8 Le don de l’essai Les Carnets de Bérose À propos de l’Essai sur le don de Mar
8 Le don de l’essai Les Carnets de Bérose À propos de l’Essai sur le don de Marcel Mauss Fernando Giobellina Brumana Copyright 2017 Lahic / Ministère de la Culture, direction générale des Patrimoines, département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique ISBN 978-2-11-152027-1 ISSN 2266-1964 Illustration de couverture : cape cérémonielle chilkat, pouvant être offerte lors de potlatchs © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain Fabrication de l’édition électronique : Martin Monferran Carnet de Bérose n°8 Ce Carnet de Bérose est une version actualisée de « Estudio prelminar. El don del ensayo », préface à Marcel Mauss, Ensayo sobre el don. Forma y función del intercambio en las sociedades arcaicas, 2009, Katz Editores, Buenos Aires et Madrid Traduit de l’espagnol par Isabelle Combès Revu par Annick Arnaud et Christine Laurière Les Carnets de Bérose 8 Le don de l’essai Fernando Giobellina Brumana Lahic / DPRPS-Direction générale des patrimoines – 2017 À propos de l’Essai sur le don de Marcel Mauss 4 Sommaire Avant-propos 5 Là-bas, à la fin du xix e siècle… 10 Le monde des idées 10 Les créneaux institutionnels 13 L’heure de Marcel Mauss 16 L’Essai 31 Avertissement aux lecteurs de l’Essai 46 Bibliographie générale 47 5 Avant-propos Q uelque quatre-vingt-dix ans après sa parution, l’Essai sur le don reste l’œuvre la plus connue, non seulement de son auteur, Marcel Mauss, mais aussi de l’ensemble de l’École dirigée par son oncle Émile Durkheim. Il n’a pas conquis d’emblée cette prééminence ; sa réception initiale n’avait pas été très favorable : seulement quelques rares comptes rendus, quoiqu’élogieux, dans la Revue philosophique, L’Année psychologique et d’autres revues, mais aucun signé d’un grand nom. En outre, ceux-là même dont la production ethnographique avait été fondamentale pour la composition du livre ne saluèrent pratiquement pas sa parution. Franz Boas et Bronislaw Malinowski envoyèrent chacun une lettre de remerciements mais seul le second fit référence à la publication, de façon peu consistante dans une note rajoutée dans un livre déjà sous presse 1. Cette faible répercussion initiale tient peut-être à ce que son thème – l’origine du contrat, pour aller vite – venait d’être abordé par Georges Davy, un compagnon de Mauss, à l’époque beaucoup plus connu du public – le rare public qui suivait ces questions –, dans son livre La foi jurée (1922) 2. Pour la majorité, l’Essai pouvait donc sembler une œuvre moins originale qu’elle nous semble aujourd’hui. Il y eut aussi des réactions adverses. Henri Hubert, ami intime et collaborateur de Mauss, ne lui cacha pas – dans une correspondance privée et non dans un texte publié 3 – ses réserves sur son travail : en plus de ses critiques sur le style (« il n’est pas facile à lire », « il est souvent flou »), sur des lacunes dans l’information et des questions qui, on le verra, sont centrales dans l’Essai, il s’interrogeait sur la notion de « prestations totales » et les considérations morales, politiques, qui concluaient sa réflexion. Raymond Firth 4, élève de Malinowski, signala quant à lui des erreurs dans l’utilisation des données ethnographiques provenant des Argonautes du Pacifique occidental, réfutant l’interprétation de Mauss du hau – intervient ici une double question dont nous reparlerons : d’un côté des problèmes de traduction du terme maori et, de l’autre, les problèmes du passage du caractère binaire que le don et le contre-don montraient chez les Amérindiens du Nord-Ouest de l’Amérique du Nord, au caractère polynomial qu’ils assumaient en Mélanésie. L’Essai a été peu utilisé par ceux dont Mauss était le référent ; la plupart, ethnologues ou pas, recouraient à ses autres travaux, sur la magie, le sacrifice, les classifications. On sait cependant que le texte a été le point de départ des travaux d’au moins deux penseurs de grande importance : l’helléniste Louis Le don de l’essai 6 Gernet 5, le linguiste Émile Benveniste 6. Dans des œuvres qui dressaient le panorama de la production sociologique de l’époque, le texte de Mauss a occupé une place importante ; c’est le cas de la longue mention élogieuse de Célestin Bouglé 7, comme du chapitre de Lévi-Strauss 8 sur la sociologie française, dans une vision globale de la production sociologique mondiale dirigée par Georges Gurvitch. C’est peut-être Georges Bataille, une figure difficile à cerner, qui a montré le plus d’intérêt pour le travail de Mauss dans un bref article de 1933 – « La notion de dépense 9 » –, même si Bataille accordait aux faits exposés par Mauss une signification que ce dernier n’imaginait pas. Bataille partait d’une lecture très partielle, si l’on veut, de la vision de Mauss, mais il mettait l’accent sur une question clef : les frais improductifs (ce que Bataille appelait « dépense »). Le fait que cette tentative ait été réalisée dans une perspective naturaliste, et qu’elle ait fait partie d’une poétique narcissiste du mal (le texte final dans lequel Bataille a inclus son article des années plus tard s’appelle La part maudite…) est sans doute la principale raison qui explique que cette voie se soit fermée sans plus de conséquences, et n’ait pas été reconnue par les cercles académiques. Mais, en dédaignant Bataille, on taisait une question qui, comme on le soutiendra ici, peut être considérée comme centrale dans le système des dons : l’excès, le gaspillage, le sacrifice sans récepteur. En 1950, l’Essai fut republié dans une compilation de textes de Mauss, Sociologie et anthropologie ; dans sa longue et dense introduction à ce volume, Claude Lévi-Strauss faisait de L’Essai sur le don son œuvre la plus importante, jugement devenu depuis lors une formule canonique. L’opinion de Lévi- Strauss n’est pas étonnante ; la base théorique sur laquelle s’échafaude l’énorme édifice de ses Structures élémentaires de la parenté, publié un an auparavant, était la prohibition de l’inceste et les régulations des échanges de femmes entre unités exogames, c’est-à-dire l’application du schéma du don au champ déterminé de la parenté. Ce tournant a provoqué une réévaluation de la place de l’Essai dans l’œuvre maussienne ; celle-ci se montrait dorénavant sous un jour différent 10. Elle entrait dans une modernité structurale, grâce à Lévi-Strauss mais aussi aux anthropologues anglais. Il se passa quelque chose que Mauss n’aurait peut-être pas trop apprécié : lui et son œuvre se convertirent en objet d’étude ; les regards des savants se portaient désormais sur lui et non plus sur la réalité sociale concrète qui devait être, comme lui- même l’avait prôné maintes fois, la cible de l’activité scientifique. Dès lors, écrivirent sur l’Essai les anthropologues les plus éminents : Marshall Sahlins, Edward Evan Evans-Pritchard, Karl Polanyi, Maurice Godelier, des sociologues comme Pierre Bourdieu, des philosophes comme Claude Lefort et Fernando Giobelline Brumana 7 Maurice Merleau-Ponty. Et d’autres, beaucoup d’autres. Une bonne partie de ces lectures proposent des interprétations divergentes, des tentatives pour l’absorber dans des courants théoriques opposés : Tout se passe donc comme si chaque critique, victime d’une inévitable illusion rétrospective, trouvait dans l’Essai sur le don la confirmation de sa propre théorie sociologique ou même philosophique et l’ébauche de sa propre méthode. Structuraliste pour les uns, fonctionnaliste pour les autres, phénoménologue pour les troisièmes […] Toutes les interprétations ne sont contradictoires que dans la mesure où elles isolent ou même privilégient un moment de l’analyse au détriment des autres 11. Le fait qu’aient surgi autant d’exégèses provient de la structure même de l’Essai : ce n’était pas, ce n’est toujours pas un texte de lecture linéaire et univoque ; les interprétations divergentes, dès lors que chaque lecteur du texte en tentait une compréhension plus achevée, étaient inévitables et forment désormais partie d’un corpus commun auquel chaque lecture ajoute, pour le meilleur ou pour le pire, une nouvelle couche. Tenter de proposer une expérience vierge de l’original serait quelque chose d’impossible parce que fictif. La pluralité même des lectures, cette polysémie inéluctable, semblent de plus suggérer que l’œuvre attend toujours une révélation de sa pleine signification. Une pleine signification qui pourrait ne pas avoir été présente à l’esprit de l’auteur, qui souvent ne semblait pas conscient de la portée de ses trouvailles, et qu’on ne peut établir aujourd’hui d’un seul trait de plume, mais qui doit se construire dans une interlocution toujours ouverte : au fond, ce dont parle le texte est l’existence même de la sociabilité, son soubassement. Ces derniers temps, il ne se passe pas une année sans que paraissent articles et livres en différentes langues sur l’Essai. En somme, il est beaucoup plus lu et discuté aujourd’hui qu’au cours des décennies qui suivirent sa parution ; il s’est converti en une œuvre sur laquelle les anthropologues reviennent encore et toujours. Ils y reviennent, nous y revenons, pour différentes raisons. Les uns pour anéantir dans l’œuf une perspective ethnologique qui échappe à des schémas déterminés ‒ en quelque sorte, pour montrer que Mauss s’emballait et créait des monstres idéaux qui n’avaient rien à voir avec la réalité empirique. D’autres, au contraire, ne le font pas tellement dans l’intérêt de l’histoire des uploads/Litterature/ le-don-de-l-x27-essai-f-giobellina-brumana.pdf
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- Publié le Mar 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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