Matthieu Balu année 2006-2007 Master 1 de Sciences politiques Assas – Paris II

Matthieu Balu année 2006-2007 Master 1 de Sciences politiques Assas – Paris II Directrice de recherches : madame Muhlmann L’affaire des caricatures de Mahomet : Nouvelle norme de l’espace public Ou Choc des civilisations ? Introduction Le mercredi 17 mai 2006, la cour d’appel de Paris confirmait le jugement rendu par la 17ème chambre du Trbunal déboutant l’Alliance Générale contre le Racisme et pour le Respect de l’Identité Française (AGRIF) de sa plainte portée contre le dessin de Wilhem paru dans Libération, le 25 avril 2005, représentant un Christ en croix affublé d’un préservatif. Le 12 janvier de l’année précédente, la même association obtenait cette fois la condamnation en appel contre l’association AIDES, pour avoir présenté sur un tract de sensibilisation au problème du sida « l' image dénaturée d'une religieuse, représentée les épaules nues, les lèvres maquillées et dont le regard n'évoquait ni la sainteté, ni la piété [ayant] pour effet de créer un amalgame provocateur »1. Ces deux jugements reposent, dans la mesure où les faits incriminés sont sensiblement les mêmes, sur une interprétation de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la Presse. L’invocation du délit d’injure en raison d’une religion, correspondant à l’article 13-1, est une chose courante ; des associations catholiques, mais aussi antiracistes, ou certaines autorités religieuses, l’utilisent pour défendre les intérêts de ceux qu’ils estiment représenter. Dieudonné, par exemple, a plusieurs fois été assigné devant les tribunaux à l’instigation du Consistoire central, sans d’ailleurs avoir été condamné jusqu’ici, même si une procédure reste aujourd’hui entamée devant la cour de cassation. Le 7 février 2007 démarrait le procès du journal satirique Charlie Hebdo pour violation de ce même article ; la raison de cette accusation a été la reproduction dans ses colonnes de deux dessins danois ayant précédemment fait le tour du monde, assortis d’une couverture, création de l’hebdomadaire cette fois, représentant Mahomet d’une manière jugée injurieuse pour les musulmans par les parties civiles. Celles-ci furent nombreuses à venir à la barre, mais les plus notables étaient au nombre de trois : l’Union des Organisation Islamiques de France, la 1 L’affaire « sainte capote », citation du jugement de culpabilité, dossier n°04/00563, arrêt du 12 janvier 2005, 3ème chambre. 2 Mosquée de Paris (toutes deux membres du conseil Français du Culte Musulman), et Ligue Islamique Mondiale. A l’occasion de ce procès, pas un homme politique, pas une organisation religieuse ou antiraciste n’avait dû prendre position dans ce qui était qualifié depuis l’hiver 2006 d’ « affaire des caricatures », suscitant parfois des scissions au sein de ces mouvements2. La raison de cette tension étaient les événements nombreux et sanglants s’étant déroulés depuis novembre 2005 à travers le monde, pour dénoncer des caricatures jugées blasphématoires ou racistes. Alors que la critique religieuse semble faire partie des mœurs de la société occidentale moderne, une dizaine de dessins seraient donc venus mettre l’opinion du mond entier devant un problème que, précisément, cherchait à dénoncer le premier responsable de la publication de ces dessins : on ne pourrait pas caricaturer Mahomet. A l’inverse, là ou les des associations des deux autres monothéismes gagnent ou perdent des procès face à la caricature de leur Dieu, en aucun cas ces actions ne se sont traduites par l’opposition de deux mondes semblant inconciliables, se passant généralement dans l’anonymat de la banalité. L’observation du résultat de la publication des caricatures danoises à travers le monde semble prouver ce fait de manière indubitable : deux cultures s’opposent, ou plutôt deux façons d’aborder Dieu. Pour les partisans des journaux ayant publié les caricatures, la liberté de blasphème est un droit acquis qui ne doit souffrir d’aucune exception, sous peine d’un retour à l’obscurantisme religieux ; pour les autres, la foi en Dieu ne souffrirait que l’on puisse le tourner en ridicule. Voilà ce qui expliquerait une telle violence, une opposition si vaste et si complète de deux approches. Réduire la situation à l’opposition de deux cultures qui ne communiquent pas assez est pourtant un constat bien faible, tant il n’explique les choses qu’en s’appuyant sur l’idée d’une situation de départ – des dessins ridiculisant l’intégrisme à travers le prophéte – et d’arrivée – trois associations musulmanes assignant un hebdomadaire satirique devant la 17ème chambre pour « injure ». Cette approche ne peut conduire à aucune issue : présenter le monde musulman attaché à ses croyances face à des occidentaux critiques ramène à une oppositon d’autant plus insurmontable qu’elle est mensongère. Afin de dépasser l’interrogation qui consiste, comme cela aura été fait de nombreuses fois durant cette crise, à porter l’affaire sur un plan culturel, nous chercherons avant tout à comprendre, à travers l’exemple français en particulier, mais aussi en s’appuyant sur le 2 A la suite de la prise de position du MRAP contre les caricatures et leur reproduction dans les colonnes de Charlie Hebdo, une parte du bureau et des membres de l’association ont démissionné. 