Les dictionnaires idiomatiques : Quelle utilité pour l’enseignement du berbère
Les dictionnaires idiomatiques : Quelle utilité pour l’enseignement du berbère ? Mustapha El Adak Faculté de Nador (Maroc) / Lacnad, Inalco(Paris) La présente communication se place dans l’optique de la lexicographie pédagogique, une approche envisageant le lexique dans son fonctionnement syntagmatique, et plus largement discursif. C’est donc à partir des collocations et aussi des expressions idiomatiques (dorénavant EI) qu’elle construit son objet d’analyse. L’objectif visé étant de confectionner des outils susceptibles d’améliorer l’enseignement/apprentissage des langues. De ce point de vue, il est évident que les spécificités linguistiques et extralinguistiques caractérisant ce genre d’expressions lexicales requièrent un traitement autre que celui des dictionnaires généraux. En effet, le contenu informationnel des idiomes n’est réellement accessible qu à travers une description fonctionnelle, systématique et socioculturelle. Partant du constat que les études linguistiques berbères, et plus particulièrement la lexicographie, n’accordent pas une place importante à l’idiomaticité, notre but est d’attirer l’attention sur la portée de ce phénomène langagier en matière didactique et sur la nécessité de lui consacrer des dictionnaires spécialisés capables de présenter les informations suffisantes et nécessaires afin de comprendre et de savoir utiliser les unités qu’elles décrivent. De nos jours, étant donné l’intégration du berbère dans l’enseignement, nous estimons que de tels dictionnaires sont profitables autant aux apprenants/utilisateurs non berbérophones qu’aux natifs. Nous serons ainsi amené à répondre à trois questions principales : 2 D’abord, en quoi consiste l’utilité des EI dans l’enseignement / apprentissage des langues ? Ensuite, pourquoi les dictionnaires généraux ne parviennent-ils pas à leur offrir une description adéquate du point de vue didactique ? Enfin, comment les dictionnaires spécialisés en la matière pourraient-ils combler les lacunes caractérisant les dictionnaires généraux en créant les conditions favorables à la maîtrise parfaite du berbère ? I. L’intérêt communicatif des EI. En didactique des langues, l’intérêt accordé aux EI. tient principalement au développement de la communication dans l’enseignement/apprentissage du vocabulaire. On part du constat que les locuteurs ne s’expriment pas uniquement à partir des mots isolés, mais aussi à partir des groupements de mots formant des expressions consacrées par l’usage. Dans cette perspective, il va de soi que l’échange verbal se fait moyennant un stock de formes langagières socialement élaborées afin de réaliser des tâches communicatives récurrentes. Pour les locuteurs, il s’agit d’utiliser des expressions toutes faites servant d’appui à la communication dans les différentes situations où ils se trouvent. En cela, elles leur épargnent les difficultés langagières relatives à l’encodage et structurent subséquemment les propos de leurs conversations. Par ailleurs, n’oublions pas que l’aide à la communication dont il est question ici est indissociable de l’effet stylistique. A l’instar de la parole proverbiale, les EI sont connues pour leur rôle de rendre le discours plus attrayant et de renforcer la qualité du contenu du message, et ce grâce à leur expressivité et à leur coloration émotive. Il est d’autre part intéressant de souligner qu’il est des expressions dont l’énonciation est liée de façon automatique à certaines situations. En fait, c’est dans cette optique que l’acquisition des idiomes est indispensable pour la maîtrise de la langue. Pour saluer, remercier, féliciter, présenter des condoléances, etc., les locuteurs ne sont pas libres de choisir n’importe quelle expression. De tels actes du langage, impliquent un figement situationnel ; autrement dit, seules des formules codées et partagées par les membres d’une même communauté linguistique sont requises. 3 Pour conclure, nous retiendrons que pour l’apprenant, il ne s’agit pas simplement d’apprendre des unités préconstruites censées lui faciliter la communication. Derrière cet apprentissage, il y a bien entendu tout un processus de socialisation langagière fondé sur le rapport étroit entre langue-discours-cognition. Il s’agit donc là d’un processus au cours duquel l’apprenant intériorise des normes expressives liées à des situations de communication précises, développe son goût pour l’imprévisible, s’initie à la perception des jeux de mots et des symboles, se rend compte de la manière dont le sens se construit et prend forme au moyen des unités de la langue, etc. II. Les EI dans les dictionnaires généraux Malgré l’importance cruciale qu’elles revêtent pour l’enseignement/apprentissage de la langue, les EI. Ne bénéficient pas encore d’un traitement adéquat