectual History of the Islamicate World, Freie Universitat Berlin Résumé Abū Saʿd Ismāʿīl b. ʿAlī b. al-Ḥusayn al-Sammān al-Rāzī l-Ḥāfiẓ (m. 445/1053) était un trans- metteur de ḥadīṯs (muḥaddiṯ) avec un attachement muʿtazilite. Il était un disciple de Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār al-Hamaḏānī (m. 415/1025), et vivait à Rayy. Sa particularité la plus importante tient au fait que, malgré son appartenance au courant muʿtazilite, il était à la fois célèbre parmi les autorités de H ̣ adīṯ sunnites – qui étaient naturellement adversaires des muʿtazilites –, grâce à ses profondes connaissances du H ̣ adīṯ et grâce à ses nombreux voyages effectués dans des villes diffé- rentes pour entendre et apprendre des traditions prophétiques auprès de différents transmet- teurs. Il a composé un recueil de ḥadīṯs sous le titre Amālī. Mots clés Muʿtazila, Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār al-Hamaḏānī, fiqh ḥanafī, Amālī, ḥadīṯ, Zaydiyya, Abū Saʿd Ismāʿīl b. ʿAlī l-Sammān al-Rāzī Abstract Abū Saʿd Ismāʿīl b. ʿAlī b. al-Ḥusayn al-Sammān al-Rāzī l-Ḥāfiẓ (d. 445/1053) was a transmitter of ḥadīṯ (muḥaddiṯ) with Muʿtazilite tendencies. He had studied with Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār al-Hamaḏānī (d. 415/1025) in Rayy, and although he was a Muʿtazilite in theology, he was at the same time widely recognized by most of the leading Sunni authorities in H ̣adīṯ as a result of his profound knowledge in this discipline and the many journeys he had undertaken to collect pro- phetic transmissions from numerous transmitters. Abū Saʿd al-Sammān’s own collection of aḥādīṯ is preserved under the title Amālī. Keywords Muʿtazila, Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār al-Hamaḏānī, fiqh ḥanafī, Amālī, ḥadīṯ, Zaydiyya, Abū Saʿd Ismāʿīl b. ʿAlī l-Sammān al-Rāzī Il est difficile de s’imaginer qu’un mutakallim muʿtazilite soit en même temps un muḥaddiṯ reconnu et remarquable. Nous savons que les muʿtazilites n’avaient pas beaucoup d’affinité avec le H ̣adīṯ. Ils ont constamment été critiqués * Cet article fut achevé dans le cadre du projet « Rediscovering Theological Rationalism in the Medieval World of Islam » du Conseil européen de la recherche (ERC). 268 H. Ansari / Arabica 59 (2012) 267-290 par leurs adversaires sunnites pour ne pas se montrer très favorable aux tradi- tions prophétiques et s’opposer à certains ḥadīṯs ou à leurs contenus. Il est incontestable que les muʿtazilites avaient depuis longtemps porté un regard critique envers les ḥadīṯs et qu’ils n’approuvaient pas beaucoup les traditions prophétiques acceptées par les traditionnistes (aṣḥāb al-ḥadīṯ). Ce fait est tou- tefois intégralement accepté pour la période des débuts du muʿtazilisme1. Cependant, progressivement, les muʿtazilites furent obligés d’accepter les principes du fiqh sunnite (uṣūl al-fiqh) et par voie de conséquence de se tour- ner, peu à peu, vers les écoles de droit et, notamment, vers le fiqh ḥanafite2. C’est ainsi que le Hadīṯ trouva sa place chez les muʿtazilites. Al-Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār al-Hamaḏānī (m. 415/1025), un des plus importants théologiens muʿtazilites, fut lui-même šāfiʿite et aborda naturellement, en tant que qāḍī l-quḍāt, les sujets juridiques3. Les muʿtazilites, cependant, n’ont jamais aban- donné leur méthode de critique du H ̣ adīṯ héritée des aṣḥāb al-ḥadīṯ ainsi que son interprétation. Ils renforcèrent ainsi leurs positions en rejetant maintes traditions prophétiques4. 