UNIVERSITÉ DE PARIS SORBONNE (PARIS IV) ÉCOLE DOCTORALE III, Littératures Franç
UNIVERSITÉ DE PARIS SORBONNE (PARIS IV) ÉCOLE DOCTORALE III, Littératures Françaises et Comparée Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Paris Sorbonne Discipline : Littérature Française Présentée le 7 mars 2012 par : Rana EL-GHARBIE Titre de la thèse : LES JOURNAUX DE JEAN COCTEAU Sous la direction de : Mme Henriette LEVILLAIN JURY : M. Pierre CAIZERGUES M. Serge LINARÈS M. Frank LESTRINGANT Position de thèse Jean Cocteau est un artiste hétéroclite : il est le romancier des Enfants terribles, le dramaturge de La Machine infernale, le cinéaste de La Belle et la Bête, le dessinateur d’innombrables Orphée, le décorateur de la Chapelle de Villefranche-sur-Mer, etc. S’il a recours à diverses formes d’expression tout au long de sa vie, il annexe tout « véhicule1 » de sa pensée au « temple qui portera le nom Poésie2 » et se proclame poète, essentiellement. Dès lors, en organisant ses œuvres complètes, il distingue sa poésie, sa poésie de roman, sa poésie critique, sa poésie de théâtre, sa poésie graphique et sa poésie cinématographique. D’une part, cette classification sauve sa réputation de touche-à-tout et d’écrivain frivole. D’une part, elle éclaire l’ « architecture cachée, ce jeu d’équilibre en dessous qui donnent à [son] œuvre, boiteuse en apparence, une harmonie3 ». Le poète fait valoir la permanence de sa « ligne4 » : pour reprendre ses mots, il saute de branche en branche dans un seul arbre. Dans sa poésie critique, l’auteur regroupe les entretiens, les discours, les chroniques, les textes critiques, les essais, les correspondances et les journaux. Dans cette thèse, nous avons choisi d’étudier l’œuvre diaristique complète de Cocteau. En général, les critiques qui s’intéressent à son univers citent ses journaux afin d’analyser d’autres œuvres ou afin d’explorer une thématique traversant l’ensemble de ses créations. Par ailleurs, rares sont les ouvrages sur le genre du journal qui mentionnent les textes du poète. Mis à l’écart dans les textes critiques sur l’auteur et sur le genre, les journaux de Cocteau sont pourtant nombreux et diversifiés. ∗∗∗ Cocteau tient huit différents journaux de 1928 jusqu’à sa mort en 19635. En 1930, il publie Opium. Journal de désintoxication6, tenu lors de son séjour à la clinique de Saint-Cloud, de décembre 1928 à avril 1929. Six ans plus tard, paraît Tour du monde en 80 jours (Mon premier 1 Jean Cocteau, Entretiens sur le cinématographe, Éditions du Rocher, 2003, p. 13. 2 Œuvres poétiques complètes, Gallimard, 1999, p. 972. 3 Ibid., p. 6. 4 La « ligne » est une notion développée dans La Difficulté d’être, op. cit., p. 157-161. La « ligne » évoque la permanence de l’artiste et par conséquent, le lien entre ses différentes œuvres. 5 Cocteau a tenu un journal de jeunesse du 28 juin 1911 à avril 1912. Le manuscrit de ce journal est conservé dans une collection privée parisienne. Il n’est pas encore publié de nos jours. Pierre Chanel en cite quelques extraits dans « Les vocalises de Bachir-Selim », dans Cahiers de Jean Cocteau, n.1, Cocteau et les mythes, textes réunis par Jean-Jacques Kihm et Michel Décaudin, La Revue des lettres modernes, n.298-303, mars 1972. 6 Jean Cocteau, Opium. Journal de désintoxication, Stock, 1930. voyage)7. Ce journal de bord retrace le voyage de Cocteau et de Marcel Khill parcourant le monde en suivant l’itinéraire des héros de Jules Verne. L’excursion commence le 28 mars 1936 et s’achève le 17 juin de la même année. Les extraits du texte figurent d’abord dans Paris-soir avant leur publication en un livre8. Durant la Seconde Guerre mondiale, à l’exemple de nombreux écrivains français, le poète tient un journal de guerre de mars 1942 à avril 1945. Journal 1942-19459 n’est publié qu’en 1989, vingt-six ans après la mort de son auteur. Quatre mois après la clôture de son journal de guerre, Cocteau débute un nouveau journal. La Belle et la Bête. Journal d’un film10 retrace l’expérience cinématographique du film éponyme, du 26 août 1945 au 1er juin de l’année suivante. Ce journal d’une œuvre est publié en 1946. Après le tournage, la santé du poète se détériore et ce dernier s’enferme dans une maison de campagne à Milly le 1er juin 1946 où il commence à rédiger La Difficulté d’être11. Ce journal par chapitres est édité en 1947. Deux ans plus tard, accompagné de sa troupe de théâtre, le dramaturge tient le journal de sa tournée, du 6 mars au 23 mai 1949. Maalesh. Journal d’une tournée de théâtre12 paraît la même année. Le Passé défini13, journal de vie, publié à titre posthume selon la volonté de l’auteur, s’étend sur douze ans : de 1951 jusqu’à la mort du diariste en 1963. De nos jours, seuls les cahiers