Cahiers Caribéens d'Egyptologie no 6 février/mars 2004 A propos de l’Abeille ég
Cahiers Caribéens d'Egyptologie no 6 février/mars 2004 A propos de l’Abeille égyptienne et des Textes des Sarcophages Oscar PFOUMA Ce court article est en fait l’expression d’une pause dans mes recherches sur les Formules des Textes des Sarcophages. Le défunt y commence généralement son éternité qui l’assimile à Atum-Rê ou à Rê 1 au terme de transformations invoquées dans des formules qui paraissent obscures au lecteur. Pourtant, rien ne m’y paraît étranger. Bien des choses m’y rappellent plus d’un tour de penser et de dire de ma culture. Au point que j’ai entrepris il y a deux ans de rédiger un dictionnaire à la fois lexicographique et culturel de ma langue maternelle, le kwasio. Pour mieux comprendre. L’an dernier, les interrogations suscitées par le nom, l’identité et le rôle de l’ «insecte» ibat dans les Textes des Sarcophages en ont appelé d’autres sur l’approche que j’avais du nom et du rôle de l’Abeille il y a dix huit ans2. C’est en relisant ce texte que la nécessité de cette pause m’est apparue. 1 Oscar Pfouma La Formule 309 dans les Textes des Sarcophages - traduction et commentaire in Cahiers Caribéens d’Egyptologie 5, 2003, 159-168 ; Oscar Pfouma Atum-Rê comme intégrateur universel. A propos de la destinée eschatologique dans le Spell 316 des Coffin Texts - traduction et commentaire in CCdE 3-4, 2002, 161-170 ; Oscar Pfouma La formule 714 des Textes des Sarcophages- traduction et commentaire in CCdE 2,2001,107-114 2 O.Pfouma L’Abeille Royale in Carbet n°6, Fort-de-France, 1986, 98-105 109 L’abeille est au cœur du mythe dans beaucoup de cultures africaines. Egyptienne hier, Nilotiques ou Bantu encore aujourd’hui. Par son nom. Et par sa place. Les mots de l’abeille Le nom de l’abeille est caractérisé par les séries suivantes en égyptien : bi.t (Wb I, 434, 1-6), cf bi.t, honey flee < cff mouche (Wb I, 182,14-16). La guêpe est connue et identifiée : bjw guêpe FECT III,110 3). L’apiculture est attestée dès la V° Dynastie : byy.t-y, apiculteur, copte ebeit apiculteur, ebiw, miel. Démotique : iby, miel. La transcription du Wörterbuch est bjtj, apiculteur (Wb I, 434, 13-15), bjt, miel (Wb I, 434, 6-12). «Le mot dérive de by.t, abeille» et n’appartient pas au vocabulaire sémitique 4. Le vocabulaire égyptien consacré à l’abeille et au miel croise un lexique africain varié, un ensemble de données qui mérite que l’étude que j’avais ébauchée il y a une vingtaine d’années soit revue et approfondie : by.t, miel, abeille, évoque le fang : abe, l’upoto : bwi, le buduma : buy, le bagbira : bui, abeille, le tunen : buoy, miel ; cf, cf.w mouche, abeille (Wb I, 182,10), copte : af, ofe 5, le nupe : efu, l’openda : efo abeille etc..6. Enfin, nm, dieu des Abeilles, grec χµµιs, nous semble aujourd’hui encore évoquer les langues nilotiques : suk : kum-at, miel, nandi : kumi-at, et le mandingue : kum- abeille, kisekise : kumi, mande : komi 7. La place de l’abeille dans la culture égyptienne pharaonique Pourtant ce qui m’intéresse, ce n’est pas comme dans mes travaux bien imparfaits d’il y a vingt ans, les mots eux-mêmes - ils peuvent différer d’une langue à l’autre et d’une famille de langues à l’autre. C’est la pensée avec laquelle ils font corps. 3 Dimitri Meeks Année lexicographique, Volume 2, 1978, Cybèle, Paris, 121 4 Werner Vycichl Dictionnaire étymologique de la langue copte, Peeters, Louvain,1983,38 5 Werner Vycichl opus cité, 1983,38 6 Oscar Pfouma Histoire culturelle de l’Afrique Noire PubliSud, Paris, 1993, 164-176 7 O.Pfouma L’Abeille Royale in Carbet n°6, Fort-de-France, 1986, 103 110 Pour l’égyptien antique, l’abeille est sacrée, divine, il l’assimile à des déesses : n.t Neith, l’Abeille8 ; lui consacre des lieux, particulièrement dans le Delta : hw.t bi.t temple de l’abeille, pr- bi.t, littéralement maison de l’abeille, temple de Neith à Saïs, 3n bi.t, fourré de l’abeille ; il lui rend un culte : Jean Leclant a noté que des prêtres du dieu Min «semblent avoir été primitivement en rapport avec la récolte du miel» 9. Les Egyptiens figuraient aussi l’âme humaine sous la forme d’une abeille – conception que l’on retrouve chez les Bantu, les Tshaga, par exemple, pour qui «sous tous les rapports, les abeilles sont des êtres humains». Chez les Nuer, «a man who respects pythons, respects also bees, because Nuer consider their markings to be like those of the python and will not kill them or eat their honey » 10. Le python du mythe rwandais «meurt d’un excès de miel». Chez les Basari, les abeilles sont associées aux angoty, aux âmes des parents défunts, hommes ou femmes 11. Les Egyptiens assimilaient le roi à un élément de la flore, le Jonc, le Roseau, et à un élément de la faune, l’Abeille : bit.t, couronne de Basse-Egypte, bjtj (Wb I 435,1-15) roi de Basse Egypte, titre porté par les divinités, cf. bjtj ntrw rmt et bjt avec le déterminatif de l’ureaus, uraeus du Nord 12. Or les Abeilles ont une Reine, et non un Roi. Mais Dominique Zahan éclaire le sens de la métaphore. Au Rwanda, la Reine d’un essaim fécond, stable et productif est «femelle», et «un mauvais essaim est considéré comme mâle. De même, le mwami (le roi) est « une mère » - dont dépend la fertilité du pays» 13. 