Jean Mathieu et P.-H. Maury BOUSBIR La prostitution dans le Maroc colonial Ethn
Jean Mathieu et P.-H. Maury BOUSBIR La prostitution dans le Maroc colonial Ethnographie d'un quartier réservé ,Édité et présenté par Abdelmajid Arrif Titre original: La prostitution marocaine surveillée de Casablanca. Le quartier réservé. Photographies: Direction de la santé publique et de la famille - Service médico-social. Ouvrage publié en collaboration avec l'Institut de Recherches et d'Études sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM) Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme 5. rue du Château de l'Horloge B.P. 647 13094 Aix-en-Provence Cédex 2 © Éditions Paris-Méditerranée 2003 87, rue de Turenne - 75003 Paris ISBN: 2-84272-183-7 « La basse prostitution est un pénible métier où la femme opprimée sexuellement, écono- miquement soumise à l'arbitraire de la poli- ce, à une humiliante surveillance médicale, aux caprices des clients, promise aux microbes, à la maladie, à la misère est vrai- ment ravalée au niveau d'une chose. » Simone de Beauvoir Le Deuxième Sexe, Paris, NRF, 1949. Présentation L a prostitution marocaine surveillée de Casablanca. Le quartier réservé (1951) \ n'est pas un documept de plus de la période du protectorat français au Maroc exaltant l'exotisme et le pittoresque orientaux et un de leurs avatars: la prostitution. Littérature, photographies, cartes postales, brochures distribuées aux militaires débarquant au Maroc, guides touristiques divers indiquant sur les plans de certaines villes marocaines la localisation des quartiers réser- vés, etc., présentaient de façon explicite et parfois très appuyée une topo- graphie et des scènes de l'exotisme parmi lesquelles la prostitution et ses lieux constituaient un morceau de choix. Le Guide de Casablanca, par exemple, invite « les touristes, amateurs d'études de mœurs, [. .. ] ·(à) gagner la ville close de "Bousbir", quartier neuf réservé aux femmes publiques. Recluses entre des murs infranchis- sables et bien qu'évoluant dans un cadre qui ne manque pas de poésie, ces dernières se trouvent là, obligatoirement assujetties à la surveillance . constante et vigilante de la police et des services sanitaires (entrée gratuite, autorisée à tous les visiteurs, non recommandée aux enfants et aux jeunes filles) 2 ». Or, le document nous réserve une première surprise: en épigraphe, les auteurs - J. Mathieu et P-H. Maury - ont choisi un passage du Deuxième Sexe : « La basse prostitution est un pénible métier où la femme opprimée sexuellement, éçonomiquement soumise à l'arbitraire de la police, à une humiliante surveillance médicale, aux caprices des clients, promise aux microbes, à la maladie, à la misère est vraiment ravalée au niveau d'une choseJ • » Le désenchantement est au programme. Que ceux qui espèrent découvrir, par procuration, les « joies» de l'exotisme - voilant la misère, la réalité telle qu'elle se présente parfois dans ses habits les plus sordides: ceux de l'humlliation, de l'oppression et de l'arbitraire - soient avertis. C'est dans ce sens que la citation de Simone de Beauvoir ouvre le livre par un appel à la lucidité et un rappel des réalités; il affirme clairement une dis- 11 tance avec le discours exotique sur la prostitution; rappel d'autant plus fort qu'il s'agit d'une enquête menée dans un contexte colonial marqué par la mise en contact violente et forcée de deux sociétés différentes. Soulignons qu'il s'agit également d'un lieu surinvesti d'images exotiques et de fan- tasmes. La volonté, exprimée par les. auteurs, est de rompre _ avec . cette manière d'approcher le quartier réservé: « On a fait, écrivent -ils, autour de ce quartier réservé une publicité savante, par la littérature, par le dessin ou la photographie qui tend à représenter ce milieu, aussi méprisable que dan- gereux pour la santé publique, comme plein de poésie, d'originalité, d'orientalisme et qui vaut' d'être connu de plus près. » (p. 113). Les auteurs s'interdisent également de porter un regard moralisateur sur leur objet d'étude ou de nous faire part de leur jugement de valeur. li leur arrive même de s'excuser auprès du lecteur pour l'usage qu'ils font de certains termes à connotation sexuelle qu'ils considèrent comme « gros- siers » et triviaux. Ceci fait partie de la posture objectivante et méthodolo- gique qui définit leur rapport à leur terrain de recherche. Leur pàrti pris est de décrire la prostitution et son lieu, le quartier réservé de Casablanca, de la manière la plus proche du vécu des prostituées: « C'est, écrivent-ils, cette vie réelle que nous voudrions décrire. » (p. 41). Les'auteurs de cette enquête sont médecins de formation et ont établi ce rapport pour le Service de la santé publique impliqué dans la gestion de Bousbir. L'établissement de leur biographie n'est pas