L ’Alouette Au début de la pièce - qui reconstruit l’histoire de Jeanne d’Arc à
L ’Alouette Au début de la pièce - qui reconstruit l’histoire de Jeanne d’Arc à partir des moments saillants de son procès - l’on voit Jeanne, « l’Alouette », toute jeune, tenir tête à son père qui la réprimande. LE PÈRE : Qu’est-ce que tu fais là ? Dis ? T u vas me répondre ? Qu’est-ce que tu fais là, que la soupe est servie et que ta mère s’inquiète ? JEANNE, balbutie, honteuse d’être surprise, la main levée pour se protéger son visage comme une petite fille. Je ne savais pas qu’il était si tard. J’ai perdu la notion de l’heure. LE PÈRE, la secoue, hurlant. Ah ! T u ne savais pas qu’il était si tard, petite teigne ! Ah ! tu perds la notion de l’heure maintenant ? Dieu veuille que tu n’aies pas perdu autre chose que tu n’oses pas dire !... Il la secoue abominablement. Qui te l’a fait perdre, dis, qui te l’a fait perdre la notion de l’heure, dévergondée ? Quand je suis arrivé, tu parlais, tu criais au revoir à quelqu’un. À quelqu’un que j’ai raté cette fois ; je ne sais pas où il s’est sauvé, le bougre, mais il ne perd rien pour attendre ce voyou-là ! Avec qui parlais-tu ? Réponds ! ou je te bats comme plâtre… JEANNE : Avec Saint Michel. LE PÈRE, lui envoie une formidable gifle. Tiens ! ça t’apprendra à te moquer de ton père ! Ah ! tu as rendez-vous avec Saint Michel, petite coureuse ! Ah ! tu restes le soir à lui parler sous les arbres pendant que toute ta famille s’inquiète et t’attend, mauvaise fille ? Ah ! tu veux commencer déjà le sabbat, comme les autres, au lieu d’aider ton père et ta mère et de te marier avec le garçon sérieux qu’ils t’auront choisi ? Hé bien ! ton prétendu Saint Michel, je lui mettrai ma fourche dans le ventre, moi, et je te noierai de mes propres mains comme une sale chatte en chaleur que tu es ! JEANNE, répondant calmement à l’orage d’insultes. Je n’ai rien fait de mal, mon père, et c’est vraiment Monseigneur Saint Michel qui me parlait. […] LE PÈRE, la houspillant. Pourquoi te parlerait-il, Saint Michel ? Pauvre idiote ! Est-ce qu’il me parle à moi, qui suis ton père ? S’il avait quelque chose à nous dire, il me semble que c’est à moi, qui suis le chef de famille, qu’il se serait adressé. Est-ce qu’il parle à notre curé ? JEANNE : Père, père, au lieu de cogner et de crier, essayez une fois de me comprendre. Je suis si seule, si petite, et c’est si lourd. Voilà trois ans que je résiste, trois ans qu’ils me disent toujours pareil. Je n’en peux plus de lutter toute seule avec ces voix que j’entends. Il va falloir que je le fasse maintenant. LE PÈRE, explose. T u entends des voix maintenant ? C’est un comble ! Ma fille entend des voix ! J’aurai travaillé pendant quarante ans, je me serai tué à élever chrétiennement mes enfants pour avoir une fille qui entend des voix ! JEANNE : Il va falloir maintenant que je leur dise oui, elles disent que cela ne peut plus attende. LE PÈRE : Qu’est-ce qui ne peut plus attendre, imbécile ? Qu’est-ce qu’elles te disent de faire tes Voix ? Ses Voix ! Enfin ! Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd ! JEANNE : Elles me disent d’aller sauver le royaume de France qui est en grand danger de périr. Tiré de Jean Anouilh, L ’Alouette, Éditions de la T able Ronde, 1953 Note : Jeanne d’Arc (1412-1431) connue comme « la Pucelle d’Orléans », héroïne de l’histoire de France et personnage légendaire, chef de l’armée au cours de la Guerre de Cent Ans, canonisée en 1920 par l’église catholique, a été condamnée à mourir sur le bûcher à l’âge de dix-neuf ans après un procès pour hérésie. a) Compréhension Exposez brièvement la scène en précisant la situation, le rôle des didascalies ainsi que le rôle des personnages présents sur scène et hors de la scène. “L'alouette” (1953) Drame D’un côté se déroule le procès de Jeanne d’Arc et, de l’autre, sa vie. La première déposition cède la place à l’enfance de Jeanne au milieu de son troupeau de moutons. Ensuite, les intervalles entre le passé évoqué et le présent du procès diminuent progressivement jusqu’au moment où l’héroïne, sur la lancée qui la pousse à jouer sa vie, joue en réel son martyre et son exécution. Alors passé et présent se superposent, donnant aux instants de la pièce une intensité dramatique et métaphysique remarquable. Le dédoublement demeure, mais dans le présent. Jeanne, seule dans sa prison, s’adresse à saint