ACTE D'ECOUTER Un retour aux sources permet d'inscrire l'homme à sa vraie place
ACTE D'ECOUTER Un retour aux sources permet d'inscrire l'homme à sa vraie place dans l'univers sonore, et redonne toute sa dimension au sens de l'audition. En établissant une classification et une hiérarchie des perceptions dans la reproduction sonore, il apparaît que nous ne percevons pas seulement des notes ou des sons mais surtout des sources sonores, mises en œuvre par des mouvements générateurs de sons, c'est-à-dire que nous percevons des causes et non des effets. CROIRE SES OREILLES Ce chapitre donne quelques outils simples mais assez efficaces pour prendre, ou reprendre contact intime avec l'univers sonore dans son ensemble, afin de se trouver en relation directe avec ses perceptions, totalement ouvert aux sensations, sans intervention d'un processus intellectuel conscient ou non. Il y apparaît l'importance de se libérer, de s'ouvrir aux perceptions sonores, sans interprétations ni décodage. ACTE D'ECOUTER Il m'est arrivé plusieurs fois de me trouver en difficulté pour expliquer à de nouveaux amis le sens du terme audiophile. Je crois qu'ils sont repartis avec l’idée que je suis une sorte de bricoleur passionné amateur de sonorisation, ce qui me paraît non seulement incomplet mais également réducteur ("Alors tu fais des haut-parleurs en kit ?"). C'est donc le sentiment de ne pas avoir été compris qui m'incite à exposer la philosophie de cette activité ainsi que ses fondements. Mais pourquoi me prendre la tête, mettre mon intellect à contribution au risque de compliquer les choses les plus évidentes ? Pourquoi conceptualiser, à travers un texte aride, peut-être confus, un acte aussi simple que d'écouter de la musique ? Alors qu'il me serait plus agréable de m'installer dans mon auditorium et de savourer un bon disque. Je crois que je souhaite partager les expériences profondes et les prises de conscience que cette activité m'a apportées depuis mon plus jeune âge. Pour cela je pourrais vous inviter à une séance d'écoute, ce serais peut-être plus efficace (on n'apprend rien par le discours, mais tout par l'exemple). J'ai déjà tenté l'expé- rience, et j'ai constaté que des personnes non préparées ne sont pas réceptives à ce que je souhaite leur faire découvrir, car elles n'écoutent que des sons et veulent y découvrir une nouveauté, une qualité qu'elles pensent ne pas connaître, et ne sont généralement pas prêtes à me consacrer l'après-midi entier, à entendre mes explications et à écouter des morceaux choisis. C'est pour ces raisons que je crois nécessaire de conceptualiser, par écrit, l'acte d'écouter. Globalement, mais aussi sous différents points de vue plus partiels. Je vous rassure : ces concepts intellectuels sont exposés dans un but didactique. Lorsque j'écoute du jazz, je ne conceptualise pas, et comme vous le comprendrez plus loin, l'écoute est pour moi plus une libération de l'esprit qu'une activité intellectuelle. Je vois d'ici un mélomane qui hausse les sourcils : "Pas intellectuelle ???". Et bien non ! Et ce n'est pas parce que je suis un audiophile... Un dictionnaire défini l'audiophile comme "amateur d'électro-acoustique". Quelle ineptie ! Un ébéniste est-il "amateur de rabotage" ? Je préfère une autre définition : amateur de perceptions auditives, intéressé par les sensations qu'elles produisent, à la recherche des émotions qu'elles induisent. ON NE S'ENTEND PLUS Comment se fait-il que le mélomane et l'audiophile soient si rarement d'accord ? Surtout lorsque tous deux existent dans un même individu... Car on peut être les deux, mais à priori difficilement au même instant. Ce sera plutôt une sorte d'alternance entre deux modes de pensée, deux sensibilités, deux réceptivités différentes. Lorsque les champs de perception de ces deux spécialistes ne se recouvrent pas, au moins en partie, chacun d'eux reste sur ses positions, étranger aux arguments adverses. Il m'est arrivé de lire, sur un site Internet que je ne citerai pas, un jugement du mélomane sur l'audiophile : "L'audiophile est quelqu'un qui n'a pas compris à quoi servait un système haute-fidélité, et pour qui la musique n'est qu'un prétexte pour vérifier que son matériel fonctionne...". Je pourrais facilement établir un jugement aussi élogieux dans le sens opposé, mais je m'en garderai bien, étant moi-même à la fois l'un et l'autre. Je trouve très difficile de cerner ce qu'un autre n'a pas compris, encore plus ce qu'il a compris à sa manière et si je ne partage ni ses motivations, ni ses arguments, je m'efforce de les respecter. La querelle ne date pas d'hier. Suffirait-il d'entendre ce que chacun souhaite expliquer de ses pratiques, de ses attentes, de sa sensibilité musicale pour faire apparaître un espace commun, lieu de compréhension et d'acceptation ? Je ne pense