3 déroulement des événements à l’étranger, pourquoi la parution de caricatures n’a pas entraîné une simple mise en accusation par une association de défense des intérêts religieux, comme cela est le cas pour toutes tant d’autres affaires de caricature d’une religion. Il convient de se demander, après un examen clair des faits, quelles sont les forces en présence qui ont contribué à faire passer l’idée que la question religieuse ne se traite pas chez les musulmans comme elle l’est dans le cas des autres religions. Cela nous permettra alors de comprendre en quoi l’opposition culturelle frontale qui a semblé prévaloir lors du procès du journal satirique n’est pas la manifestation normale de deux conceptions inconciliables de la place de Dieu et de la moquerie, mais bien au contraire le fruit d’une logique d’essentialisation d’une communauté poussée à son paroxysme. 4 Sommaire Introduction……………………………………………………..p.2 I/ la transformation d’un article satirique en une manifestation mondialep.7 A . L’histoire de la parution de douze dessins danois ……………………..p.7 1°) A l’origine de la parution des caricatures : la crainte de l’autocensure .p.7 2°)La publication de l’article et les première réactions ………………....…...p.8 B. De l’affaire danoise au malaise mondial ………………………………...p.10 1°)Une mobilisation de l’indignation ? ………………………..………….…p.10 2°) La guerre de l’opinion …………………………………………..………....p.14 C. Réactions politiques et procès religieux : le refuge du légalisme ? ..p.17 1°) La réaction politique face à la montée des violences ………………....p.17 2°) La loi, garant efficace de la paix civile ? ……………………………..….p.20 II/ Le malaise des caricatures : indignation spontanée ou stratégie essentialiste ?……………………………………………………………………………p.24 A. Le droit comme un outil politique, ou le danger d’une évolution contre nature de la loi de 1881…………………………………………………………………p.24 1°) Outil d’intégration ou de particularisme ?…………… .………………..p.24 - Une spécificité Française ………………………………………………………...…p.24 - Le procès de Charlie Hebdo : accusation de blasphème ou d’amalgame ? ……...…p.26 2°) Du phénomène médiatique à la crise internationale, le paternalisme des responsables politiques…………………………………………………………………..p.29 5 - Le danger du rattachement du phénomène aux gouvernements …………………...p.30 - L’appel à la responsabilité comme une nouvelle forme de censure ………………p.30 - L’Angleterre : un pays à part ? …………………………………………………….p.32 B. Un débat faussé dès l’origine : les enjeux de la mobilisation communautaire………………………………………………………………………p.37 1°) Dépassement du cadre national et « neo-oumma »……………...…….p.37 - La globalisation d’un conflit ………………………………………………………..p.38 - Une stratégie identitaire ………………………………………………………….....p.40 - L’application en Europe de la stratégie essentialiste ……………………………….p.43 2°)La mise à l’écart du journalisme et du débat …………………...………p.45 Un signe nouveau du retour du religieux ?………………p.49 Bibliographie ……………………………………………………………….p.51 Annexes……………...…………………………………………….p.53 6 I/ la transformation d’un article satirique en une manifestation mondiale A . L’histoire de la parution de douze dessins danois 1°) A l’origine de la parution des caricatures : la crainte de l’autocensure Le premier acte de la « controverse des caricatures » peut être daté de la parution d’un article dans le journal Danois Politiken (centre gauche), intitulé Dyb angst for kritik af islam (Peur profonde de la critique de l’Islam), le 17 septembre 2005 . Le journal revenait sur les difficultés à instaurer un dialogue critique avec l’Islam ; cette interrogation correspondait à une inquiétude particulièrement présente dans les pays nordiques aujourd’hui, portant sur la viabilité de l’approche multiculturelle, et du danger de l’attitude consistant à sanctuariser les croyances et les pratiques culturelles . Cet article ne constituait donc pas en soi quelque chose de très novateur, ou encore moins provocateur, surtout si l’on tient compte du contexte politique Danois, exceptionnellement tendu autour des questions touchant à l’intégration des communautés : ainsi, le gouvernement du premier ministre libéral Anders Fogh Rasmusen est minoritaire au parlement, et doit gouverner avec le soutien d’une extrême droite au plus haut (13% aux législatives de février 2005) . Il s’agit donc bien d’une période de raidissement, et d’interrogations sur les valeurs de tolérance qui sont traditionnellement celle du Danemark : aujourd’hui ce pays est doté d’une législation sur l’intégration parmi les plus restrictives d’Europe3 . Mais si cet article s’illustre par le fait de poser le débat qui secouera le monde quelques mois plus tard, il met aussi en lumière une histoire récente d’autocensure : c’est elle qui inspirera l’article par lequel le scandale va véritablement arriver . uploads/Religion/ l-x27-affaire-des-caricatures-de-mahomet-nouvelle-norme-de-l-x27-espace-public-ou-choc-des-civilisations.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Apv 01, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.5427MB