Michel, à sainte Catherine et sainte Marguerite qui ne répondent pas et elle conclut en s’effondrant : « Cela devait être un peu trop grand pour moi, cette histoire… » Alors Warwick, qui symbolise l’autre pôle, celui du politique et du reéel, arrive pour l’ultime tentation. Jeanne, faible, s'apprête à céder, mais la vague de fond d'un suprême mouvement de révolte la conduit au bûcher. Ici, son intensité s'illumine sous les feux de deux rayons, l'un venant de son passé humain, l'autre de son avenir légendaire, où les siècles de l'histoire nationale le disputent à l'éternité du calendrier religieux. La pièce culmine dans cette rapide mutation conduisant à l'éternité de sainte et de symbole national : «- Jeanne, qui rit presque, douloureusement : ‘’Jeanne acceptant tout, Jeanne avec un ventre, Jeanne devenue gourmande ... Vous voyez Jeanne fardée, en hennin, empêtrée dans ses robes, s'occupant de son petit chien ou avec un homme à ses trousses, qui sait, Jeanne mariée?’’ - Warwick : ‘’Pourquoi pas? Il faut toujours faire une fin. Je vais moi-même me marier.’’ - Jeanne crie soudain d'une autre voix : ‘’Mais je ne veux pas faire une fin ! Et en tout cas, pas celle-là.’’» Commentaire Anouilh est parti du symbole de l’alouette que les Gaulois avaient choisi comme oiseau national « pauvrement vêtu mai si riche de cœur et de chant » (Michelet). En mettant en scène Jeanne d'Arc, il inaugura ses «pièces costumées», explorant les multiples possibilités de l'adaptation historique. C’est sans doute la pièce dans laquelle il montra le mieux son aptitude exceptionnelle à construire librement une action dramatique : dans le cadre du procès de Jeanne d’Arc, théâtre dans le théâtre, nulle entrave ne le retint, ni dans l’utilisation du temps, ni dans l’exploitation de l’espace ; il brisa, agença, disloqua à son gré ; les scènes s’enchaînèrent parce qu’elles s’appelaient l’une l’autre et non point parce qu’elles se suivaient. L’ensemble apparaît comme une création continuellement en acte ; et, pourtant, le jeu est conduit avec une sûreté inflexible. La pièce se termine bien car, a-t-il dit « la vraie fin de l’histoire de Jeanne […] c’est Jeanne à Reims dans toute sa gloire. » Il a conçu une imagerie autour de Jeanne d'Arc, ne prétendant pas expliquer le mécanisme de son aventure. Jamais auteur n'a plus coopéré avec le spectateur pour composer, dans l'esprit de ce dernier, un album de belles images, satisfaisant le petit garçon qui ne meurt jamais comme l'homme épris d'idéal sans supprimer cependant l'essentiel de la vie lucide, la révolte qui donne à l'être humain sa seule réalité. Pour lui, il s'agissait de bien autre chose, et d'abord d'un jeu de théâtre où il se donna à la joie de dessiner la silhouette de Jeanne avec tendresse, de peindre la saveur populaire. Il écrivait dans la présentation de sa pièce : « Il n'y a pas d'explications à Jeanne. Pas plus qu'il n'y a d'explications à la petite fleur vivante qui savait de tout temps combien elle avait de pétales et jusqu'où ils pousseraient. Il y a le phénomène Jeanne, comme il y a le phénomène pâquerette, le phénomène ciel, le phénomène oiseau [...] On reconnaît aux enfants le droit de faire un bouquet de pâquerettes, de jouer à faire semblant d'imiter le chant des oiseaux, même s'ils n'ont aucune sorte de connaissance en botanique et en ornithologie. C'est à peu près tout ce que j'ai fait. » Le retournement dramatique final ressemble à celui d'’’Antigone’’ où Créon, qui veut sauver sa nièce, a soudain honte du bonheur médiocre et réel de tous les jours, appelant ainsi l'indignation illogique et grandiose de l'héroïne. Anouilh fait beaucoup plus que de se répéter. Il souligne la grandeur de Jeanne par un éclair de génie technique ; l'artifice se met au service de l'art de la façon suivante : il combine la scène-à-faire au tableau final dans une esthétique qui tient à la fois du théâtre et du vitrail : «Le cortège se met en marche vers l'autel. Tout le monde s'agenouille dans l'assistance. Seule Jeanne est toute droite, appuyée sur son étendard, souriant au ciel, comme sur les images. L'Archevêque pose la couronne sur la tête de Charles... Orgues triomphantes, cloches, coup de canon, uploads/Religion/ alouette-anouilh.pdf
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- Publié le Mai 27, 2022
- Catégorie Religion
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