Gérard Fussman Documents épigraphiques kouchans (IV). Ajitasena, père de Senava
Gérard Fussman Documents épigraphiques kouchans (IV). Ajitasena, père de Senavarma In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 75, 1986. pp. 1-14. Citer ce document / Cite this document : Fussman Gérard. Documents épigraphiques kouchans (IV). Ajitasena, père de Senavarma. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 75, 1986. pp. 1-14. doi : 10.3406/befeo.1986.1694 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/befeo_0336-1519_1986_num_75_1_1694 DOCUMENTS EPIGRAPHIQUES KOUCHANS (IV) AJITASENA, PERE DE SENAVARMA PAR Gérard FUSSMAN L'inscription que je publie aujourd'hui n'est pas kouchane: elle ne nomme aucun souverain kouchan et date peut-être d'une époque où les Kouchans ne contrôlaient pas encore le Nord-Ouest de l'Inde. Mais par sa nature, sa date, son contenu, sa langue, son auteur (Ajitasena, père de Senavarma), elle fait partie du même ensemble que la plaque d'or de Senavarma dont la ligne 8 g rend hommage au devaputra Sadaskana, fils de Kujula Kataphša, et que j'ai pour cette raison publiée sous le titre de Documents Epigraphiques Kouchans (III). Pour mieux marquer l'appartenance de ces deux textes à cet ensemble, je me suis donc permis d'inclure l'inscription d'Ajitasena dans la série des Documents Epigraphiques Kouchans. I L'inscription (PI. I— III) Les photographies ici publiées m'ont été communiquées par Monsieur Tatsuzo Kaku, antiquaire à Tokyo, qu'il m'est agréable de remercier. Je traduis ici une partie de la lettre du 4 Février 1986 qui accompagnait son envoi: «J'ai acquis il y a quelque temps un reliquaire de schiste gris trouvé lors d'une fouille à Mata, dans la région du Swàt, au Pakistan. Ce reliquaire contenait un grand nombre de perles, de pierres précieuses et de fleurs en or et argent; un tissu de coton de 13 x 10 cm. avec des broderies représentant les trois joyaux; un plaque d'or de 11 x 4 cm. portant une inscription kharosthï de sept lignes.» Le tout se trouverait aujourd'hui dans la collection Hirayama, à Kamakura, au Japon. Je reviendrai plus loin sur le contenu du reliquaire et sur sa provenance. * Cet article fait suite à «Documents Epigraphiques Kouchans (I)», BEFEO, LXI, 1974, pp. 1-66; II, BEFEO, LXVII, 1980, pp. 45-58 et III, BEFEO, LXXI, 1982, 1^*6. Monsieur O. von HINÚBER a signalé que dans ce dernier document (inscription de Senavarma), la curieuse expression de la 1. 3 d sarva-bhavena sarva-cedyasa samunaharita, que je n'avais pas entièrement comprise (pp. 18-19), correspond au pâli sabba-bhâvena sabba-cetaso sammannà-haritvà, «honorant de tout mon esprit et de tout mon cœur» (Bulletin d'Etudes Indiennes, 3, 1985, p. 64). Voir PTS Dictionary s. v. cetasa. 2 Gérard Fussman Translittération 1 Rajasa Vijida-senasa KuXdhipatisa p<u>tre Ajida-sena Odi-rajasa Navha-patisa saba 2 Budha puyaita/ Adidanagata-pracupana save pracega-sabudha puyaita/ Adidanagata- pracupana 3 save Bhagavato savage puya < i > ta/ Mada-pida puyaita/ Save puyaharaha puyaita/ Ime tasa- 4 -gadasa Bhagavado 'rahado sama-sabudhasa Šaka-munisa šaka-virajasa vija-carana-sa- 5 -panasa dhadue pratithaveti apratithavita-prubamipadhavi-pradešami Tirae maha-thuba- 6 -mi dhaksinami bhagami/ Ayam-edani saba-dukhovachedae nivanae saba(va)du/ 7 Vasaye cauthaye 4 Asadasa masa <sa> divasaye dašame 10// Traduction [1] Ajitasena, roi