Iles d Imesli, 8, pp. 139-147 Les expressions idiomatiques kabyles vues par Bel
Iles d Imesli, 8, pp. 139-147 Les expressions idiomatiques kabyles vues par Belaïd Ait-Ali Mustapha EL ADAK Univ. d’Oujda Agzul Belaɛid At-Ɛli seg yimezwura i yerran ddehn-nsen ɣer tenfaliyin. Deg yiwet n tezrawt, d tidet d tamezyant maca d talqayant, isken-d azal n tenfaliyin-agi. Yesbedd tazrawt-is ɣef tarrayt n ukenni (deg uzraw n tizumla) gar teqbaylit d tefransist di tenfaliyin yerzan tafekka n umadan (ul, tasa). Nekni ad nezrew tarrayt-agi takennayt yessexdem umaru-agi. Abstract Belaïd Aït-Ali is among the first to be interested in Kabyle idiomatic expressions in a study of modest appearance but rich in substance. It is a comparative approach to the idiomatic (symbolic) jobs of two essential terms referring to the parts of the body: ul "heart" and tasa "liver". We will study the originality of the contrastive approach to expressions relating to the human body. Introduction Il est connu que les idiomes ou expressions idiomatiques ont été pendant longtemps mises à l’écart par la grammaire traditionnelle et ensuite par les approches du langage résultant de la linguistique moderne. Contrairement aux mots simples fixes dans leur forme signifiante et organisés en parties de discours, ces unités codées de la langue posent des difficultés quant à l’étude de leur construction syntaxique et de leur sens souvent non conforme au principe de la compositionalité. La conception de la grammaire traditionnelle à leur égard s’est maintenue même pendant la période post-saussurienne. Or, au cours des dernières décennies, force est de constater qu’elles ont connu un net regain d’intérêt et deviennent une curiosité autant dans le domaine de la linguistique que dans l’ensemble des sciences humaines et sociales. La place qui leur est accordée, à travers les nombreux colloques internationaux et les publications incessantes, a permis de les élever au rang de domaine à part entière dans le champ des sciences du langage. En effet leur réhabilitation est due essentiellement à la linguistique du corpus qui, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, a mis en évidence leur caractère omniprésent dans toutes sortes de productions discursives. L’analyse minutieuse des données linguistiques provenant d’une Mustapha El Adak variété de sources révèle que la majorité des textes présente moins de mots libres que de constructions figées. Ce qui revient à dire que ces constructions ne sont pas à la périphérie de la langue, mais au contraire elles font partie intégrante de son système. Etant reconnues comme telles, elles ont fini par bénéficier des mêmes descriptions appliquées aux autres unités du lexique. Dans le domaine amazigh, Belaïd Ait-Ali est sans doute le premier à s’être intéressé aux expressions idiomatiques1 kabyles dans une étude d’apparence modeste mais riche en substance. Il s’agit d’une approche comparative des emplois idiomatiques (symboliques) de deux termes essentiels référant aux parties du corps : ul « cœur » et tasa « foie ». Le but étant de mettre en évidence les points communs et les différences caractérisant leur symbolique. De même, les valeurs des deux termes dans les expressions qu’ils composent sont confrontées avec leurs correspondants en français (langue de l’écrit) dans une perspective de comparaison inter- idiomatique. Bien entendu, l’objectif de ce rapprochement étant de montrer que les expressions visées, tout en constituant un patrimoine linguistique et culturel traduisant des valeurs et des expériences humaines propres au kabyle, elles permettent de se rendre compte des réalisations ontologiques propres à d’autres univers socioculturels. Les idiomes : quel intérêt pour la maîtrise de l’amazigh ? En centrant sa réflexion sur un sujet inexploré, Belaïd Ait-Ali met en lumière l’importance de l’abstraction dans l’usage de la langue. Rappelons, à ce propos, que le champ lexical du corps humain contribue de façon notoire à l’enrichissement du fonds idiomatique kabyle et largement amazigh. H. Genevois n’a pas manqué d’en souligner l’importance : « Les expressions, dictons ou proverbes, forgés et utilisés à partir de termes désignant les différentes parties du corps humain, abondent en kabyle. Les ignorer et prétendre parler correctement cette langue serait vouloir cacher le soleil avec un tamis » (1963 : 3). On comprend qu’à l’instar des unités simples, l’ensemble des expressions consacrées par l’usage est considéré comme étant indispensable à la maîtrise parfaite de la langue. Chez les kabyles comme dans toutes les cultures humaines, c’est d’abord à travers son corps que l’homme construit son rapport au monde et à ses semblables. De fait, nous sommes bien au cœur du système symbolique, au cœur de la machine à produire et à manifester du sens, à construire du générique et de l’abstrait à partir de réalités concrètes que sont les différentes parties du corps. 