DEUX ÉCRIVAINS LIBERTAIRES : HAN RYNER JUGE OCTAVE MIRBEAU Autour de deux fragm
DEUX ÉCRIVAINS LIBERTAIRES : HAN RYNER JUGE OCTAVE MIRBEAU Autour de deux fragments et d'un article Individualiste, anarchiste, antimilitariste, anticlérical... autant de qualificatifs qui peuvent s'appliquer aussi bien à Han Ryner qu'à Octave Mirbeau. Cependant, à ma connaissance, ces deux écrivains ne se sont jamais rencontrés, et n'ont pas non plus échangé de correspondance. En revanche, et cela par trois fois, Ryner écrivit sur Mirbeau. Dans les deux textes les plus anciens, le jugement est féroce, quoique nuancé et non dénué d'éloges. On verra que le troisième texte, écrit quinze plus tard, à la mort de Mirbeau, est nettement plus amène. J'essayerai de donner quelques éléments permettant de comprendre cette évolution. Mais on me permettra de commencer par présenter Ryner, très oublié de nos jours1. Han Ryner est le pseudonyme purement visuel de Henri Ner, né en 1861 à Nemours (Algérie), mort en 1938 à Paris. Complètement ignoré des histoires littéraires, il est pourtant l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages2, dans des genres très différents – du roman naturaliste (La Folie de misère, 1895) à l'anticipation (Les Surhommes, 1929), en passant par l'étude psychologique (L'Humeur inquiète, 1894), la fiction historique (Les Mains de Dieu, 1917), la biographie romancée (L'Ingénieux hidalgo Miguel Cervantès, 1926) –, et sous des formes non moins variées : romans, comme on vient de le voir, dialogues (Les Chrétiens et les philosophes, 1906), drames (Le Manoeuvre, 1931), poèmes (Les Chants du divorce, 1892), essais (La Sagesse qui rit, 1928)... Mais c'est dans la forme brève qu'il excelle, ce qui justifie son titre de « Prince des Conteurs », décerné en 1912 suite à un référendum organisé par L'Intransigeant. Ainsi ses ouvrages les plus originaux – sinon les meilleurs – sont probablement Les Voyages de Psychodore (1903), Les Paraboles cyniques (1913) et Songes perdus (1929), recueils de contes symboliques dans lesquels l'auteur met ses conceptions philosophiques en images. Car Han Ryner est philosophe autant qu'écrivain. Plus proche de l'esprit de finesse que de celui de géométrie, très loin du philosophe à système bâtissant de complexes édifices à base de définitions et d'axiomes cimentés de logique, il explore, dans le domaine métaphysique, une pensée volontairement mouvante et imprécise, poétique, qui peut rappeler certaines spiritualités orientales. Mais c'est son éthique qui marqua ses contemporains : Ryner réinvestit en effet la figure du sage antique3, ce philosophe qui cherche le vrai, le bien, le beau, non seulement dans la réflexion, mais aussi dans sa vie, pour accéder au bonheur. Il sera ainsi parfois surnommé « le Socrate contemporain4 », et l'on ne s'étonnera pas de le voir puiser aux sources antiques des 1 Pas complètement, puisque son roman Le Père Diogène a été réédité au printemps 2007, aux éditions Premières Pierres, et que la société des Amis de Han Ryner existe toujours (Siège : Les Amis de Han Ryner c/o Mme Suzanne Simon - 10, boulevard Carnot - 93250 Villemonble / Contact : Daniel Lérault - daniel.lerault@wanadoo.fr). Je remercie d’ailleurs vivement Daniel Lérault pour l’aide apportée dans la documentation. 2La bibliographie de référence, qui reste cependant à mettre à jour, est celle établie par Hem Day dans Han Ryner 1861-1938 – Visage d'un centenaire (éd. Pensée & Action, 1963). Pour un panorama rapide, mais exhaustif, on pourra consulter un Survol de l'œuvre rynérienne, sur mon blog (http://hanryner.over-blog.fr/). 3Sur la philosophie antique comme manière de vivre, cf. Qu'est-ce que la philosophie antique ? de Pierre Hadot (Folio Gallimard), lecture aisée et riches perspectives. 4Une réécriture des dialogues socratiques, que Ryner s'amuse à faire rapporter, non par Platon, mais par conceptions cyniques5, épicuriennes et stoïciennes. Ces influences nourriront son individualisme, individualisme qui ne vise pas au déploiement de la puissance du « moi » dans le monde – que Ryner appelle l' « individualisme de la volonté de puissance », en référence à Nietszche –, mais plutôt à la construction et au raffinement d'un « moi » originairement chaotique, pour en faire une harmonie conciliant cœur et esprit : ce que Ryner nomme « individualisme de la volonté d'harmonie6 ». Cet individualisme, s'il passe forcément par des temps de retour sur soi, ne saurait pourtant être un égoïsme. Le « don de soi » sera en effet d'autant plus efficace que le « moi » aura été harmonisé. Il y a dans l'individualisme rynérien un côté « fraterniste », qui ne sera d'ailleurs pas forcément du goût d'autres individualistes, tel Georges Palante7, qui par ailleurs appréciait Ryner. Comme Octave Mirbeau, Han Ryner s’éleva contre les « Idoles Sociales » – État, Armée, Justice, Église, etc. Il