pas, je crois plutôt que le mélomane et l'audiophile sont chacun d'un côté d'une même montagne. Chacun contemple la vue qui s'offre à lui, et ils décriront deux paysages forts différents. Ce n'est que lorsque tout deux seront arrivés au sommet, qu'ils seront forcés de constater qu'il n'y a qu'une seule montagne, et qu'il pourront alors contempler l'ensemble du paysage, dans toute sa variété, dans toute son étendue et dans toute son unité. La musique et les sons ne font qu'un, ils sont les deux versants d'une unique montagne. Il n'existe qu'un seul et unique phénomène physique capable de produire une stimulation auditive. Notre éducation, dès l'éveil de l'enfant, nous apprend l'objet sonore, par le jeu souvent répété. Puis notre culture apporte ses codes, ses règles, ses apprentissages nécessaires au décodage. Alors le son se fait oublier derrière le message, de la même manière que je ne remarque plus la forme des lettres ou leur association lorsque je lis, car mon attention est dirigée vers le contenu codé. Pourtant, la poésie n'existe pas sans les lettres qui en forment l'écriture. Forme et contenu sont indissociables. Chaque lettre participe modestement à la beauté du texte. Si j'en trace une, toute seule, avec l'intention d'y mettre un peu de poésie, je suis sûr que vous ne trouverez pas cette lettre innocente... Les effets subjectifs de la calligraphie, mais aussi de la mise en page, c'est-à-dire plus généralement de la manière dont le texte prend corps et occupe l'espace, sont essentiels dans les impressions laissées au lecteur, au-delà du contenu sémantique. Un son seul peut contenir et résumer toute l'œuvre à venir. LE SILENCE DES SOMMETS L'audiophile débutant serait un peu comme l'enfant qui sait tout juste lire, s'attardant sur chaque lettre isolément, reconstituant une à une les syllabes, un à un les mots. Pourtant le sens de la phrase ne lui échappe pas, seul le rythme, la souplesse du texte, sa poésie, ne lui sont pas accessibles. Le mélomane est scandalisé que l'on puisse passer à côté d'un contenu si important, qui constitue pour lui la vie véritable de l'œuvre. Il n'a pas pris conscience que lui aussi est passé à côté de choses essentielles à l'expression artistique : en s'attachant au décodage du contenu, il n'a peut-être pas perçu la beauté simple de chaque mot, la rondeur ou l'élan du tracé de chaque lettre, les nuances dans l'épaisseur du trait. Toutes choses évidentes au lecteur hésitant, et qui révèlent l'auteur et son geste aussi clairement que son texte. Chacun d'eux doit admettre que sa perception est incomplète, et qu'au lieu de nier la justesse de sensation de l'autre, il serait plus enrichissant de découvrir son champ de sensibilité, puis d'apprendre à le partager, afin d'élargir son propre domaine de perception. C'est en cheminant vers le sommet de cette montagne à deux faces - sons et musique - que petit à petit, j'ai découvert un univers de plus en plus vaste. Tantôt audiophile, coupeur de décibels en quatre, armé d'appareils de mesure, essayant de gravir la face "jungle" de cette montagne (jungle des concepts scientifiques, du vocabulaire technique, des composants électroniques) tantôt mélomane, avide de culture musicale, lecteur assidu des critiques de disques, essayant de progresser sur l'autre face, rocheuse, ou aucun chemin n'est tracé. Après plus d'un quart de siècle d'ascension, je peux regarder le chemin parcouru, et observer plusieurs niveaux. Un peu comme sur une véritable montagne, où la forêt fait place aux prairies, puis aux pierriers et enfin aux glaciers quand l'altitude augmente. J'ai appelé ces couches "niveaux de densité d'écoute" car elles correspondent à des perceptions de plus en plus profondes, précises, directes, immédiates et libres, de l'expression musicale. Je crois que chacun peut accéder à ces couches successives, sans qu'il soit pour autant possible d'en sauter une, chacune étant un passage obligé pour arriver à la suivante. Il me semble aussi que le passage à un niveau d'écoute supérieur - plus profond, plus dense - ne peut être que le résultat d'une intention de la part de l'auditeur. Ce qui implique qu'il accepte des sacrifices (temps, disponibilité du local...) et qu'il se procure les moyens matériels afin de donner suite à cette intention. Mais cela demandera également une remise en cause personnelle plus ou moins profonde, une réflexion portant sur l'acte d'écouter, ses mécanismes, ses limitations, ses objectifs. Il s'ensuivra un apprentissage d'une nouvelle façon d'écouter, dans laquelle à la fois la qualité et la quantité d'éléments sonores perçus seront plus importantes. Cette pratique étant acquise, uploads/s3/ apprendre-a-ecouter.pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 28, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1267MB