d'Odi, souverain de(s) Navha, fils du roi Vijitasena, suzerain de(s) KuX, [2] honore tous les Buddhas. Il honore tous les praty-eka- Buddha, passés, futurs et présents. Passés, futurs, et présents, [3] il honore tous les disciples du Seigneur. Il honore son père et sa mère. Il honore tous ceux qui méritent d'être honorés. Ces [4] reliques sont celles du Tathàgata, Bhagavant, Arhant, parfaitement éveillé (samyak-sambuddha-), du Sage des Sâkya (Sâkyamuni), exempt de passion parmi les Sàkya, plein de science et de sagesse; [5] il les établit dans un endroit de la terre où il n'y avait pas de fondation auparavant, à Tira, dans le grand stupa, [6] dans la partie Sud de celui-ci. Que ceci maintenant serve < à obtenir > la coupure de toute souffrance, < c'est-à-dire > le nirvana. [7] En l'an quatrième 4, au jour dixième lOdumoisd'Àsàdha. Etude paléographique Le texte est très soigneusement gravé. Sa translittération est en tous points assurée. La distinction entre ya, triangulaire, et sa, à tête plate, est très nette: voir 1. 7 divasaye dašame. Comme souvent, ta et da peuvent paraître se confondre. On reconnaît ici le da à ce qu'il est beaucoup plus incliné par rapport à la verticale: 1. 1 p<u>tre Ajidasena, 1. 3 mada-pida puyaita. Comme J. BROUGH (Gdhpd., p. 58 § 4), je transcris ga le signe que KONOW transcrivait g(r)a. Les fautes sont peu nombreuses: omissions de voyelles ou syllabes, rétablies dans le texte entre crochets triangulaires <>; omission du signe de diacritique 1. 4 dans -gadasa bhagavato au lieu de -gadasa bhagavado ici attendus; de même 1. 6 bhagami. L. 6 toujours, sabatadu est écrit pour saba(va)du ou saba(vatu) = sambhavatu. Il est impossible de décider si 1. 3 puyaharaha (skt. pujârha-, pûjâ-arha-) résulte d'une dittographie ou si le premier ha a été inséré pour marquer la jointure du composé. ' L'absence systématique de Yanusvàra correspond à des réalités graphiques et phonétiques que j'expliquerai plus loin. La notation irrégulière des consonnes aspirées ne peut non plus être attribuée à des fautes de gravure. 1 Pour des faits analogues, voir BROUGH, Gdhpd. , p. 92 §39. Documents Epigraphiques Kouchans (IV) 3 Le seul signe que je n'aie pas réussi à transcrire, bien qu'il soit très clairement lisible, est 4- 1.1 dans kuXdhipatisa. Le signe kharosthî le plus proche est 7" •> ordinairement translittéré sta, et dont la valeur phonétique n'est pas assurée.2 Mais les formes sont assez différentes et comme ce signe apparaît dans un toponyme ou ethnonyme par ailleurs inconnu, j'ai préféré ne rien transcrire. La datation du texte étant assurée par son contenu, une analyse proprement paléographique serait ici de peu d'intérêt. Je me contenterai donc de noter que le sa présente la forme attendue: J> ; il est gravé en deux parties et la tête est semi-ouverte. Commentaire linguistique Les voyelles initiales et intérieures sont préservées sans changement. La seule modification se lit 1. 