Le Procès Le Procès : : GENÈSE DU ROMAN GENÈSE DU ROMAN   ÉCHOS AUTOBIOGRAPHI

Le Procès Le Procès : : GENÈSE DU ROMAN GENÈSE DU ROMAN   ÉCHOS AUTOBIOGRAPHIQUES ÉCHOS AUTOBIOGRAPHIQUES Comme presque toujours, l'œuvre trouve son origine dans des événements forts ou des aspects marquants de la vie de l’auteur. Aussi la tentation est-elle grande d’assimiler plus ou moins le personnage principal Joseph K. et Franz Kafka lui-même (ne serait-ce qu’à cause de l’initiale commune de leur nom). Dans Le Procès, Joseph K. supporte de moins en moins les astreintes de son métier et le harcèlement moral de son chef ; il se montre maladroit avec les femmes, incapable d’harmoniser ses désirs avec les leurs ; il ressent enfin comme tyrannique la pesanteur des hommes d’âge mûr : le juge d’instruction, le directeur-adjoint, son oncle, l’avocat Me Huld, etc. Dès lors, on peut se demander si « le procès », ce n’est pas autant celui que Franz Kafka intente à tout son entourage que celui que subit Joseph K. …   Le monde du "bureau" Le monde du "bureau" Dans la réalité, Franz Kafka, titulaire d’un diplôme de droit, a d’abord travaillé pour une société d’assurances italienne, les Assicurazioni Generali, puis, à partir de 1908 et jusqu’à sa retraite anticipée en juillet 1922, pour l’Office d’assurances contre les accidents du travail, où il s’est acquis la réputation d’un employé zélé et performant, malgré ses nombreux "arrêts pour maladie" et séjours en maison de repos (où il "culpabilise"). Ce métier n’est cependant pour Kafka qu’un gagne-pain : il ronge son frein dans sa compagnie d’assurances et ne cesse de pester contre la misère intellectuelle résultant de ses tâches bureaucratiques. Ainsi, cet investissement personnel dans le travail lui coûte toutes ses forces et, très tôt, son métier entre en concurrence avec sa véritable vocation, celle d’écrivain, qu’il est obligé d’exercer la nuit, en prenant sur son temps de sommeil : Lorsque je voulus sortir du lit, ce matin, je me suis tout bonnement effondré. Il y a à cela une raison très simple, je suis complètement surmené. Pas par le bureau, mais par mon travail d'un autre ordre. Le bureau n'y participe qu'innocemment dans la mesure où, si je n'étais pas obligé de m'y rendre, je pourrais vivre tranquillement pour mon travail sans avoir à passer là-bas ces six heures par jour qui, surtout le vendredi et samedi parce que j'étais encore plein de mes histoires, m'ont tourmenté à un point que vous ne pouvez concevoir. En fin de compte, je le sais, tout cela n'est que verbiage, c'est moi le coupable, et le bureau a envers moi les exigences les plus claires et les plus fondées. Simplement, c'est pour moi une existence double et terrible, à laquelle il n'y a probablement pas d'autre issue que la folie. Journal, 19 février 1911 Commentant cette citation, Dorian ASTOR écrit : « Il ressort de cet extrait que travail salarié et création littéraire créent une tension extrême, dont le paroxysme menace Kafka d'effondrement et de folie. Le "bureau" est une instance personnifiée, douée d'une dimension morale légitime et qualifiée d'innocente, et face à cette innocence du "bureau", l'individu est coupable et ne peut s'en prendre qu'à lui- même. »1 Ainsi l'œuvre rend-elle sensible un double procès : celui de Joseph K. par ses employeurs, et celui de l’aliénation sociale par Franz Kafka2. 1 Dorian Astor, Introduction au Procès, « La Bibliothèque Gallimard », 2004 (p. 8). 2 Dans le film, Orson Welles renforce encore cette impression insupportable d’aliénation et de déshumanisation, en transformant le "bureau" en un immense hall où sont alignés des centaines d’employés, sans individualité, tous penchés sur leur machine et régis par les sonneries, auxquelles ils réagissent en chœur comme des chiens de Pavlov.   Les fiançailles rompues Les fiançailles rompues Dans l’histoire compliquée des relations sentimentales entre Franz Kafka et Felice Bauer, l’épisode des "fiançailles rompues" occupe une place majeure. Voici les faits. Lors de son voyage en Europe en compagnie de Max Brod (1911-1912), Kafka a rencontré à Berlin, chez les parents de son ami, Felice Bauer (1887-1960), dont il est tombé immédiatement amoureux. S’en est suivie une correspondance sentimentale, abondante et torturée, qui révèle l’ambiguïté et la complexité des sentiments de Franz, tantôt mendiant fiévreusement l’amour de la jeune fille, tantôt la repoussant et la mettant en garde contre tout attachement excessif envers lui : Considéré du point de vue de la littérature, mon destin est très simple. Mes dispositions pour décrire ma vie intérieure, qui a quelque chose d’onirique, ont