1 Sur le sujet, voir Josef van Ess, The Flowering of Muslim Theology, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2006, p. 153ff ; id., « Ein unbekanntes Fragment des Naẓẓām », Der Orient in der Forschung : Festschrift für Otto Spies zum 5. April 1966, éd. Wilhelm Hoenerbach, Wiesba- den, Harrassowitz, 1967, p. 170-201 ; id., Das Kitāb an-Nakṯ des Nazzām und seine Rezeption im Kitāb al-Futyā des Ğāhiz : Eine Sammlung der Fragmente mit Übersetzung und Kommentar, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1972 ; id., « L’autorité de la tradition prophétique dans la théologie muʿtazilite », La notion d’autorité au Moyen Âge : Islam, Byzance, Occident : Collo- ques internationaux de la Napoule, session des 23-26 octobre 1978, organisés par George Makdisi, Dominique Sourdel et Janine Sourdel-Thomine, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, p. 211-26 ; Bassām al-Ğamal, « Maṭāʿin al-Naẓẓām fī l-aḫbār wa-ruwātihā », H ̣ awliyyāt al-Ğāmiʿa l-tūnisiyya, Ğāmiʿat al-Manūba, Kulliyyat al-ādāb, 44 (2000), p. 109-38. 2 Voir l’introduction dans Legal methodology in 6th/12th century Khwārazm : The Kitāb al-Tajrīd fī uṣūl al-fiqh of Rukn al-Dīn Ibn al-Malāḥimī al-Khwārazmī (d. 536/1141), facsimile edition of MS Arab e 103 (Bodleian Library, Oxford), with an introduction and indices by Hassan Ansari and Sabine Schmidtke, Téhéran, Markaz-i Dāʾirat al-maʿārif-i buzurg-i islāmī, 2011 ; Marie Bernand, « Hanafī Uṣūl al-Fiqh through a Manuscript of al-Ğaṣṣāṣ », Journal of the American Oriental Society, 105/4 (1985), p. 623-35. 3 Voir mon article, « Risāla fī ḏanb al-ġība li-l-Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār al-Hamaḏānī l-Muʿtazilī », al-Masār, 12/2 (2011), p. 105-10, ainsi que mon « Barressī-ye yek masʾale-ye fiqhī be šīwe-ye mutakallimān : taṣḥīḥ-e resāle-ye az Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār-e muʿtazilī » sur ce site : http://ansari. kateban.com/entry1160.html [consulté le 20/11/2011]. 4 Voir à ce sujet Abū l-Qāsim al-Balḫī l-Kaʿbī, Qabūl al-aḫbār wa-maʿrifat al-riğāl, éd. Abū ʿAmr al-Ḥusaynī b. ʿUmar b. ʿAbd al-Raḥīm, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 2000 ; cf. Racha Moujir el Omari, The Theology of Abū l-Qāsim al-Balḫī/al-Kaʿbī (d. 319/931) : A Study of Its Sources and Reception, PhD dissertation, Yale University, 2006, p. 226-93 ; Hüseyin Hansu, Muʿtezile ve Hadis, Ankara, Kitabiyat Yayınları, 2004 ; voir aussi ʿAlī b. Saʿd b. Ṣāliḥ al-Ḍuwayḥī, Ārāʾ al-muʿtazila l-uṣūliyya : dirāsa wa-taqwīm, Riyad, Maktabat al-rušd li-l-našr wa-l-tawzīʿ, H. Ansari / Arabica 59 (2012) 267-290 269 Les transmetteurs de ḥadīṯs sunnites avaient, certes, pour nombre d’entre eux un attachement particulier aux courants ḥanbalite ou ašʿarite, c’est-à-dire les courants anti-muʿtazilites. Sur ce sujet, un point intéressant attire l’atten- tion. En effet, contre toute attente, un savant qui occupait une place impor- tante parmi les théologiens muʿtazilites, un disciple de Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār al-Hamaḏānī, fut en état de devenir