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Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Univers ity of Ottawa http://www.archive.org/details/laffairedreyfuslOOzola ^ i LETTRE A LA JEDBE ÉjVIIIiE ZOLlfl OI.V < FNTIMES 3 PARIS DC354 Z88 1897 s»'' i • .« V Ir* ^ ''x , LE' '*'.; -v. ^ ',>:'.*' . 1 M JEUNEssir^f?.;• i ^» • # * * . aÉt*^!^L-««^ LETTRE A LA JEUNESSE •.* Où allez-vous, jeunes "gens, ou allez-vous, étudiants, qui courez en bandes par les rues, manifestant au nom de vos colères et de Vos^nthousi'asmes, éprouvant l'im- périeux besoin de jeter publiquement le cri de vos con- sciences indignées? Allez-vous protester contre quelque abus du pouvoir, à-t-on offensé le besoin de vérité et d'équité, brùkmt encore dans vos âmes neuves, ignorantes des accommo- dements politiques et des lâchetés quotidiennes de la vie? Allez-vous redresser un tort social, mettre la protes- tation de votre vibrante jeunesse dans la balance iné- jale, où sont si faussement pesés le SDrt des heureux et celui des déshérités de ce monde? Allez-vous, pour affirmerla tolérance, l'indépendance de la raison humaine, siffler quelque sectaire de l'in- telligence', à la cervelle étroite, qui aura voulu ramener vos esprits libérés à l'erreur ancienne, en proclamant la ban;;ueroute de la science? Allez-vous crier, sous la fenêtre de quelque person- nage fuyant et hypocrite, votre foi invincible en l'ave- nir, en ce siècle prochain que vous apportez et qui doit réaliser la paix du monde, au nom de la justice et de lamour? — Kon, non! nous allons huer un homme, un vieil- lard, qui, après une longue vie de travail et de loyauté, s'est imaginé qu'il pouvait impunément soutenir une cause généreuse, vouloir que Ja lumière se fasse et qu'une erreur soit réparée, pour l'honneur même de la patrie française! Ah! quand j'élais jeune moi-même, je l'ai vu, le Quartier Latin, tout frémissant des fières passions de la jeunesse, l'amour de la liberté, la haine de la force brutale, qui écrase les cerveaux et comprime les âmes. Je l'ai vu, sous l'Empire, faisant son œuvre brave d'opposition, injuste môme parfois, mais toujours dans un excès de libre émancipalion humaine. Il sifflait les autours agréables aux Tuileries, il malmenait les professeurs dont l'enseignement lui semblait louche, il se levait contre quiconque se montrait pour les ténè- bres et pour la tyrannie. En lui brûlait le foyer sacré de la belle folie des vingt ans, lorsque loutes les espé- rances sont des réalités, et que demain apparaît comme le sûr triomphe de la Cité parfaite. Et, si l'on remontait plus haut, dans celte histoire des passions nobles, qui ont soulevé la jeunesse des Ecoles, toujours on la verrait s'indigner sous l'injus- tice, frémir et se lever pour les humbles, les aban- donnés, les persécutés, contre les féroces et les puis- sants. Elle a manifesté en laveur des peuples opprimés, elle a été pour la Pologne, pour la Grèce, elle a pris la défense de tous ceux qui souffraient, qui agonisaient sous la brutalité d'une foule ou d'un despote. Quand on disait que le Quartier Latin s'embrasait, on pouvait être certain qu'il y avait derrière quelque flambc'e de juvénile justice, insoucieuse des ménagements, faisant d'enthousiasme une œuvre du cœur. Et quelle sponta- néité alors, quel fleuve débordé coulant par les rues! Je sais bien qu'aujourd'hui encore le prétexte est la patrie menacée, la France livrée à l'ennemi vainqueur, par une bande de traîtres. Seulement, je le demaade, oîi trouvera-t-on la claire intuition des choses, la sen- sation instinctive de ce qui est vrai, de ce qui est juste, si ce n'est dans ces âmes neuves, dans ces jeunes gens qui naissent à la vie publique, dont rien encore no devrait obscurcir la raison droite et bonne? Que les hommes politiques, gâtés par des années d'intrigues, que les journalistes, déséquilibrés par toutes les com- promissions du métier, puissent accepter les plus im- pudents mensonges, se boucher les yeux à d'aveu- glantes clartés, cela s'explique, se comprend. Mais elle, la jeunesse, elle est donc bien gangrenée déjà, pour que sa pureté, sa candeur naturelle, ne se reconnaisse pas d'un coup au milieu des inacceptables erreurs, et n'aille pas tout droit à ce qui est évident, à ce qui est limpide, d'une lumière honnête de plein jour! Il n'est pas d'histoire plus simple. Un officier a été condamné, et personne ne songe à suspecter la bonne foi des juges. Il l'ont frappé selon leur conscience, sur des preuves qu'ils ont cru certaines. Puis, un jour, il arrive qu'un