1 Cf. « Expressions de la vie : commentaire des expressions kabyles », Etudes et documents berbères, 2, 1987, pp. 142-150. L’article est rédigé en 1949. Les expressions idiomatiques kabyles vues par Belaïd Ait-Ali 141 A cet égard, se pose d’abord la question de savoir en quoi consisteraient les raisons du choix d’un tel sujet. Cela tient sans doute à ce que Belaïd Aït Ali, dans sa tâche d’écrivain, menait une réflexion parallèle sur la symbolique et l’imaginaire socio-discursif caractérisant sa langue maternelle et sa deuxième langue qu’est le français. C’est dans ce jeu de va- et-vient entre les deux identités discursives propres à chaque langue - et qui étaient aussi les siennes - qu’il est parvenu à faire la lumière sur les expressions qui ont attiré son attention. C’est dire que l’homme était un parfait bilingue. Outre sa scolarisation à l’école française et son utilisation des deux langues à égalité dans les domaines de la vie quotidienne, il était confronté aux opérations de traduction et donc à la transposition d’une culture dans l’autre. L’intérêt porté par l’auteur de Lwali n udrar aux idiomes nous renvoie aussi à son initiation à l’écrit dans sa langue maternelle. On le sait, le travail sur le patrimoine oral, en vue de l’inscrire dans une autre configuration littéraire comme l’instauration d’un genre moderne ne peut se réaliser en dehors du recours aux formules discursives conventionnelles. En d’autres termes, la prose telle qu’elle est pratiquée à un moment particulier de réflexion sur les enjeux de l’écrit, et ce dans le but de tenter une fiction romanesque ou autre, ne saurait ignorer la dynamique communicative propre à l’oralité. Dans un tel contexte, il n’est pas évident d’éviter d’emprunter au langage des conversations quotidiennes où foisonnent toutes sortes d’expressions préconstruites. Précisons à cet égard que plus une œuvre tend à se distancier de l’oralité avec tout ce que celle-ci implique de spontanéité, de mémoire sociale et de stéréotypie linguistique, moins elle recourt aux automatismes qui façonnent l'usage de la langue. Ce n’est bien entendu pas le cas de l’œuvre de Belaïd Ait-Ali où ces éléments préconstruits de langage, lorsqu’ils ne sont pas énoncés sous leur forme fixée par l'usage, ils font l'objet d'une manipulation qui varie certains de leurs composants. Donc, outre le fait d’être reprises telles qu’elles sont inscrites dans la langue, les unités figées sont manipulées à travers plusieurs types de variations. Il s’agit là de jeux stylistiques portant sur la position, la substitution, le sens, la sonorité, etc., de leurs éléments constitutifs. On passe ainsi du figement au défigement qui selon G. Gross « consiste à briser le carcan qui caractérise les suites figées » (1999 : 20). Dans cette perspective, toute transgression à une forme langagière conventionnelle serait l’affirmation d’une singularité. C’est en détournant ce qui est solidement fixé par l’usage qu’on crée les plus importantes expressions, celles qui sont censées attirer l’attention du lecteur et susciter son intérêt pour l’idée exprimée. En effet dans les cahiers de Belaïd ou la Kabylie d’antan, il est question non seulement de détourner les expressions consacrées de la langue, mais aussi les récits littéraires hérités de la tradition orale. Mustapha El Adak Vers une approche composite des idiomes kabyles Notre propos n’est pas ici de nous pencher sur la place du figement linguistique dans la pratique de l’écrit chez Belaïd Aït Ali. Cet aspect de la langue dans ses deux versants conventionnel et transgressif a déjà fait l’objet de quelques études2. Nous nous limiterons à faire remarquer l’originalité de l’approche contrastive accordée aux expressions relatives au corps humain, et plus précisément à celles composées de ul « cœur » et tasa « foie ». Ainsi, à l’appui de quelques expressions comme : Ɛefseɣ ɣef_ful-iw « j’ai piétiné mon cœur » : faire quelque chose à contre cœur. Yiwen wul yin-ak akka, yiwen wul yin-ak akken nniḍen : être dans l’embarras du choix, on est amené à découvrir à travers plusieurs contextes que dans cette partie centrale du corps, il y a les sentiments, la raison, la mémoire, l’imagination et la volonté. Bien que les autres valeurs liées aux agitations convulsives (peur colère, satisfaction, etc.) ne soient pas mentionnées, on comprend que contrairement à l’usage qui en est fait en français, ul intervient dans l’expression de plusieurs facultés. Et même lorsqu’il est désigné concrètement dans une situation où il s’agit de se plaindre d’un mal de cœur, on apprend qu’un kabyle porte sa main vers le bas de son ventre et non uploads/s3/ 1481-5377-1-pb-pdf.pdf
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- Publié le Dec 08, 2022
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