1 Jean-Baptiste POQUELIN (1622-1673) dit MOLIÈRE LE DEPIT AMOUREUX Comédie ÉRAS

1 Jean-Baptiste POQUELIN (1622-1673) dit MOLIÈRE LE DEPIT AMOUREUX Comédie ÉRASTE, amant de Lucile. ALBERT, père de Lucile. GROS-RENÉ, valet d'Éraste. VALÈRE, fils de Polidore. LUCILE, fille d'Albert. MARINETTE, suivante de Lucile. POLIDORE, père de Valère. FROSINE, confidente d'Ascagne. ASCAGNE, fille sous l'habit d'homme. MASCARILLE, valet de Valère. MÉTAPHRASTE, pédant. LA RAPIERE, bretteur. Generated by Foxit PDF Creator © Foxit Softwa http://www.foxitsoftware.com For evaluation on 2 ACTE I, Scène I ÉRASTE, GROS-RENÉ. ÉRASTE Veux-tu que je te die? Une atteinte secrète Ne laisse point mon âme en une bonne assiette : Oui, quoi qu'à mon amour tu puisses repartir, Il craint d'être la dupe, à ne te point mentir ; Qu'en faveur d'un rival ta foi ne se corrompe, Ou du moins qu'avec moi toi-même on ne te trompe. GROS-RENÉ Pour moi, me soupçonner de quelque mauvais tour, Je dirai, n'en déplaise à Monsieur votre amour, Que c'est injustement blesser ma prud'homie Et se connaître mal en physionomie. Les gens de mon minois ne sont point accusés D'être, grâces à Dieu, ni fourbes, ni rusés. Cet honneur qu'on nous fait, je ne le démens guères, Et suis homme fort rond de toutes les manières. Pour que l'on me trompât, cela se pourrait bien : Le doute est mieux fondé ; pourtant je n'en crois rien. Je ne vois point encore, ou je suis une bête, Sur quoi vous avez pu prendre martel en tête. Lucile, à mon avis, vous montre assez d'amour : Elle vous voit, vous parle à toute heure du jour ; Et Valère, après tout, qui cause votre crainte, Semble n'être à présent souffert que par contrainte. ÉRASTE Souvent d'un faux espoir un amant est nourri : Le mieux reçu toujours n'est pas le plus chéri ; Et tout ce que d'ardeur font paraître les femmes Parfois n'est qu'un beau voile à couvrir d'autres flammes. Valère enfin, pour être un amant rebuté, Generated by Foxit PDF Creator © Foxit Softwa http://www.foxitsoftware.com For evaluation on 3 Montre depuis un temps trop de tranquillité ; Et ce qu'à ces faveurs, dont tu crois l'apparence, Il témoigne de joie ou bien d'indifférence M'empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas, Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas, Tient mon bonheur en doute, et me rend difficile Une entière croyance aux propos de Lucile. Je voudrais, pour trouver un tel destin bien doux, Y voir entrer un peu de son transport jaloux ; Et sur ses déplaisirs et son impatience Mon âme prendrait lors une pleine assurance. Toi-même penses-tu qu'on puisse, comme il fait, Voir chérir un rival d'un esprit satisfait ? Et si tu n'en crois rien, dis-moi, je t'en conjure, Si j'ai lieu de rêver dessus cette aventure. GROS-RENÉ Peut-être que son cœur a changé de désirs, Connaissant qu'il poussait d'inutiles soupirs. ÉRASTE Lorsque par les rebuts une âme est détachée, Elle veut fuir l'objet dont elle fut touchée, Et ne rompt point sa chaîne avec si peu d'éclat, Qu'elle puisse rester en un paisible état. De ce qu'on a chéri la fatale présence Ne nous laisse jamais dedans l'indifférence ; Et si de cette vue on n'accroît son dédain, Notre amour est bien près de nous rentrer au sein ; Enfin, crois-moi, si bien qu'on éteigne une flamme, Un peu de jalousie occupe encore une âme, Et l'on ne saurait voir, sans en être piqué, Posséder par un autre un cœur qu'on a manqué. GROS-RENÉ Pour moi, je ne sais point tant de philosophie : Ce que voyent mes yeux, franchement je m'y fie, Et ne suis point de moi si mortel ennemi, Que je m'aille affliger sans sujet ni demi. Pourquoi subtiliser et faire le capable Generated by Foxit PDF Creator © Foxit Softwa http://www.foxitsoftware.com For evaluation on 4 À chercher des raisons pour être misérable Sur des soupçons en l'air je m'irais alarmer ! Laissons venir la fête avant que la chômer. Le chagrin me paraît une incommode chose ; Je n'en prends point pour moi sans bonne et juste cause, Et mêmes à mes yeux cent sujets d'en avoir S'offrent le plus souvent, que je ne veux pas voir. Avec vous en amour je cours même fortune ; Celle que vous aurez me doit être commune : La maîtresse ne peut abuser votre foi, À moins que la suivante en fasse autant pour moi ; Mais j'en fuis la pensée avec un soin extrême. Je veux croire les gens quand on me dit " Je t'aime, " Et ne vais point