défendit des réfractaires, soutint des essais de « milieux libres », écrivit de très nombreux articles dans une multitude de journaux et de petites revues, fit d’innombrables conférences…8 Anarchiste par son refus tant de commander que d’obéir, il se distingue de la plupart des libertaires de l’époque par son scepticisme envers l’action sociale et sa non-violence avant la lettre9. Non-violent par les actes, Ryner n’a cependant pas toujours été très doux dans ses écrits, comme on va pouvoir le constater. Installé depuis 1895 dans la capitale, Henri Ner10 y occupe un poste de répétiteur au lycée Louis-le-Grand. Il fréquente le Félibrige de Paris et les milieux littéraires méridionaux. Il se lie ainsi d'amitié avec Paul Redonnel, secrétaire de rédaction de La Plume. C'est dans cette illustre revue qu'en 1897 Ner publie son feuilleton littéraire du Massacre des Amazones11. Son but : vingt ans après Barbey d'Aurevilly12, étudier les « bas-bleus », ces femmes qui se piquent d'écrire « comme des hommes ». La donnée de base, plus ou moins explicite : la femme et l'homme ont des intelligences bien dissemblables, par conséquent il y a son ennemi Anthisthène (précurseur ou fondateur de l'école cynique), paraît en 1922 sous le titre : Les Véritables entretiens de Socrate. 5On sait que le cynisme antique, dénomination d'une école philosophique qui prône, entre autres, une éthique de la volonté et une vie conforme à la nature, et par conséquent un mépris des conventions sociales, n'a pas grand-chose à voir avec le cynisme moderne étalé par quiconque se croit en droit d'écraser autrui pour parvenir à ses fins. Cf. par exemple Cynismes, portrait du philosophe en chien, de Michel Onfray, ou Les Cyniques grecs, fragments et témoignages, compilation de Léonce Paquet, tous deux au Livre de Poche. Pierre Michel a d'ailleurs montré dans quelle mesure on pouvait considérer Mirbeau comme un continuateur des Cyniques antiques (« Mirbeau le cynique », Dix-neuf / Vingt, n° 10, septembre 2002). 6Cf. le Petit manuel individualiste (1905), Le Subjectivisme (1909), ainsi que les conférences Petite causerie sur la sagesse et Des diverses sortes d'individualisme (toutes deux prononcées en 1921) et l'article « Individualisme (Anarchisme-harmonique) » de l'Encyclopédie anarchiste (1925-1933). Tous ces textes sont disponibles sur http://hanryner.over-blog.fr/. 7« Je n'admire pas tout dans cet individualisme ; je n'en aime pas toute la mystique fraternitaire. », écrit G. Palante dans sa chronique du 15 janvier 1923 au Mercure de France. Cf. le site http://www.georgespalante.net/. 8 Cf. Louis Simon, Un individualiste dans le social : Han Ryner, Éd. Syndicalistes, 1973. Louis Simon était le gendre de Han Ryner, et l’animateur des Cahiers des Amis de Han Ryner de 1939 à 1980. 9 En 1904, alors que Gandhi n’a pas encore adopté sa méthode du satyagraha (protestation non-violente), Ryner écrit Les Pacifiques, utopie dans laquelle les Atlantes sont arrivés à un genre de société anarchiste par un véritable mouvement non-violent de désobéissance civile. Ironie tragique, ce roman ne paraîtra qu’en 1914… 10 Henri Ner ne prit pour pseudonyme Han Ryner qu'en 1898. 11 C’est cependant dans le n° 49 du 20 avril 1897 de Demain, revue dont Ner était le rédacteur en chef, que débuta le Massacre. Demain cessa de paraître deux mois plus tard, et le Massacre fut repris dans La Plume le 1er novembre. 12 Le livre s’ouvre sur cette épigraphe de Barbey, tirée des Bas-Bleus (1878) : « La première punition de ces jalouses du génie des hommes a été de perdre le leur... La seconde a été de n'avoir plus le moindre droit aux ménagements respectueux qu'on doit à la femme. Vous entendez, Mesdames ? Quand on a osé se faire amazone, on ne doit pas craindre les massacres sur le Thermodon » [allusion à l'une des aventures d'Hercule]. des « livres d'hommes » et des « livres de femmes », et quiconque, homme ou femme, tenterait d'écrire un livre ne correspondant pas à son sexe ferait forcément un mauvais livre. Opinion que l'on qualifierait aujourd'hui – et à bon droit – de sexiste... mais qui à l'époque devait être très largement partagée. Quoi qu'il en soit, Le Massacre des Amazones porte bien son nom : c'est une œuvre violente, portée par une virtuosité polémique certaine, mêlant des analyses percutantes et argumentées à d'injustes raccourcis. Et pas loin de deux cents femmes écrivains font les frais de la bataille. On se doute donc que Mirbeau n'est pas directement estourbi au Massacre des Amazones : c'est sa femme Alice, auteure d'un roman intitulé Mademoiselle Pomme, qui prend les coups uploads/Litterature/ clemence-arnoult-deux-ecrivains-libertaires-han-ryner-juge-octave-mirbeau.pdf
Documents similaires










-
23
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 10, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1585MB