fait tomber tout le reste dans l’accessoire, et tout le reste s’est affreusement rabougri, ne cesse de se rabougrir. Rien d’autre ne pourra jamais me satisfaire3. Après de longues hésitations, et la médiation d’une amie de Felice, Grete Bloch, des fiançailles officielles sont enfin célébrées à Berlin le 1er juin 1914. Mais contre toute attente, Franz Kafka les remet en cause dans les semaines qui suivent. L’extrait suivant montre à quel point il les a vécues comme une épreuve aliénante : Rentré de Berlin. J’étais ligoté comme un criminel. Eussé-je été mis dans un coin avec de vraies chaînes et des gendarmes postés devant moi et ne m’eût-on laissé regarder ce qui se passait qu’ainsi enchaîné, cela n’eût pas été pire. Et c’étaient là mes fiançailles, et tout le monde s’efforçait de me ramener à la vie, et comme cela ne se pouvait pas, de me supporter tel que j’étais. F. s’y efforçait moins que les autres, et avec raison, puisque c’était elle qui souffrait le plus. Ce que les autres regardaient comme un simple symptôme était pour elle une menace. Journal, 6 juin 1914 [juste après ses premières fiançailles]. Le 12 juillet, dans un hôtel de Berlin, l’Askanischer Hof, est organisée une rencontre où sont réunis pour la circonstance quelques-uns des amis et parents des deux jeunes gens, pour tenter d’arranger les choses et de faire revenir Franz sur sa décision. Au terme de cette pénible journée, les fiançailles sont officiellement rompues, au grand dam de tous ses proches, et le fiancé est sommé de s’expliquer devant tous ses parents, qui avaient déjà préparé l’installation du futur couple. En refusant viscéralement d’aliéner sa liberté d’écrivain au modèle matrimonial traditionnel, Franz est conscient de rester incompris, de se révéler en quelque sorte « diabolique en toute innocence » (Journal). Grete Bloch, dit-on, a joué un rôle prépondérant dans ce simulacre de procès où Franz a eu l’impression de comparaître dans le rôle de l’accusé4. Dans son Journal, à la date du 23 juillet 1914, Kafka relate les moments pénibles de cette journée, marquée par l’échange de propos hostiles, qu’il appelle significativement « le tribunal de l’Askanischer Hof » ; il dit y avoir éprouvé une sensation d’étouffement, au grand plein de l’été, dans une chambre surchauffée aux murs comme rétrécis qui « enserrent la fenêtre placée dans un renfoncement ». Dans tous les cas, c’est très certainement cet épisode douloureux de son existence qui déclenche l’écriture du Procès. En réalité, il semble bien que Franz Kafka ne puisse pas envisager de concilier littérature et vie de famille, comme il l’écrit dans une lettre adressée au père de sa fiancée : « Mon unique 3 Journal, le 6 août 1914. 4 Il n’est pas interdit de penser que, dans Le Procès, Grete Bloch est représentée sous les traits de Mlle Montag, l’amie allemande de Mlle Bürstner. aspiration, mon unique vocation […] est la littérature. » Ainsi a-t- il l’impression d’être incapable de s’agréger à la communauté des gens "ordinaires", bref d’être rejeté de la loi commune. Et trois ans plus tard encore le torture le même sentiment de culpabilité : F[elice] est venue, elle a voyagé trente heures pour me voir, j’aurais dû empêcher cela. Si son état est ce que j’imagine, elle porte un poids de détresse extrême, et essentiellement par ma faute. Moi-même, je ne parviens pas à me reprendre, je suis tout aussi insensible qu’impuissant ; je m’inquiète de voir certaines de mes habitudes dérangées et mon unique concession consiste à jouer un peu la comédie. Elle a tort dans les petites choses, elle a tort quand elle défend ses droits prétendus ou réels, mais dans l'ensemble, elle est innocente, une innocente condamnée à une cruelle torture ; c’est moi qui ai commis le mal pour lequel elle est condamnée et c’est moi, pour comble, qui sers d’instrument de torture. Journal, 21 septembre 1917 Entre-temps, Franz Kafka a renoué avec Felice Bauer dès octobre 1915, et a même renouvelé ses fiançailles en juillet 1917, pour les rompre définitivement en décembre… Il n’empêche que toutes les figures féminines du Procès, d’une manière ou d’une autre, participent à entretenir chez Joseph K. un sentiment de culpabilité latent, quand elles ne sont pas ouvertement des auxiliaires de la Justice.   La figure du père La figure du père La figure du père traverse l’essentiel de l'œuvre de Kafka, de La Métamorphose au Verdict, en passant par le Journal et la correspondance. Elle culmine bien sûr dans la Lettre au père en 1919. Hermann Kafka, commerçant juif issu uploads/Litterature/ genese-du-roman.pdf

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