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1 L’INFORMALITE : UN NOUVEAU PARADIGME DE DEVELOPPEMENT ET D’INTEGRATION « PAR LE BAS » EN AFRIQUE Résumé : Après cinq décennies d’expériences d’intégration en Afrique, les résultats sont forts mitigés. Ceux qui ont le plus intérêt à cette intégration (les acteurs du bas) ne sont pas pris en compte dans les politiques gouvernementales d’intégration. Cette situation fragilise le processus d’intégration par le haut c'est-à-dire par les règles et les institutions. Lequel trouve un compromis « par le bas » grâce à la volonté manifeste des groupes sociaux subordonnés qui sortent des cadres et structures imposés pour aspirer à un idéal d’intégration véritable : l’intégration par le bas, celle-là qui se réalise en marge des institutions grâce aux solidarités sociales et culturelles et les réseaux marchands transfrontaliers. Dans cette perspective, l’informalité devient une alternative capable d’engendrer un développement inclusif et participatif à la construction de l’Afrique. L’objectif de cet article est de nourrir la réflexion sur l’informalité comme nouveau paradigme de développement et d’intégration en Afrique. A la lumière du modèle théorique de Weber, nous nous parvenus à montrer que l’informalité constitue un vecteur de développement voire d’intégration par le bas en Afrique. Par conséquent, les Etats doivent procéder à une refondation de l’intégration en Afrique. Une refondation qui passe par l’émergence d’espaces de concertation où seront présents les groupes sociaux subordonnés pour une lecture critique des politiques en cours et la formulation de propositions. Mots clés : informalité, intégration par le haut, intégration par le bas, gouvernance, Afrique. 2 INTRODUCTION Depuis l’accession des pays africains à la souveraineté internationale, les leaders politiques n’ont pas manqué d’initier des tentatives de regroupements régionaux ou sous régionaux (Ngoma, 1990 ; Hugon et al., 2001). Ainsi, la création de l’Union africaine matérialise une volonté des chefs d’Etat africains d’avancer dans la construction d’une citoyenneté africaine. Toutefois, en dépit de l’adoption et la mise en œuvre de ces initiatives d’intégration, le bilan du processus d’intégration régional conformément au traité d’Abuja1 est fort mitigé (Mata, 2008). Ces résultats mitigés sont notamment dus à un certain nombre d’obstacles parmi lesquels le manque de volonté politique et la non application des protocoles en matière d’intégration économique (OVIDA, 2011). Ce processus d’intégration fragilisé « par le haut » c’est-à-dire par les règles et les institutions que les hautes autorités cherchent à réaliser d’en haut semble trouver un compromis « par le bas » grâce à la volonté manifeste des groupes sociaux subordonnés qui sortent des cadres et structures imposés pour aspirer à un idéal d’intégration véritable : l’intégration par le bas, celle-là qui se réalise en marge des institutions grâce aux solidarités sociales et culturelles et les réseaux marchands transfrontaliers (Egg et Herrera, 1998). Elle s’établit d’une part sur la faillite des États à faire appliquer leur dispositif réglementaire, d’autre part sur leur impuissance vis-à-vis de politiques décidées par d’autres pays. Il existe un monde en dehors des textes légaux qui mérite reconnaissance et valorisation. L’effervescence de l’activité informelle observée au sein des économies africaines et aux confins frontaliers des pays n’est-elle pas une forme d’intégration par le bas ? Constitue-t-elle une alternative capable d’engendrer un développement inclusif et participer à la construction de l’Afrique ? Le développement « par le bas » (Sanyal, 1999) est susceptible d’impulser une nouvelle dynamique capable de permettre aux populations d’amorcer l’étape de décollage économique au sens de Rostow (1962). Ce type de développement centré sur les capacités productives des populations locales en général et l’informel en particulier est capable de générer un développement durable (Friedmann, 1979 ; Théveniaut-Muller, 1999). Les paradigmes de développement par le bas épousent de facto ceux de l’intégration conçue par le bas. L’idée majeure est que l’intégration « par le haut » ne saurait trouver de remède au sous- développement s’il n’est par les peuples ou pour les peuples dans la mesure où le potentiel démographique de l’Afrique se définit plus du côté des acteurs « d’en bas ». Sinon, quel serait 1 La mise en œuvre du processus d’intégration régionale est évaluée à l’aune des 06 étapes instituées par le traité d’Abuja instituant la Communauté Economique Africaine (entré en vigueur en 1994). 