6 ayam-edani, skt ayam idânïm, mais il s'agit d'une formule toute faite calquée sur le sanskrit comme le montrent la conservation du -m (on attendrait en pkt ayam idànïm, écrit ici aya idani) et le parallèle de l'inscription de Senavarma: Ile ayam-edane? Il est difficile de dire si dans l'inscription d'Ajitasena le timbre e résulte d'un échange i/e ailleurs bien attesté4, ou s'il est dû à l'analogie du démonstratif etad. \S anusvàra n'est jamais noté. Il s'agit d'un parti-pris graphique dont le Gdhpd. offre l'exact parallèle.5 La nasalisation d'une syllabe est facilement indiquée en kharosthî par un crochet à gauche au bas de Vaksara. Lorsque les inscriptions comportent des anusvàra, ce qui est le cas le plus fréquent6, la notation est en général étymologiquement juste. Mais il existe aussi des exemples de nasalisation adventice, par example sur le reliquaire de Kopšakasa, con temporain de l'inscription ici commentée: bosivemto, paribhavemtu, arntra.1 La non-notation de Y anusvàra est parfois rapprochée de la non-notation des différences de longueur entre voyelles homophones.8 Ce parallèle est illusoire. La kharosthî, héritière de l'araméen d'empire qui, notant des langues sémitiques à l'origine, se souciait peu d'indiquer le timbre et la longueur des voyelles, n'a jamais marqué la longueur des voyelles. Sauf cas isolés et très douteux, elle n'a jamais cherché à le faire: elle ne dispose d'aucun moyen reconnu pour assurer cette notation. Par contre la notation de У anusvàra s'effectue très simplement et la plupart des scribes marquent la présence éventuelle d'un anusvàra. Si certains font l'économie de cette notation, c'est qu'ils la jugeaient inutile, probablement parce qu'en syllabe intérieure les voyelles longues étaient toutes plus ou moins nasalisées, et parce qu'en finale les voyelles étaient tellement affaiblies qu'une éventuelle nasalisation étymologique s'y faisait à peine sentir9. Pour le dire autrement, si dans certains textes la nasalisation n'est jamais expressément signalée, si dans d'autres elle est notée de façon irrégulière ou inexacte, c'est parce que dans la plupart des contextes la distinction entre voyelle nasalisée et voyelle non-nasalisée n'était plus phonologiquement pertinente. 2 BROUGH, G<%><i, pp. 75-77. 3 BEFEO, LXXI, 1982, p. 30. KONOW, CH, p. civ. 4 BEFEO, LXXI, 1982, p. 40. 5 BROUGH, Gi#ip</.,p.71,§14a. 6 KONOW, Cil, p. civ. 7 BEFEO, LXXIII, 1984, p. 39. 8 BROUGH, Gdhpd., p. 79 §20. 9 Sur l'affaiblissement des voyelles finales, voir BEFEO, LXXI, 1982, pp. 40-41. 4 Gérard Fussman La notation des occlusives intervocaliques est très conservatrice; elle correspond à l'étymologie plus qu'à la prononciation réelle. L'état effectif d'usure, c'est-à-dire la disparition presque totale de toutes les occlusives intervocaliques, sourdes ou sonores, est indiqué par l'usuel 1. 7 cauthaye < caturtha-.10 D'autres inscriptions contemporaines prouvent qu'il ne s'agit pas là d'un fait exceptionnel." La conservation assez fréquente de -t- et de -d- dans l'inscription d'Ajitasena est un fait de graphie, non de langue. On la constate en effet dans des formules protocolaires empruntées au moins partiellement au sanskrit (1. 1 "adhipati-, °pati-); dans des morceaux de phrase reproduits sans changement (1. 5 pratithaveti apratithavita . . . pradešami); dans des épithètes bouddhiques figées (1. 3 bhagavato, mais 1. 4 bhagava- dorahado); dans des affixes gardant leur fonction grammaticale (puyaità). Cette dernière explication vaut pour le traitement différent de -t- à l'intérieur et en finale uploads/s1/ fussman-g-documents-epigraphiques-kouchans-iv-1986-befeo 1 .pdf
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- Publié le Aoû 21, 2022
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- Langue French
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