Mme Nicole Bériou La prédication aux derniers siècles du Moyen Age In: Communic
Mme Nicole Bériou La prédication aux derniers siècles du Moyen Age In: Communications, 72, 2002. pp. 113-127. Citer ce document / Cite this document : Bériou Nicole. La prédication aux derniers siècles du Moyen Age. In: Communications, 72, 2002. pp. 113-127. doi : 10.3406/comm.2002.2100 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2002_num_72_1_2100 Nicole Bériou Un mode singulier d'éducation. La prédication aux derniers siècles du Moyen Age Si l'école est aujourd'hui investie d'un rôle prépondérant, voire écra sant, en matière d'éducation, il n'en a pas toujours été ainsi. De ce point de vue, la longue durée du millénaire médiéval (ve-XVe siècle) présente une situation radicalement différente. Elle se caractérise par la pluralité des lieux possibles d'éducation, parmi lesquels les petites écoles, même si elles devinrent plus nombreuses aux XIVe et XVe siècles, constituaient encore l'exception. Les premiers rôles en matière d'éducation revenaient, alors aux deux milieux structurants de la famille et de l'Eglise1. Les parents, disait-on communément, avaient la charge de « nourrir » leurs enfants, ce qui signifiait, de manière cumulée et sans distinction, leur assurer le pain quotidien et les éduquer, en leur inculquant un ensemble de valeurs, de croyances et de comportements nécessaires à leur intégration sociale 2. Par ailleurs, les rituels, les objets, les images, qui avaient proliféré, dès les premiers siècles de l'histoire du christianisme, dans les églises et au- dehors, saturaient de références chrétiennes le temps et l'espace à tous familiers, constituant un environnement culturel propice à l'imprégnat ion capillaire du message religieux. A cela s'est ajoutée, à partir du XIIe siècle, une. préoccupation avivée d'accéder, de manière plus immédiate, par la fréquentation des textes de l'Écriture, aux données de ce message religieux, et de les communiquer par la parole. Le simple laïc Valdès, à Lyon, s'est fait traduire plusieurs textes de l'Ancien et du Nouveau Testament au début des années 1170, puis il s'est mis à prêcher, rencontrant d'abord l'accueil compréhensif de l'arch evêque de sa ville3, avant d'être marginalisé par le successeur de celui-ci et, finalement, rejeté dans l'hérésie. A Laon, à Paris, à Lincoln (Angleterre), plusieurs maîtres influents des écoles cathédrales se sont efforcés, dans leur enseignement, d'actualiser l'interprétation des textes bibliques qu'ils commentaient, en tant que fondement des croyances et des pratiques rel igieuses chrétiennes ; parmi eux, Pierre le Chantre (f 1197), attentif par 113 Nicole Bériou ailleurs aux attentes des laïcs, dont l'aventure de Valdès était un indice patent, encouragea, selon un modèle promu par lui-même à Paris, la fo rmation des apprentis théologiens à une lecture engagée de l'Écriture, débouchant sur une prédication qui devait traiter, par prédilection, des problèmes concrets de la société du temps. En Angleterre, en France, en Italie, des évêques commencèrent à appeler le clergé de leur diocèse à prê cher, voire à leur fournir des manuels pour les y aider, comme le firent l'évêque de Paris Maurice de Sully (f 1196) et, un peu plus tard, un autre dignitaire ecclésiastique, le prévôt du chapitre de la cathédrale de Plai sance, Foulques de Sainte-Euphémie. En 1215, le pape Innocent III relayait ces initiatives locales, donnant une ampleur nouvelle à la mission de prédication, désormais clairement assignée au clergé, par une disposi tion législative inscrite dans les actes du quatrième concile du Latran et, de là, dans lé droit canonique qui commençait à régir l'Église latine tout entière. Au même moment, Dominique de Caleruega en Languedoc et François d'Assise en Ombrie avaient inauguré une manière nouvelle de dire et de vivre la foi, et ils ne cessaient d'engager tous ceux qu'ils côtoyaient — les inquiets, les indifférents, les révoltés, les dissidents... — à entendre, et à mieux comprendre, le message des Evangiles. Leur démar che allait faire naître autour d'eux un courant puissant de prises de parole, caractéristiques de l'activité ordinaire de leurs disciples les frères mend iants, qui devaient bientôt se compter par milliers dans toute l'Europe et au-delà. Ce sont ces frères qui s'efforcèrent d'investir peu à peu tous les temps et tous les lieux de la vie sociale, en prêchant non seulement le dimanche et les jours de fête, mais de manière continue pendant le carême et l'avent, ou à l'occasion de cérémonies comme les mariages et lés funér ailles, voire dans les foires et sur les marchés. Avec eux, la prédication devint véritablement un « métier », impliquant un apprentissage dans les couvents équipés de centres d'études et de livres, et elle s'imposa comme une pratique coutumière dans la société, à défaut d'être toujours bien accueillie par ses