chercher, pour m'estimer heureux, Si Mascarille ou non s'arrache les cheveux. Que tantôt Marinette endure qu'à son aise Gros-René par plaisir la caresse et la baise, Et que ce beau rival en rie ainsi qu'un fou, À son exemple aussi j'en rirai tout mon soûl, Et l'on verra qui rit avec meilleure grâce. ÉRASTE Voilà de tes discours. GROS-RENÉ Mais je la vois qui passe. Generated by Foxit PDF Creator © Foxit Softwa http://www.foxitsoftware.com For evaluation on 5 ACTE I Scène II ÉRASTE, MARINETTE, GROS-RENÉ. GROS-RENÉ St, Marinette ! MARINETTE Oh ! oh ! que fais-tu là ? GROS-RENÉ Ma foi, Demande, nous étions tout à l'heure sur toi. MARINETTE Vous êtes aussi là, Monsieur ! Depuis une heure Vous m'avez fait trotter comme un Basque, ou je meure ! ÉRASTE Comment ? MARINETTE Pour vous chercher j'ai fait dix mille pas, Et vous promets, ma foi. ÉRASTE Quoi ? MARINETTE Que vous n'êtes pas Au temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place. Generated by Foxit PDF Creator © Foxit Softwa http://www.foxitsoftware.com For evaluation on 6 GROS-RENÉ Il fallait en jurer. ÉRASTE Apprends-moi donc, de grâce, Qui te fait me chercher ? MARINETTE Quelqu'un, en vérité, Qui pour vous n'a pas trop mauvaise volonté, Ma maîtresse, en un mot. ÉRASTE Ah ! chère Marinette, Ton discours de son cœur est-il bien l'interprète ? Ne me déguise point un mystère fatal ; Je ne t'en voudrai pas pour cela plus de mal : Au nom des dieux, dis-moi si ta belle maîtresse N'abuse point mes vœux d'une fausse tendresse. MARINETTE Hé ! hé ! d'où vous vient donc ce plaisant mouvement ? Elle ne fait pas voir assez son sentiment ! Quel garant est-ce encor que votre amour demande ? Que lui faut-il ? GROS-RENÉ À moins que Valère se pende, Bagatelle ! son cœur ne s'assurera point. MARINETTE Comment ? Generated by Foxit PDF Creator © Foxit Softwa http://www.foxitsoftware.com For evaluation on 7 GROS-RENÉ Il est jaloux jusques en un tel point. MARINETTE De Valère ? Ah ! vraiment la pensée est bien belle ! Elle peut seulement naître en votre cervelle. Je vous croyais du sens, et jusqu'à ce moment J'avais de votre esprit quelque bon sentiment ; Mais, à ce que je vois, je m'étais fort trompée. Ta tête de ce mal est-elle aussi frappée ? GROS-RENÉ Moi, jaloux ? Dieu m'en garde, et d'être assez badin Pour m'aller emmaigrir avec un tel chagrin ! Outre que de ton cœur ta foi me cautionne, L'opinion que j'ai de moi-même est trop bonne Pour croire auprès de moi que quelqu'autre te plût. Où diantre pourrais-tu trouver qui me valût ? MARINETTE En effet, tu dis bien, voilà comme il faut être : Jamais de ces soupçons qu'un jaloux fait paraître ! Tout le fruit qu'on en cueille est de se mettre mal, Et d'avancer par là les desseins d'un rival : Au mérite souvent de qui l'éclat vous blesse Vos chagrins font ouvrir les yeux d'une maîtresse ; Et j'en sais tel qui doit son destin le plus doux Aux soins trop inquiets de son rival jaloux ; Enfin, quoi qu'il en soit, témoigner de l'ombrage, C'est jouer en amour un mauvais personnage, Et se rendre, après tout, misérable à crédit : Cela, seigneur Éraste, en passant vous soit dit. ÉRASTE Eh bien ! n'en parlons plus. Que venais-tu m'apprendre ? Generated by Foxit PDF Creator © Foxit Softwa http://www.foxitsoftware.com For evaluation on 8 MARINETTE Vous mériteriez bien que l'on vous fît attendre, Qu'afin de vous punir je vous tinsse caché Le grand secret pourquoi je vous ai tant cherché. Tenez, voyez ce mot, et sortez hors de doute : Lisez-le donc tout haut, personne ici n'écoute. ÉRASTE lit. " Vous m'avez dit que votre amour Était capable de tout faire : Il se couronnera lui-même dans ce jour, S'il peut avoir l'aveu d'un père. Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur ; Je vous en donne la licence ; Et si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. " Ah ! quel bonheur ! Ô toi, qui me l'as apporté, Je te dois regarder comme une déité. GROS-RENÉ Je vous le disais bien : contre votre croyance, Je ne me trompe guère aux choses que je pense. ÉRASTE relit. " Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur ; Je vous en donne la licence ; Et si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance. " MARINETTE Si uploads/Religion/ le-depit-amoureux 1 .pdf

  • 24
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Mar 17, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.2155MB