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Editions Esprit is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Esprit. http://www.jstor.org Editions Esprit CE QUI ME PRÉOCCUPE DEPUIS TRENTE ANS Author(s): Paul Ricœur Source: Esprit, No. 117/118 (8/9) (Août-septembre 1986), pp. 227-243 Published by: Editions Esprit Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24273789 Accessed: 23-02-2016 05:03 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. This content downloaded from 128.111.121.42 on Tue, 23 Feb 2016 05:03:19 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions CE QUI ME PRÉOCCUPE DEPUIS TRENTE ANS par Paul Ricœur Pour donner une idée des problèmes qui m'occupent depuis une tren taine d'années et de la tradition à laquelle mon traitement de ces problèmes se rattache, il m'est apparu que la méthode la plus appro priée était de partir de mon travail actuel sur la fonction narrative, puis de montrer la parenté de ce travail avec mes travaux antérieurs sur la méta phore, sur la psychanalyse, sur la symbolique et sur d'autres problèmes connexes, enfin de remonter de ces investigations partielles vers les présup positions, tant théoriques que méthodologiques, sur lesquelles l'ensemble de ma recherche s'établit. Cette progression à rebours dans ma propre œuvre me permet de reporter à la fin de mon exposé les présuppositions de la tradition phénoménologique et herméneutique à laquelle je me rattache, en montrant comment mes analyses tout à la fois continuent, corrigent et parfois mettent en question cette tradition. I La fonction narrative Je dirai d'abord quelque chose de mes travaux consacrés à la fonction narrative. Trois préoccupations majeures s'y font jour. Cette enquête sur l'acte de raconter répond d'abord à un souci très général, que j'exposais naguère dans le premier chapitre de mon livre sur Freud et la philosophie1, celui de pré server l'amplitude, la diversité et l'irréductibilité des usages du langage. Dès le début on peut donc voir que je m'apparente à ceux qui, parmi les philo sophes analytiques, résistent au réductionnisme selon lequel les « langues bien faites » devraient mesurer la prétention au sens et à la vérité de tous les emplois non « logiques » du langage. Un second souci complète et d'une certaine façon tempère le premier : celui de rassembler les formes et les modalités dispersées du jeu de raconter. En effet, au cours du développement des cultures dont nous sommes héri 1. De l'interprétation, Seuil, 1965. 227 This content downloaded from 128.111.121.42 on Tue, 23 Feb 2016 05:03:19 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions CE QUI ME PRÉOCCUPE tiers, l'acte de raconter n'a cessé de se ramifier dans des genres littéraires de plus en plus spécifiés. Cette fragmentation pose aux philosophes un problè me majeur, en raison de la dichotomie majeure qui partage le champ narra tif et qui oppose massivement, d'une part, les récits qui ont une prétention à la vérité comparable à celle des discours descriptifs à l'œuvre dans les scien ces - disons l'histoire et les genres littéraires connexes de la biographie et de l'autobiographie - et, d'autre part, les récits de fiction, tels que l'épopée, le drame, la nouvelle, le roman, pour ne rien dire des modes narratifs qui emploient un autre médium que le langage : le film par exemple, éventuel lement la peinture et d'autres arts plastiques. A rencontre de ce morcelle ment sans fin, je fais l'hypothèse qu'il existe une unité fonctionnelle entre les multiples modes et genres narratifs. Mon hypothèse de base est à cet égard la suivante : le caractère commun de l'expérience humaine, qui est marqué, articulé, clarifié par l'acte de raconter sous toutes ses formes, c'est son caractère temporel. Tout ce qu'on raconte arrive dans le temps, prend du temps, se déroule temporellement ; et ce qui se déroule dans le temps peut être raconté. Peut-être même tout processus temporel n'est-il reconnu comme tel que dans la mesure où il est racontable d'une manière ou d'une autre. Cette réciprocité supposée entre narrativité et temporalité est le thè me de Temps et récit. Pour limité que soit le problème, en comparaison de la vaste étendue des emplois réels et potentiels du langage, il est en réalité immense. Il rassemble sous un titre unique des problèmes ordinairement traités sous des rubriques différentes : épistémologie de la connaissance his torique, critique littéraire appliquée aux œuvres de fiction, théories du temps (elles-mêmes dispersées entre la cosmologie, la physique, la biologie, la