© Éditions Albin Michel, 2020 ISBN : 978-2-226-44943-6 Ce document numérique a
© Éditions Albin Michel, 2020 ISBN : 978-2-226-44943-6 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. À nos enfants et petits-enfants À Bertrand, Bruno, Cyrille, Philippe, Franck, William, mes collègues cyber AVERTISSEMENT Les affaires relatées dans ces chroniques sont toutes véridiques, même si certaines peuvent sembler invraisemblables… Certains lieux et l’identité des personnes citées ont cependant été modifiés. Chacun comprendra que j’aie fait le choix, par respect envers les victimes et par refus du voyeurisme, de ne pas relater ici les cas les plus sordides ou les plus tragiques que nous ayons rencontrés. Deux chroniques dérogent à cette règle ; elles sont précédées d’une mise en garde. Les affaires aussi glauques sont rares, mais elles font malheureusement partie, elles aussi, de nos missions. Tout un pan de notre travail, traitant de dossiers ultra-sensibles (terrorisme, politique), sera également passé sous silence. En revanche, il nous arrive aussi d’intervenir dans des cas où il n’y a pas d’infraction à la loi mais qui relèvent de l’assistance – parfois un peu malicieuse… – aux personnes. Pour rester d’un abord aisé et agréable à un public aussi large que possible, je ne rentrerai pas dans le détail technique des opérations forensic 1 (la formation de base d’un investigateur en cybercriminalité est de trois mois à plein temps, sans compter les fréquentes remises à niveau). Et puis, je ne voudrais pas non plus révéler tous nos petits secrets ! Je n’ai pu éviter les nombreux anglicismes et néologismes inhérents au monde numérique et j’assume de ne pas avoir remplacé par leurs équivalents officiels les termes réellement utilisés. POURQUOI CES CHRONIQUES ? À la tête, depuis sa création en 2009, du groupe de lutte contre la cybercriminalité de Nice, j’ai régulièrement assuré des formations en parallèle de mon travail d’enquêteur. Formations données en interne, mais aussi auprès d’établissements bancaires, de services d’enquêtes financières, d’associations (de parents d’élèves ou de protection de l’enfance), d’établissements scolaires et du service cyber de la police de Singapour. À force de décortiquer pour ces publics variés nos enquêtes, les méthodes mises en œuvre et les résultats obtenus, j’ai réalisé que j’avais acquis une expérience qu’il me fallait partager avec le plus grand nombre, et ce pour plusieurs raisons. D’abord pour sensibiliser aux dangers de l’informatique et du Net et amener chacun à jeter un regard lucide sur son environnement numérique, afin d’acquérir les réflexes nécessaires pour se protéger physiquement, psychologiquement et financièrement. En effet, les principaux domaines traités en cybercriminalité sont les crimes et délits sexuels, les escroqueries, le terrorisme, les affaires de piratage et d’espionnage (privé, commercial, politique), les atteintes à l’image et le cyberharcèlement (par désir de vengeance – personnelle ou professionnelle – ou par pure malveillance). Une autre raison, plus anecdotique : introduire un peu de réel dans une vision fantaisiste de l’expertise informatique et en dessiner les limites. Pour le grand public, le modèle policier est celui des polars et des séries télé qui, au fil du temps, ont donné une place plus importante aux investigations scientifiques et informatiques. Ces œuvres de fiction (de type Les Experts), techniquement irréalistes, donnent une image erronée de notre travail, ce qui suscite des attentes démesurées de la part des victimes, de nos collègues et parfois des magistrats. Mais elles ont le mérite de beaucoup nous amuser ! Enfin, nos enquêtes nous font croiser le chemin de véritables personnages, d’une touchante naïveté ou d’une immoralité obstinée, à la verve truculente ou au discours émouvant, légèrement décalés ou complètement barrés. J’ai voulu partager avec vous ces rencontres et ces échanges. S’ils ne sont pas toujours indispensables à l’avancée des enquêtes, ils mettent du sel dans notre vie de cyberflics ! Distraire, informer et prévenir… tels sont les objectifs de ces chroniques. Cette icône à la fin d’un récit signale un conseil de base – de simple bon sens ou plus technique – concernant les précautions à prendre en amont ou les actions à mener après coup dans un cas similaire. 