8 Dans ma langue maternelle, le kwasio nyu, abeille, en yoruba onyi, en isoama : ano (O.Pfouma, opus cité, 1993, 170) 9 J.Leclant L’Abeille et le Miel dans l’Egypte pharaonique in R. Chauvin Traité de Biologie de l’Abeille, Paris, Masson, 1968, vol.5, 51-60 ; J.P.M. Montet Etudes sur quelques prêtres et fonctionnaires du dieu Min in J.N.E.S 9, 1950, 18-27 10 E.Evans-Pritchard Les Nuer, Payot, Paris,1938 11 M.Gessain Miel et développement de la personne chez les Bassari in S.de Ganay et A&J-P Lebeuf, D.Zahan Hommage à Marcel Griaule, Paris, Hermann,1987,145-156 12 D.Meeks, opus cité, 1978, 2,122 13 D.Zahan L’Abeille et le Miel en Afrique in R.Chauvin, idem, 90-91 111 L’Abeille, enfin, fait partie des avatars lumineux et s’inscrit dans le discours égyptien des transformations : «Le dieu Rê pleura et les larmes de son œil tombèrent sur le sol ; elles se changèrent en abeilles» 14. Dans la Formule 309 des Textes des Sarcophages publiée par Paul Barguet et A.de Buck 15, c’est l’insecte-ibat que le défunt emprunte pour véhicule de son assimilation aux dieux quand il part, selon l’expression consacrée, habiter la lumière. La traduction que j’ai proposée de cette Formule était la suivante : «S’asseoir parmi les deux dieux- indiquer le chemin au milieu des ténèbres. Je me suis assis parmi les (deux) grands dieux. J’ai fait chemin jusqu’à la demeure de la «prophétesse» (smtt) ; c’est elle, sous sa forme d’ibat, qui m’a conduit [sous-entendu : jusqu’à eux]» 16. L’insecte-ibat fait aussi partie de l’animation de la statue dans le rite de l’ouverture de la bouche 17. Chez les Bassar du Togo septentrional,, de langue oti-volta, les funérailles de la représentation, minérale (une pierre), de l’ancêtre s’accompagnent d’un «rite bref mais décisif qui achève la transformation du défunt en ancêtre : bi pukuti utamkpiil-nyôko, «on ouvre la bouche de l’ancêtre»18. Ce n’est donc pas un insecte qui conduit aux dieux, 14 Cf. Manfred Lurker The Gods and the Symbols of Ancient Egypt, Thames & Hudson, Londres,1974 15 P.Barguet Textes des Sarcophages Egyptiens du Moyen Empire,éd du Cerf, 1986,559, Spell 309, pap Gard. II ; Adriana de Buck, 19 The Egyptian Coffin Texts IV Texts of Spells 268-354, Chicago Press University, Oriental Institute 16 O.Pfouma, opus cité, 2003,159-168 17 Jean-Claude Goyon Rituels funéraires de l’Ancienne Egypte, Editions du Cerf, Paris, 1997,115-116. Stephan Dugast Ouvrir la bouche de l’ancêtre. Le processus d’ancestralisation à travers quelques séquences des rites funéraires chez les Bassar du Nord-Togo in Systèmes de pensée en Afrique Noire n°11,1991,131-180. J.Cl.Goyon (opus cité, 1997,91) relève qu’en égyptien «le mot statue » apparaît dans les rituels «là où on attend momie» - l’animation de la statue par l’ouverture de la bouche, d’abord indépendante, est venue à haute époque s’amalgamer aux procédures d’animation du défunt dans les Rituels. 18 Stephan Dugast Ouvrir la bouche de l’ancêtre. Le processus d’ancestralisation à travers quelques séquences des rites funéraires chez les Bassar du Nord- Togo in Systèmes de Pensée en Afrique Noire n°11,1991,131-180 112 mais on anime une représentation de pierre (ce qu’est aussi une statue en Egypte) pour assurer la communication orale du défunt avec les ancêtres qu’il rejoint et avec les vivants. En Egypte, la prophétesse fait partie intégrante des rituels funéraires d’animation, qui conduit aux dieux, sous la forme de l’insecte-ibat. C’est la fourmi, key, et le termite, tu, que le mythe dogon donne pour épouses au dieu Amma19. Le mythe rappelle ensuite que l’invention de la mort eut pour point de départ le don par la fourmi du vêtement de fibres, qu’Amma lui avait confié, au chacal yurugu. «A la suite de tous ces événements, le chacal déclara que les demandes adressées à Amma par les habitants de la terre devaient passer par l’intermédiaire des fourmis» 20. Dans d’autres mythes uploads/Religion/ abeille-pfouma.pdf
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- Publié le Oct 19, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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