psychologie, la sociologie). En traitant la qualité temporelle de l'expérien ce comme réfèrent commun de l'histoire et de la fiction, je constitue en problème unique fiction, histoire et temps. C'est ici qu'intervient un troisième souci, qui offre la possibilité de rendre moins intraitable la problématique de la temporalité et de la narrativité : celui de mettre à l'épreuve la capacité de sélection et d'organisation du lan gage lui-même, lorsque celui-ci s'ordonne dans des unités de discours plus longues que la phrase que l'on peut appeler des textes. Si, en effet, la narra tivité doit marquer, articuler et clarifier l'expérience temporelle - pour reprendre les trois verbes employés plus haut -, il faut chercher dans l'em ploi du langage un étalon de mesure qui satisfasse à ce besoin de délimita tion, de mise en ordre et d'explicitation. Que le texte soit l'unité linguistique cherchée et qu'il constitue le médium approprié entre le vécu temporel et l'acte narratif, c'est ce que l'on peut esquisser brièvement de la manière suivante. En tant qu'unité linguistique, un texte est d'une part une expan sion de la première unité de signification actuelle qui est la phrase ou ins tance de discours, au sens de Benveniste. D'autre part, il apporte un princi pe d'organisation transphrastique qui est exploité par l'acte de raconter sous toutes ses formes. On peut appeler poétique - à la suite d'Aristote - la discipline qui traite des lois de composition qui se surajoutent à l'instance de discours pour en faire un texte qui vaut comme récit ou comme poème ou comme essai. La question se pose alors d'identifier la caractéristique majeure de l'acte de faire-récit. C'est encore Aristote que je suis pour désigner la sorte de 228 This content downloaded from 128.111.121.42 on Tue, 23 Feb 2016 05:03:19 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions CE QUI ME PRÉOCCUPE composition verbale qui constitue un texte en récit. Aristote désigne cette composition verbale du terme de muthos, qu'on a traduit par « fable » ou par « intrigue » : « J'appelle ici muthos l'assemblage (sunthesis, ou dans d'autres contextes sustasis) des actions accomplies» (Poétique, 1450 a 5 et 15). Par là, Aristote entend plus qu'une structure, au sens statique du mot, mais une opération (comme l'indique la terminaison sis de poiesis, sunthe sis, sustasis), à savoir la structuration qui exige que l'on parle de « mise en-intrigue» plutôt que d'intrigue. La mise-en-intrigue consiste principale ment dans la sélection et dans l'arrangement des événements et des actions racontées, qui font de la fable une histoire «complète et entière» (1450 b 25), ayant commencement, milieu et fin. Comprenons par là qu'aucune action n'est un commencement que dans une histoire qu'elle inaugure ; qu'aucune action n'est non plus un milieu que si elle provoque dans l'his toire racontée un changement de fortune, un « nœud » à dénouer, une « pé ripétie » surprenante, une suite d'incidents « pitoyables » ou « effrayants » ; aucune action, enfin, prise en elle-même, n'est une fin, sinon en tant que dans l'histoire racontée elle conclut un cours d'action, dénoue un nœud, compense la péripétie par la reconnaissance, scelle le destin du héros par un événement ultime qui clarifie toute l'action et produit, chez l'auditeur, la katharsis de la pitié et de la terreur. C'est cette notion que je prends comme fil conducteur de la recherche, aussi bien dans l'ordre de l'histoire des historiens (ou historiographie) que dans l'ordre de la fiction (de l'épopée et du conte populaire au roman moderne). Je me bornerai ici à insister sur le trait qui confère à mes yeux une telle fécondité à la notion d'intrigue, à savoir son intelligibilité. On peut montrer de la façon suivante le caractère intelligible de l'intrigue : l'intrigue est l'ensemble des combinaisons par lesquelles des événements sont trans formés en histoire ou - corrélativement - une histoire est tirée ^événe ments. L'intrigue est le médiateur entre l'événement et l'histoire. Ce qui signifie que rien n'est événement qui ne contribue à la progression d'une histoire. Un événement n'est pas seulement une occurrence, quelque chose qui arrive, mais une composante narrative. Elargissant encore le champ de l'intrigue, je dirai que l'intrigue est l'unité intelligible qui compose des cir constances, des buts et des moyens, des initiatives, des conséquences non voulues. Il résulte de ce caractère intelligible uploads/Litterature/ce-qui-me-pre-occupe-depuis-trente-ans.pdf

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