correspondants aux neuf premières années sont rendus publics. En parallèle, l’écrivain rédige Journal d’un inconnu14 de février à juin 1952 et l’imprime la même année. La diversité des journaux et la longue durée de cette activité, s’étendant sur une période de trente-cinq ans avec quelques interruptions, témoignent de l’importance de cette pratique d’écriture pour Cocteau et par conséquent, de la place considérable qu’occupe le genre du journal personnel dans l’ensemble des créations du poète. ∗∗∗ L’étude de l’ensemble des journaux personnels de Cocteau porte à la fois sur la présentation d’une pratique d’écriture et sur la définition d’un genre littéraire. D’abord, il nous faudra exposer 7 Jean Cocteau, Tour du monde en 80 jours (Mon premier voyage), Gallimard, 1936. 8 Tour du monde est publié pour la première fois sous le titre « Mon tour du monde en 80 jours », dans Paris-soir, du 1er août au 3 septembre 1936 (à l’exception du 17, 21, 25 et 31 août). 9 Jean Cocteau, Journal 1942-1945, Gallimard, 1989. 10 Jean Cocteau, La Belle et la Bête. Journal d’un film, Éditions du Rocher, 1994. 11 Jean Cocteau, La Difficulté d’être, Éditions du Rocher, 1989. 12 Jean Cocteau, Maalesh. Journal d’une tournée de théâtre, Gallimard, 1949. 13 Jean Cocteau, Le Passé défini, tome I, 1951-1952, Gallimard, 1983 ; tome II, 1953, Gallimard, 1985, tome III, 1954, Gallimard, 1989, tome IV, 1955, Gallimard, 2005, tome V, 1956-1957, Gallimard, 2006, tome VI, 1958-1959. Le tome VI n’est pas intégré à notre corpus puisqu’il a été publié en juin 2011. 14 Jean Cocteau, Journal d’un inconnu, Grasset, 1953. les conditions, les causes et les enjeux profonds de cette activité chez le poète. Ensuite, il nous est nécessaire de réfléchir sur sa conception du genre, afin de relever l’originalité de ses journaux et de questionner la littérarité de ses textes. Dans notre travail, l’analyse de la pratique et du genre du journal chez le poète est régie par la question suivante : les journaux de Cocteau sont-ils des œuvres ou des annexes à ses œuvres ? Notre problématique concerne alors la fonction des journaux dans l’ensemble de la création coctélienne. Il s’agit de souligner la spécificité de ce « véhicule » tout en démontrant sa participation à la définition de la « ligne » du créateur. ∗∗∗ La première partie de notre thèse s’articule autour de la pratique diaristique de Cocteau. La présentation du corpus s’organise en fonction de la typologie des journaux du poète : journaux circonstanciels, journaux de voyage, journaux par chapitres et journaux posthumes. L’introduction de ces textes pose de nombreux paradoxes, puisque le diariste ne semble pas suivre les mêmes rituels d’écriture d’un journal à l’autre. De plus, il est primordial d’introduire les œuvres principales avec lesquelles communiquent les journaux de l’auteur, puisque nous les évoquerons à plusieurs reprises dans notre travail. Face à une pratique d’écriture changeante et par moments, fragile, nous essayons de mettre en valeur la continuité rythmique et stylistique des textes de notre corpus. Dans les journaux de Cocteau, le rythme privilégié est celui de la pensée et le style valorisé est celui qui épouse le créateur. Enfin, les fonctions du journal coctélien sont classiques. À l’exemple de la majorité des diaristes, le poète cherche à lutter contre le temps qui passe, à faire son portrait et à se confesser. Tout au long de cette partie, il s’agit non pas de définir Cocteau comme un diariste commun, mais de démontrer comment cette pratique d’écriture ordinaire et ses fonctions habituelles s’adaptent à la personnalité et à l’univers de l’auteur. Par ailleurs, il nous faudra envisager cette activité en fonction du statut du diariste, poète « inconnu et méconnu15 ». Le journal coctélien est pédagogique, puisque c’est dans ses journaux que l’écrivain se positionne contre la critique contemporaine et partage ses expériences artistiques. 15 Le Passé défini, tome I, op. cit., p. 28. Dans la deuxième partie, nous définissons la conception du genre du poète. Ce dernier remet en question des caractéristiques génériques essentielles pour de nombreux critiques. La datation, l’intimisme, la publication posthume et le discours auctorial ne sont pas des éléments stables du journal coctélien. Plus encore, Cocteau fait le procès du genre et définit sa conception du journal en opposition aux textes de célèbres diaristes de son époque. Il critique les notes historiques du journal de Hugo, les commentaires mondains du uploads/Litterature/ jean-cocteau-sur.pdf
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- Publié le Fev 25, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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