homme, que plusieurs hommes ont des doutes, finissent par être convaincus qu'une des preuves, la plus importante, la seule du moins sur laquelle les juges se sont publiquement appuyés, a été faussement attribuée au condamné, que celle pièce est à n'en pas douter de la main d'un autre. Et ils le disent, et cet autre est dénoncé par le frère du prisonnier, dont le strict devoir était de le faire ; et voilà, forcément, qu'un nouveau procès commence, devant amener la revision du premier . procès, s'il y a condamnalion. Est-ce que tout cela n'est pas parfaitement clair, juste et raisonnable? Où y a-t-il, là-dedans, une machination, un noir complot pon'r. sauver un traître? Le traître, on ne le nie pas, on veut seulement que ce soit un cou- pable et non «m innoceôt qui expie le crime. Vous l'au- rez toujours, volrç traître, et il ne s'agit que de vous en donner un aulhentique. , Un peu .de bon sens ne devrait-il pas suffire? A quel mobile gbéiraieïit donc les hommes qui poursuivent la revision du procès Dreyfus? Ecartez l'imbécile antisé- mitisme, dont la monomanie féroce voit là un complot juif, rpr juif s'efforçant de remplacer un juif par un chrétien, dans la geôle infâme. Cela ne tient pas debout, les invraiseipblances et les impossibilités croulent les unes sur les autres, tout l'or de la terre n'achèterait pas certaines consciences. Et il faut bien en arriver à la réalité, qui est l'expansion naturelle, lente, invincible de toute erreur judiciaire. L'histoire est là. Une erreur judiciaire est une force en marche . des hommes de conscience sont conquis, sont hantés, se dévouent de plus en plus obstinément, risquent leur fortune et leur vie, jusqu'à ce que justice soit faite. Et il n'y a pas d'autre explication possible à ce qui se passe aujour- d'hui, le reste n'est qu'abominables passions politiques et religieuses, que torrent débordé de calomnies et d'injures. Mais quelle excuse aurait la jeunesse, si les idées d'humanité et de justice se trouvaient obscurcies un instant en elle! Dans la séance du 4 décembre, une Chambre française s'est couverte de honte, en votant un ordre du jour « flétrissant les meneurs de la cam- pagne odieuse qui trouble la conscience publique ». Je le dis hautement, pour l'avenir qui me lira, j'espère, un tel vote est indigne de notre généreux pays, et il restera comme une tache ineffaçable. « Les meneurs », ce sont les hommes de conscience et de bravoure, qui, certains d'une erreur judiciaire, l'ont dénoncée, pour que répa- ration fût faite, dans la conviction patriotique qu'une grande nation, où un innocoiit 'agoniserait parmi les tortures, serait une natiorf condamnée. <« La cam- pagne odieuse*», c'est le cri de v^ité, le cri de justice que ces hommes poussent, c'esk l'obstination qu'ils mettent à vouloir que la France ^reste, -devant les peuples qui la regardent, la France humainct la France qui a fait la liberté et qui fera la justice'. Et, vous le. voyez bien, la Chambre a sûrement commis un crime, puisque voilà qu'elle a pourri jusqu'à la jetinessede nos Écoles, et que voilà celle-ci trompée, égarée, lâchée au travers de nos ruos, manifestant, ce qui ne s'était jamais vu encore, contre tout ce qu'il y a de plus fier, de plus brave, de plus divin dans l'âme humaine! Après la séance du Sénat, le 7, on a parlé d'écroule- ment pour M. Scheurer-Kestner. Ah! oui, quel écrou- lement, dans son cœur, dans son âme! Je m'imagine son angoisse, son tourment, lorsqu'il voit s'effondrer autour de lui tout ce qu'il a aimé de notre République, tout ce qu'il a aidé à conquérir pour elle, dans le bon combat de sa vie, la liberté d'abord, puis les mâles vertus de la loyauté, de la franchise et du courage civique. — 8 — Il est un des derniers de sa foiic ge'néralion. Sous l'Empire, il a su ce que c'était qu'un peuple soumis à l'autorité d'un seul, se dévorant de fièvre et d'impa- tience, la bouche brutalement bâillonnée, devant les dénis de justice. Il a vu nos défaites, le cœur saignant, il en a su les causes, toutes dues à l'aveuglement, à l'imbécillité despotiques. Plus tard, il a été de ceux qui ont travaille le plus sagement, le plus ardemment, à relever le pays de ses décombres, à lui rendre son rang en Europe. Il date des temps héroïques de notre France républicaine, et je m'imagine qu'il pouvait croire avoir fait une œuvre bonne et solide, le despotisme chassé à jamais, la liberté conquise, j'entends surtout uploads/Litterature/ emile-zola-lettre-a-la-jeunesse-l-x27-affaire-dreyfus.pdf

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