1 Vengeance ! Au téléphone, une voix féminine. – Bonjour, je suis bien à la police de l’Internet ? – Oui, on va dire ça… – Voilà, je veux dénoncer quelqu’un qui télécharge. – Vooooui… Dites-m’en plus. – Il télécharge des films. Plein ! Et des jeux aussi. – Quand vous dites plein, c’est combien exactement ? – Ça fait vingt ans qu’il fait ça, il a plein, plein de films piratés. Et plein de jeux aussi. Je veux savoir ce qu’il risque ! – Il risque 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende, parce que c’est multiplié par le nombre de films. – Ah, bien. Très bien. – Vous êtes en train de divorcer, n’est-ce pas ? – … – C’est bien ça ? – Oui… – Je dois vous préciser que vous êtes complice de tous ces faits et que vous risquez une peine identique. – Mais c’est pas moi qui téléchargeais, c’est lui ! – Vous viviez ensemble, vous le saviez, vous en avez profité pendant vingt ans, la qualification de complicité est inévitable. – Ah… Bon, ben je vais réfléchir, je vous rappelle ! J’attends toujours… 2 Pour certains, l’enfer c’est déjà ici… Lorsqu’on plonge dans le cyberespace, on se rend vite compte que, seuls face à leur écran et sous couvert de l’anonymat relatif du Net, bien des gens se laissent aller à des penchants qu’ils jugeraient eux-mêmes inconcevables dans le monde réel. Mais, dans le même temps, la Toile leur offre un réservoir sans fin d’images et de films pédopornographiques et cette débauche de perversions – dont ils ne sont au départ que spectateurs – ne suffit pas à certains d’entre eux, qui finissent par passer à l’acte. Les personnes attirées par la pédophilie sur le Net font l’objet d’une surveillance particulière de nos services, parce qu’il s’agit de prédateurs en puissance. En effet, j’ai remarqué au cours de ma carrière de cyberenquêteur que le passage à l’acte est souvent corrélé avec une consommation frénétique de fichiers pédophiles. C’est donc devenu un des critères d’alerte motivant notre intervention. Justement, un internaute situé dans la région attire notre attention : il télécharge des vidéos pédopornographiques quasiment chaque soir. Non que son comportement soit particulièrement atypique, mais c’est la quantité qui nous intrigue. Certains jours il lance des centaines de téléchargements simultanés. Mon collègue Philippe se connecte sur les nœuds de téléchargements et, en examinant son historique sur l’année, il constate que ses pulsions sont de plus en plus fréquentes et rapprochées. Pas question de traîner. L’adresse IP 1 est localisée, son titulaire identifié. Romuald, la trentaine, est un jeune sans histoires. Inconnu de nos fichiers. Il vit seul, a un travail, possède un scooter. Il habite à quelques centaines de mètres de chez moi. J’en profite pour me promener discrètement près de chez lui et sniffer 2 les réseaux wifi. Une sorte d’« enquête de voisinage » numérique. Les vérifications sur place ne permettent pas de trouver sa borne wifi 3. Il a donc une connexion filaire avec son ordinateur. C’est important pour nous, cela limite les risques d’erreur : ce n’est pas un voisin qui a piraté son wifi, au pire c’est sa machine qui sert de rebond 4 à un pédophile. Pourquoi pas ? Il n’y a qu’un moyen de savoir : il faut interpeller le garçon, de bon matin avant qu’il parte travailler, et perquisitionner ses matériels informatiques. Philippe, dont c’est la spécialité, gratte aussi sur le Web : profils, comptes, abonnements, tout ce qui permet d’avoir une idée plus précise de notre suspect. Il retrouve une photo de Romuald prise alors qu’il était sous contrat avec l’armée ; le cliché est récent. On lui donnerait le bon Dieu sans confession… En arrivant avec mon équipe devant la maison où il loue son deux-pièces, un détail sur son scooter garé dans l’allée attire notre attention. Sur le garde-boue, un petit logo est collé. Un club de tir. Un club de tir, un ancien militaire… Les pédophiles que nous interpellons sont, dans leur très grande majorité, complètement pétrifiés lors de l’irruption des policiers chez eux. Ils comprennent que leur vie secrète va être exposée au grand jour. Souvent écrasés par la honte et la révélation des faits auprès de leur entourage, ils sont habituellement abasourdis, donc calmes. Mais ce jour-là, une petite voix intérieure m’incite à la prudence. J’en fais part aux collègues. Philippe me regarde bizarrement : cela ne correspond guère à mes habitudes. Du coup, au lieu de taper à la porte ou de la défoncer à coups de bélier, on ruse. Le scooter, encore cadenassé, est soulevé et transporté dans la rue à une cinquantaine de mètres. Il ne reste qu’à passer un coup de fil à notre suspect, qui semble se réveiller difficilement, vu le temps mis à décrocher. Au téléphone, un policier lui explique qu’on vient de retrouver son scooter volé un peu plus loin dans la rue et qu’il faudrait qu’il vienne vite le récupérer, avant qu’il soit enlevé par la fourrière. Un peu tiré par uploads/s1/ cyber-crimes-penalba-abigaelle-penalba-pier.pdf
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- Publié le Mai 31, 2022
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- Langue French
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