3 le meilleur moyen d’unir les pays africains dans un objectif commun, si ce n’est par les peuples ? Dans ce sens, le caractère intégrateur « par le bas » du régionalisme transétatique en Afrique n’est plus aujourd’hui un mythe (Bach, 1994), mais une réalité. Comment comprendre le développement prolifique des marchés de rues, frontaliers, spontanés, partout dans les villes africaines ? Dans les pays africains, la problématique de l’informalité a acquis droit de cité au seuil du 21ème siècle. L’inefficacité des institutions publiques, la lourdeur des procédures administratives et une défiance généralisée des populations à l’égard des Etats ont encouragé le développement de l’informalité. Aujourd’hui, elle a révélé une dynamique d’expansion et de renforcement de son rayon d’action au-delà des frontières nationales. Ce qui mérite une attention particulière. Dans la littérature, un débat est ouvert sur le rôle de l’informel dans le processus d’intégration : Pour certains, l’informalité est un ferment du marché régional ; comme tel, elle constitue un facteur de développement qui doit être encouragé et inséré dans les stratégies de développement des pays, notamment de réduction de la pauvreté. D’autres y voient plutôt un phénomène en marge de la législation de l’Etat dont la soustraction à la régulation de celui-ci en fait un élément de déstructuration des Etats-nations (Nkendah et al., 2012). Cet article cherche à nourrir la réflexion sur l’informalité comme nouveau paradigme de développement et d’intégration régionale ou sous-régionale. Pour y parvenir, nous faisons recours à une grille d’analyse axée sur l’individualisme méthodologique (Boudon et Bourricaud, 1982). Il est question à la lumière du modèle théorique sociologique de Weber d’analyser des stratégies des acteurs qui agissent selon une rationalité située, déterminée par les ressources dont ils disposent et les contraintes structurelles qui caractérisent la société. Après avoir conceptualisé l’informalité, ce texte s’attèlera ensuite à confronter l’Etat africain à l’action informel avant de présenter son rôle dans le processus d’intégration. I. Concept de l’informalité : recherche de définition Depuis les travaux pionniers de Hart (1971), les centaines de monographies réalisées jusqu’alors pour mieux appréhender le concept d’informalité ont la particularité de révéler à chaque fois la complexité du phénomène. Cette complexité se situe dans la diversité des définitions liées à l’hétérogénéité des conceptions de l’informalité. On dénombre au moins 170 définitions du secteur informel dans la littérature (Tsafack Nanfosso, 2011). 4 Pluralité des termes utilisés pour qualifier l’activité échappant aux normes légales et statistiques Economie non officielle Economie non observée Economie marginale Economie non déclarée Economie périphérique Economie autonome Economie populaire Economie sous-marine Economie parallèle Economie irrégulière Economie alternative Economie non enregistrée Economie non structurée Economie de l’ombre Economie souterraine Economie clandestine Economie secondaire Economie dissimulée Economie submergée Economie informelle Economie invisible Economie duale Economie noire Economie illégale Economie occulte Economie grise Economie cachée Sources : Llena (2003) P.17 Les difficultés à trouver un consensus sur la conceptualisation de l’économie informelle sont en partie liées aux différentes opinions des chercheurs quant aux origines et causes de l’informalité (Bacchetta et al., 2009 ; 2012). Depuis son introduction au début des années 1970, le concept d’informalité a donné naissance à d’intenses débats. Les opinions divergent non seulement sur les causes et la nature du secteur informel, mais aussi sur ses liens avec le secteur formel. Jusqu’au milieu des années 1990, ces opinions divergentes pouvaient facilement être classées en trois grandes écoles de pensée : l’école dualiste, l’école structuraliste et l’école légaliste (Chen, 2005 ; Cimoli et al., 2005). L’approche dualiste s’inscrit dans le prolongement des travaux de Lewis (1954) et de Harris- Todaro (1970) ; cette approche est basée sur un modèle de marché du travail dual, où le secteur informel est considéré comme une composante résiduelle de ce marché n’entretenant pas de lien avec l’économie formelle ; c’est une économie de subsistance qui n’existe que parce que l’économie formelle est incapable d’offrir des emplois en nombre suffisant. Par contraste, l’école structuraliste souligne la décentralisation de la production et les liens ainsi que l’interdépendance entre les secteurs formel et informel (Moser, 1978 ; Portes et al., 1989). Les structuralistes considèrent le secteur informel comme étant formé de petites entreprises et de travailleurs non immatriculés, soumis à des grandes entreprises capitalistes. Les premiers fournissent de la main-d’œuvre bon marché et des entrées aux dernières, améliorant ainsi leur compétitivité. Selon l’école structuraliste, il est improbable que la croissance élimine les relations informelles de production, car celles-ci sont intrinsèquement associées au développement capitaliste. Ainsi, les entreprises modernes réagissent à la mondialisation en mettant en place des systèmes de production plus flexibles et en sous- 5 traitant, ce qui leur permet de réduire leurs coûts. Ces réseaux de production mondiale engendrent une demande de flexibilité que l’économie informelle est la seule à pouvoir fournir, selon cette école. Enfin, l’école légaliste ou orthodoxe, prônée par Hernando de Soto dans les années 1980 et 1990, considère le secteur informel comme étant fait de micro-entrepreneurs qui préfèrent fonctionner uploads/s3/ articl-informailte-integration-regionale.pdf

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