«L es thèses Sur le concept d’histoire (1940) de Walter Benja- min constituent

«L es thèses Sur le concept d’histoire (1940) de Walter Benja- min constituent un des textes philosophiques et politiques les plus importants du XXe siècle. Dans la pensée révolu- tionnaire c’est peut-être le document le plus significatif depuis les “Thèses sur Feuerbach” de Marx. Texte énigmatique, allusif, voire sibyllin, son hermétisme est constellé d’images, d’allégories, d’illumi- nations, parsemé de paradoxes étranges, traversé d’intuitions fulgu- rantes » écrit Michael Löwy, en ouverture de cet “avertissement d’incendie” qui en propose une interprétation au mot à mot, phrase après phrase pour en comprendre tous les enjeux. Au croisement de ce qui est au cœur de la pensée de Benjamin, les Thèses proposent une vision de l’histoire à contre-courant de l’idée de progrès, témoignant d’une véritable fusion dialectique entre romantisme allemand, pensée marxiste et messianisme juif. Elles incarnent un moment de la pensée du XXe siècle où l’intelligence a supplanté le dogme. Moment probablement de grande solitude, qui a conduit Benjamin, ne pouvant rejoindre l’Espagne et coupé à la fois de ses amis de l’Institut de Recherche sociale, réfugiés aux USA, et de Gershom Scholem qui vit à Jérusalem depuis 1923, à mettre fin à ses jours à Port-Bou en septembre 1940. Michael Löwy est directeur de recherches émérite au CNRS et enseigne à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il a publié plusieurs ouvrages, dont Rédemption et Utopie. Le judaïsme libertaire en Europe centrale (1988, rééd. Éditions du Sandre, 2009), La cage d’acier : Max Weber et le marxisme wéberien (Stock, 2013) ou encore Juifs hétérodoxes (L’éclat, 2012). Son œuvre est traduite dans de très nombreux pays. « Philosophie imaginaire » Ceci est un Lyber (http://www.lyber-eclat.net/lyber/lybertxt/html) déposé sur le site des éditions de l’éclat alors que la population est confinée chez elle. le livre est vendu 8 € dans son formet poche et est disponible dans « les meilleures librairies » selon la formule consacrée QUELQUES OUVRAGES DU MÊME AUTEUR Rédemption et Utopie. Le Judaïsme libertaire en Europe centrale, Paris, PUF, 1985, rééd. Éditions du Sandre, 2009 Révolte et Mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité (avec Robert Sayre), Paris, Payot, l992 Franz Kafka, rêveur insoumis, Paris, Stock, 2004 Esprits de feu. Figures du romantisme anticapitaliste (avec Robert Sayre), Paris, Éditions du Sandre, 2009 Sociologies et religion. Approches insolites (avec Erwan Dianteill), Paris, PUF, 2009 Juifs hétérodoxes. Romantisme, messianisme, utopie Paris, L’éclat, 2012 Les aventures de Karl Marx contre le baron de Münchausen : Introduction à une sociologie critique de la connaissance Paris, Syllepse, 2012 La cage d’acier: Max Weber et le marxisme wébérien Paris, Stock, 2013 Michael Löwy Walter Benjamin : Avertissement d’incendie Une lecture des Thèses « Sur le concept d’histoire » philosophie imaginaire Éditions de l’éclat REMERCIEMENTS Paru une première fois aux Presses Universitaires de France en mai 2001 dans la collection « Pratiques théoriques », le livre reparaît aujourd’hui aux Éditions de l’éclat, avec quelques légères modifica- tions et précisions et augmenté du texte allemand des Thèses et d’un index. J’ai beaucoup profité des critiques, des suggestions et des pro- positions de mes ami.e.s Etienne Balibar, Guy Petitdemange, Enzo Traverso et Eleni Varikas. Qu’elle et ils soient très chaleureusement remercié.e.s. Michael Löwy © Éditions de l’éclat, 2014 www.lyber-eclat.net Sommaire 1. Introduction. Romantisme, messianisme et marxisme dans la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin ........................................ 9 2. Une lecture des Thèses « Sur le concept d’histoire ».................... 29 Thèse I ................................................................................ 37 Thèse II ................................................................................43 Thèse III...............................................................................50 Thèse IV...............................................................................54 Thèse V.................................................................................58 Thèse VI...............................................................................61 Thèse VII..............................................................................65 Thèse VIII ............................................................................75 Thèse IX...............................................................................80 Thèse X ................................................................................88 Thèse XI...............................................................................92 Thèse XII ...........................................................................100 Thèse XIII..........................................................................107 Thèse XIV ..........................................................................110 Thèse XV............................................................................114 Thèse XVI ..........................................................................118 Thèse XVII.........................................................................120 Thèse XVIIa .......................................................................124 Thèse XVIII .......................................................................128 Thèse A...............................................................................130 Thèse B ..............................................................................132 3. Ouverture de l’histoire ..................................................................135 ÜBER DEN