auditeurs potentiels 4. On ne saurait négliger les réactions d'ennui, de réprobation, de rejet violent même, que la prédication a pu susciter, et dont la trace a persisté dans maintes formules imagées de notre langage d'aujourd'hui, ironisant sur les « sermonneurs » et les « prêchi-prêcha ». La prédication, cepen dant, mérite d'être examinée sous un autre jour, celui-là même de l'idéal éducatif que révèle le texte normatif, produit à l'initiative du pape Inno cent III en vue d'instaurer la pratique régulière et autorisée de ces prises de parole dans l'Église d'Occident, dans les premières années du XIIIe siècle : Entre autres choses relatives au salut du peuple chrétien, on sait que la parole de Dieu est un aliment des plus nécessaires : comme le corps a 114 La prédication aux derniers siècles du Moyen Age besoin d'une nourriture matérielle, l'âme a besoin d'une nourriture spirituelle, car l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Luc 4,4). [...] Nous statuons donc que les évêques désignent, pour remplir sainement le ministère de la sainte prédication, des hommes capables, puissants en œuvres et en paroles (Luc 24,19), qui devront visiter à leur place les populations à eux confiées lorsqu'ils ne pourront pas le faire eux-mêmes, et les édifier par la parole et par l'exemple 5. D'emblée, la définition de la norme emprunte ici la forme du discours métaphorique, dans le registre familier de la nourriture spirituelle : ins pirée par la lecture de l'Ecriture, la première phrase du canon conciliaire rejoint très exactement le langage commun par lequel était alors désigné le devoir d'éducation incombant primordialement aux parents. Le pape signifiait en même temps le caractère vital de la prédication, par une image d'autant plus efficace que la pénurie de grains - et, partant, la disette de pain — demeurerait, et longtemps encore, une vraie menace dont chacun connaissait les effets dévastateurs. L'autre champ sémantique où puise le canon conciliaire traduit davan tage les progrès religieux attendus de cette offensive éducatrice. Méta phore chrétienne par excellence, l'« édification » était très présente dans les épîtres de saint Paul, qui y a établi l'équivalence entre « édifier », « annoncer la Parole », et « instruire » (1 Co 14). Puis le terme fut utilisé dans le vocabulaire monastique.au sens d'un progrès spirituel vers la perfection. Il retrouva un relief nouveau au début du XIIIe siècle, en cor rélation avec le constat de la fragilité dont souffrait tout l'édifice de l'Eglise6. En écho à la norme fixée en 1215, il entra ensuite dans le vocabulaire commun des frères mendiants et, en particulier, dans les traités que le dominicain Humbert de Romans a écrits pour initier les prédicateurs de son ordre à leur tâche 7. Quant à la formule « par la parole et par l'exemple », caractéristique de toute une tradition vivace chez les ermites notamment, elle s'est aussi imposée durablement, au point de susciter parfois des débats surprenants, comme celui sur le fait de savoir si un homme obèse pouvait efficacement prêcher sur le jeûne. Si l'on cherche à mieux circonscrire, dans ses contenus et dans ses démarches, le rôle éducatif assigné aux prédicateurs et exercé par eux, les sources disponibles ne sont pas d'emblée explicites sur la question. Des manuels techniques (artes praedicandi) . ont été produits en grand nombre, mais ils se contentent d'aborder les formes rhétoriques du dis cours. Ils ne peuvent en aucune manière se comparer aux traités contemp orains sur l'éducation des enfants, non plus aux réflexions exposées par 115 Nicole Bériou Robert Grosseteste (f 1253) dans son commentaire du quatrième com mandement («Tu honoreras ton père et ta mère »), où il détaille longue ment les devoirs des parents en matière d'éducation, justifiant de la sorte la reconnaissance déférente que leur doivent leurs enfants 8. C'est pour l'essentiel la pratique même de la prédication que l'on doit interroger, à l'aide des recueils de sermons modèles, des notes prises à l'audition, des images de prédication, et des instruments de travail en tout genre alors élaborés pour aider les prédicateurs à préparer leurs sermons : recueils de distinctiones, d* exempta, et parfois conseils plus, systématiquement ordonnés en sommes ou manuels d'instruction. L'enquête dans tout cet ensemble documentaire confirme d'abord les emprunts spontanés au vocabulaire de l'éducation quand il s'agit de définir la prédication. Ainsi, Thomas de Chobham, un clerc anglais, élève de Pierre le Chantre à Paris, déclare dans sa Somme que la prédication est l'« annonce de la Parole divine, en vue dé former (informare) la foi uploads/Religion/ be-riou-la-pre-dication-aux-derniers-sie-cles-du-moyen-age 1 .pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 02, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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