facile: jusqu'à pré- sent je n'ai pu recueillir aucune donnée de cette nature. Si je n'ai eu aucu- ne indication biographique ni bibliographique sur P-H. Maury hormis sa profession de médecin, j'ai pu, en revanche, disposer de plus d'informa- tions sur J. Mathieu. On trouve cités de façon fréquente, dans les biblio- graphies de cette période, ses écrits. Un extrait de la Bibliographie cri- tique ... , établie par A. Adam, permet de le présenter: « L'œuvre la plus importante à cet égard [concernant le domaine médico-social, l'hygiène ... ] est celle du Dr Mathieu. Ses études sur l'alimentation et les niveaux de vie, poursuivies durant toute sa carrière marocaine, à travers vingt années et des populations aussi variées que celles de Figuig et du Gheria, les Israélites de Rabat et de Casablanca, sont réparties entre lë Bulletin de l'Institut d'hygiène et le Bulletin économique et social. li a enfin publié, dans la collection de l'Institut des hautes études marocaines, en collabora- tion avec Roger Maneville, un ouvrage sur Les Accoucheuses musulmanes traditionnelles de Casablanca, les qâbla-s, qui met en œuvre une riche mois- son, non seulement de faits relatifs à la médecine traditionnelle, mais de rites, de croyances et de coutumes de la vie familialé 4• » 12 Les écrits de J. Mathieu sur le Maroc remontent à notre connaissance à 1927. lis ont porté, dans le cadre de monographies sociologique ou eth- nographique, sur des faits relevant de la médecine, des pratiques alimen- taires et sanitaires, des niveaux de vie et des budgets familiaux du proléta- riat marocain dans les médinas, les mellahs et les bidonvilles. Sa bibliogra- phie telle que j'ai pu la recenser se compose des écrits suivants: • J. MATHIEU: « Notes sur la géographie et le parasitisme intestinal à Figuig », Archives de la médecine des enfants, 1927. • « Notes sur les pratiques médicales de Figuig », Maroc médical, Casablanca, 1928. . • « Études des conditions de vie dans une palmeraie du Moyen Gheris et contrôle de la nutrition de ses habitants », Bulletin de l'ins- titut d'hygiène du Maroc, Rabat, vol. I-Il, 1939. • «Notes sur l'enfance juive du mellah de Casablanca », Bulletin de l'institut d'hygiène du Maroc, vol. VII, 1947. • En collaboration avec R. MANEVILLE: Revenus et niveaux de vie indigènes au Maroc, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1934. • « Niveaux de vie et alimentation des prolétaires musulmans de . Casablanca », Archives du CHEAM, 1949 (dactyl.). • « Le tabac dans l'économie marocaine. Incidence sur le budget du prolétaire musulman de Casablanca », Bulletin économique et social - du Maroc, vol. XIV, n° 49 et n° 50, 1951. • Les accoucheuses musulmanes tràditionnelles de Casablanca, · Publication de l'IHEM, vol. LIlI, 1952. . • En collaboration avec J. LUMMAU et H. HERSE: « Contrôle de l'état de nutrition des indigènes musulmans d'un douar marocain suburbain, "bidonville" de Port-Lyautey», Bulletin de l'institut d'hygiène du Maroc, Rabat, vol. IV, 1937. • En collaboration avec BARON et LUMMAu: « Étude de l'alimenta- tion au mellàh'de Rabat et · contrôle de l'état de nutrition de ses habi-- tants », Bulletin de l'institut d'hygiène du Maroc, vol. III-IV, 1938. 13 Ces deux médecins - J. Mathieu et P-H. Maury - ne répondent ni à la figure du « visiteur du pauvre », celle du .x::rx< siècle en France et en Angleterre, ni aux orientations missionnaires et philanthropiques qui lui sont associées. De même,nous l'avons vu affirmé de façon claire, ils refu- sent de verser dans le discours des« peintres, "poètes maudits" ,journa- listes, navigateurs, militaires stationnés à Casablanca» qui « ont créé une légende érotique sur Bousbir (le quartier réservé). Elle chante les charmes de la femme voilée et reprend à son compte toutes les fabulations des contes des Mille et Une Nuits et tous les poncifs de l'Orient. La vérité est tout autre. » (p. 2). Cette prise de distance ne relève pas seulement de l'ordre du discours, elle est présente également à travers la définition que donnent les auteurs de la prostitution. Celle-ci n'est pas définie en termes éthiques ou psycho- logiques; elle ne résulte pas d'une déviance; elle n'est pas non plus un fait culturel qui serait consubstantiel à un groupe ethnique particulier. Les auteurs traitent de la prostitution en tant que fait économique, guidée par le jeu de l'offre et de la demande attaché à tout commerce, et ils l'inscrivent dans le champ des relations sociales et des dynamiques des changements qui caractérisaient, à l'époque, la société marocaine: détribalisation, exode rural, uploads/Sante/ bousbir-la-prostitution-dans-le-maroc.pdf
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- Publié le Dec 06, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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