BEGRIFF DER GESCHICHTE.................................................148 Index des noms..........................................................................................156 À la mémoire de mon frère, Peter Löwy I. Introduction Romantisme, messianisme et marxisme dans la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin W ALTER BENJAMIN n’est pas un auteur comme les autres: son œuvre fragmentaire, inachevée, parfois hermétique, sou- vent anachronique et néanmoins toujours actuelle, occupe une place singulière, unique même, dans le panorama intellectuel et politique du XXe siècle. Était-il, avant tout, un critique littéraire, un « homme de lettres » et non un philosophe, comme le prétendait Hannah Arendt1? Je pense plutôt, comme Gershom Scholem, qu’il était un philosophe, même quand il écrivait sur l’art ou la littérature2. Le point de vue d’Adorno est proche de celui de Scholem, comme il l’explique dans une lettre (inédite) à Hannah Arendt: « Pour moi, ce qui définit la signification de Benjamin pour ma propre existence intellectuelle est évident : l’essence de sa pensée en tant que pensée philosophique. Je n’ai jamais pu envisager son œuvre à partir d’une autre perspective (...). Certes, je suis conscient de la distance entre ses écrits et toute conception tradi- tionnelle de la philosophie… 3. » La réception de Benjamin, notamment en France, s’est intéressée prioritairement au versant esthétique de son œuvre, avec une certaine 1. H. Arendt, « Walter Benjamin », Vies politiques, Paris, Gallimard, 1974, p. 248. 2. G. Scholem, Benjamin et son Ange, trad. P. Ivernel, Paris, Rivages, 1995, p. 33 : « Benjamin était un philosophe. Il l’a été au cours de toutes les étapes et dans tous les domaines de son activité. En apparence il a écrit surtout sur des thèmes de littérature et d’art, parfois aussi sur des sujets à la frontière entre la littérature et la politique, mais rarement sur des questions conventionnellement considérées et acceptées comme des thèmes de pure philosophie. Mais dans tous ces domaines son impulsion vient de l’ex- périence du philosophe. » 3. Lettre citée par Gary Smith, « Thinking through Benjamin: and introductory essay », in G. Smith (éd.), Philosophy, Aesthetics, History, Chicago, The University of Chicago Press, 1989, p. VIII-IX. La date de la lettre n’est pas mentionnée, mais, d’après le contexte, elle doit être de 1967. propension à le considérer surtout comme un historien de la culture4. Or, sans négliger cet aspect de son œuvre, il faut reconnaître la portée beaucoup plus vaste de sa pensée, qui ne vise rien de moins qu’une nouvelle compréhension de l’histoire humaine. Les écrits sur l’art ou la littérature ne peuvent être compris qu’en relation à cette vision d’en- semble qui les illumine de l’intérieur. Sa réflexion constitue un tout dans lequel art, histoire, culture, politique, littérature et théologie sont inséparables. Nous sommes habitués à classer les différentes philosophies de l’his- toire selon leur caractère progressiste ou conservateur, révolutionnaire ou nostalgique du passé. Walter Benjamin échappe à ces classifica- tions. C’est un critique révolutionnaire de la philosophie du progrès, un adversaire marxiste du « progressisme », un nostalgique du passé qui rêve de l’avenir, un romantique partisan du matérialisme. Il est, dans tous les sens du mot, « inclassable ». Adorno le définissait avec raison comme un penseur « à l’écart de tous les courants5 ». Son œuvre se présente en effet comme une sorte de bloc erratique en marge des grandes tendances de la philosophie contemporaine. C’est donc en vain que l’on essaie de le recruter pour l’un ou l’autre des deux grands camps qui se disputent, de nos jours, l’hégémonie sur la scène (ou faudrait-il dire le « marché »?) des idées: le modernisme et le post-modernisme. Jürgen Habermas semble hésiter : après avoir dénoncé dans son article de 1966 l’antiévolutionnisme de Benjamin comme contradic- toire avec le matérialisme historique, il affirme, dans son Discours philo- sophique de la modernité, que la polémique de Benjamin contre « le nivellement social-évolutionniste du matérialisme historique » est diri- gée contre « la dégénérescence de la conscience moderne du temps », et vise donc à « rafraîchir » cette conscience. Mais il n’arrive pas à intégrer dans son « discours philosophique de la modernité » les prin- cipaux concepts benjaminiens – comme le « temps actuel » ou l’« à- présent », cet instant authentique qui interrompt le continuum de 10 walter benjamin : avertissement d´incendie 4. Parmi les exceptions: Daniel Bensaïd, Walter Benjamin. Sentinelle messianique à la gauche du possible, Paris, Plon, 1990 ; Stéphane Mosès, L’Ange de l’histoire. Rosenzweig, Ben- jamin, Scholem, Paris, Seuil, 1992 [rééd. folio/Gallimard, 2006] ; Jeanne-Marie Gagne- bin, Histoire et Narration chez Walter Benjamin, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Arno Münster, Progrès et Catastrophe, Walter Benjamin et l’histoire, Paris, Kimé, 1996. 5. Dans un article publié dans « Le Monde » le 31 mai 1969. l’histoire, qui lui semble manifestement inspiré d’un « amalgame » entre expériences surréalistes et thèmes de la mystique juive6. Une tâche également impossible serait de transformer Benjamin en auteur post-moderne avant la lettre. Sa délégitimation du Grand Récit de la modernité occidentale, sa déconstruction du discours du progrès, son plaidoyer pour la discontinuité historique, se situent à une distance incommensurable du regard désinvolte des post-modernes sur la société actuelle, présentée comme un monde où les grands récits sont enfin révolus et ont été remplacées par des « jeux de langages » « flexi- bles » et « agonistiques 7 ». uploads/Litterature/ avertissement-d-x27-incendie.pdf

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