un muḥaddiṯ remarquable, avec des récits transmis de très grande qualité et en grande quantité. Il obtint le titre de ḥāfiẓ alors que bien peu des transmetteurs du H ̣ adīṯ furent dignes de ce titre. Il s’agit d’Abū Saʿd Ismāʿīl b. Alī b. al-Ḥusayn b. Muḥammad b. al-Ḥasan b. Zanǧawayh al-Sammān al-Rāzī (n. c. 371/980-81, m. 24 šaʿbān 445/9 décem- bre 1053 à Rayy), un mutakallim qui, à côté de son attachement au muʿtazilisme, s’avéra un muḥaddiṯ qualifié. Contrairement à beaucoup d’autres cas compa- rables, la place d’Abū Saʿd al-Sammān dans la science du H ̣ adiṯ ne fut pas critiquée par les savants sunnites et le seul point dont ils pouvaient se satisfaire était que la croyance d’Abū Saʿd – même s’il était un muḥaddiṯ remarquable – avait bel et bien été corrompue par l’« hérésie » muʿtazilite. Malgré cela, il faut prendre en considération qu’Abū Saʿd al-Sammān était un exceptionnel connaisseur du droit, notamment des fiqhs ḥanafite et zaydite. Il estimait naturellement la valeur des ḥadīṯs par sa connaissance du fiqh et se référait à eux certainement par cette même position. Sa vie montre que les ḥadīṯs et leur apprentissage tinrent de l’intérêt personnel et du plaisir. Il voyageait dans des villes différentes où il apprenait des muḥaddiṯs connus ou obscurs et consignait par écrit des ḥadīṯs dans des cahiers. Un grand nombre de savants qu’il avait rencontrés et dont il avait entendu des traditions prophétiques confirment absolument ce fait5. De toute évidence, cette méthode n’était pas courante parmi les muʿtazilites. Son maître, Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār, montrait 1995 ; Abū Lubāba Ḥusayn, Mawqif al-muʿtazila min al-sunna l-nabawiyya wa-mawāṭin inḥirāfihim ʿanhā, Riyad, Dār al-liwāʾ, 1407/1987. 5 Pour la vie, l’œuvre et la place d’Abū Saʿd al-Sammān dans la science du H ̣ adīṯ, voir mon article « Zandegī u aṯār-e yek muḥaddiṯ-e muʿtazilī az maktab-e Rayy : Abū Saʿd al-Sammān » (à paraître) ; voir aussi Gregor Schwarb, Handbook of Muʿtazilite Works and Manuscripts, Leyde, Brill (à paraître), # 321 ; Wilferd Madelung, Religious Trends in Early Islamic Iran, Albany, NY, Biblioteca Persica, 1988, p. 30, 91 ; id., Der Imam al-Qāsim ibn Ibrāhīm und die Glaubenslehre der Zaiditen, Berlin, de Gruyter, 1965, p. 216, n. 429 ; id., « Zu einigen Werken des Imāms Abū Ṭālib an-Nāṭiq bi-l-ḥaqq », Der Islam, 63 (1986), p. 8 n. 16a ; id., « The Spread of Māturidism and the Turk » , Actas do IV Congresso de Estudos Arabes e Islamicos, Coimbra-Lisboa 1968, Leyde, Brill, 1971, p. 114, n. 20 ; Renato Traini, Sources biographiques des zaidites (années 122-1200 h.) : Letters alif-ḫāʾ, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1977 (« Onomasticum arabicum. Série “listing” », 2), p. 151, #648, 277f. 270 H. Ansari / Arabica 59 (2012) 267-290 également un grand attachement envers le H ̣ adīṯ 6. Cependant une différence existe entre les deux hommes – même si al-Qāḍī ʿAbd al-Ğabbār, en tant que chef de l’école muʿtazilite bahšamite et dernier représentant important de cette école, composa lui aussi des Amālī sur le H ̣ adīṯ – : c’est que lesdites Amālī et les récits qui s’y rattachent ne furent uploads/Litterature/ ansari-un-muhaddith-mu-x27-tazilite-zaydite.pdf

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