dans les dictionnaires généraux. Une des raisons de cela a pour origine les contraintes matérielles qu’ils s’imposent et l’absence d’outils d’analyse permettant d’extraire, à partir de corpus, les combinaisons de mots les plus fréquentes. Par conséquent, la manière dont elles sont traitées ne permet pas aux lecteurs-consultants de procéder à un décodage ou à un encodage efficient. Ainsi, les difficultés que l’on rencontre à ce niveau sont multiples. Il y a lieu de souligner les remarques suivantes : - Absence de typologie explicative dans les préfaces des dictionnaires ; - Les marques servant à localiser les expressions ne figurent pas de façon systématique dans les nomenclatures ; - La traduction littérale qui est indispensable à la compréhension de la construction du sens des expressions n’est pas souvent mentionnée ; - Absence de contextualisation des expressions ; - A quelques rares exceptions près, les informations socioculturelles et historiques - qui font partie intrinsèque des expressions - ne sont pas soulignées ; - La non spécification des actants sémantiques participant à l’action (sexe, statut social, lien de parenté, etc.) ; 4 - La non spécification des sujets grammaticaux des verbes (humain, non humain). Notons enfin une remarque qui mérite d’être explicitée davantage : le désordre lié au classement des expressions au sein de la microstructure. A titre d’exemple, l’entrée ul « cœur » dans les dictionnaires de Taifi (1991) et de Serhoual (2002) constitue le noyau idiomatique de plusieurs expressions traduisant ses différentes valeurs sémantiques (symboliques). Or, ces expressions ne sont pas réparties sur des champs sémantiques bien précis afin de faciliter leur repérage et de saisir la nature des relations qui les unissent. Chez Taifi, on constate qu’elles sont répertoriées, sans aucune répartition, après la définition qu’il donne en tête de l’article à l’entrée coeur : ═ siège des sentiments. ═ conscience, for intérieur. Il en est de même pour Serhoual qui liste une vingtaine d’expressions en vrac ; le seul champ sémantique qu’il évoque (courage, enthousiasme, volonté, ténacité) figure à la fin de son article, mais sans mentionner aucune expression qui lui est attachée. En effet, si l’on procède à la catégorisation sémantique de l’article en question dans les deux dictionnaires, l’ensemble des expressions1 sera réparti sur les subdivisions suivantes : ● Emotions - iqess ayi ur « il m’a coupé le cœur » Il m’a fait pitié. - la yṭṭamẓ g^-gwul ns « il se fait du mauvais sang » : Il se fait des soucis. ● Affectivité - iwḍa as zeg wur « il lui est tombé du cœur » : Il n’a pas d’affection pour lui, il ne l’aime pas suite à un différend, un conflit, etc. - iḍer as wul « son cœur est descendu » : Il s’est épris d’amour, il s’est entiché de. 1 Nous n’avons retenu ici que quelques exemples (relevés dans les deux dictionnaires) pour illustrer l’ensemble des champs sémantiques liés à l’entrée ur/ul « cœur ». 5 ● Humeur - išša ur nnes « il a mangé son cœur » : Il est sans vigueur. - immut as wul « son cœur est mort » : Il est apathique, il n’a pas de cœur, il n’a pas d’amour propre. ● Bonté, bienveillance - ur nnes ḏ ašemrar « son cœur est blanc » : Il est candide. - izeddiy as wul « son cœur est propre, pur » : Il est droit, honnête, de bonne foi. ● For intérieur - s wur nnes « de son cœur » : Sincèrement. - inna as t wul ns « son cœur le lui a dit » : Il en a eu le pressentiment. On peut aussi remarquer que, dans certains cas, les expressions ne se trouvent pas à leur place convenable bien que les subdivisions sémantiques soient mentionnées. On en voit un bel exemple dans cet article de J.-M. Dallet (1982) consacré à l’entrée iɣil « bras » : iɣil ; iɣallen ǁ bras, membre antérieur. ǁ Coudée, longueur de l’avant-bras, du coude au bout des doigts : sin iɣallen font à peu près un mètre. ǁ Force physique. ǁ Colline. • yekkat iɣil, il est fort, batailleur. • d bu yiɣil, il est fort, il ne se laisse pas faire ; il est travailleur. • ẓḍiɣ i iɣil mazal iyi sebɛa iɣallen, j’ai tissé une coudée, il ne m’en reste plus que sept ! (plaisant). • leḥḥu iɣil iɣil, marche en suivant les crêtes. • iɣil u ɛini, lieu-dit : plateau séparant Taoutirt de Ouaghzen (A.M.). Il apparaît de façon claire que les deux expressions yekkat iɣil Il frappe le bras Il est fort, batailleur. d bu yiɣil C’est quelqu’un qui a le bras 6 Il est fort, il ne se laisse pas faire ; il est travailleur. devraient être rattachées au champ sémantique de la force physique et non au domaine du relief (colline). Tel est le cas pour les deux exemples de l’article choisis pour mettre iɣil en situation : « uploads/s3/ 08-el-adak-4 1 .pdf
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- Publié le Mar 22, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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