Chaïnis D. Apostolakis (représentant spontané et arbitraire des artistes Grecs)

Chaïnis D. Apostolakis (représentant spontané et arbitraire des artistes Grecs). Réponse (- avis – appel) à M. José Manuel Lamarque, à l’occasion de son article intitulé « La Grèce sans voix ». En tout premier lieu, M. Lamarque, le problème qui émerge en un lieu, n’est pas un problème local. C’est un problème qui concerne le tout et qui se manifeste en ce lieu précis, les conditions sociopolitiques lui étant favorables. Le déficit politique du lieu est le déficit politique-moral- esthétique du tout. Je m’efforcerai, en quelques mots et en bref, d’étayer mon avis, partant de quelques remarques dont certaines sont peut-être entendues pour la première fois. 1ère remarque Un phénomène mondial inédit (d’ailleurs, il n’existe pas d’évolution historique linéaire) se produit, à l’ère postkeynésienne : la morale qui, liée à l’éthos-réponse à la question existentielle, caractérisait les individus, les familles, les corporations, organisations, ethnies, nations, les états, est déplacée sur des individus non historiques : les marchés. Les entreprises changent de nom, de forme, sont transférées, fusionnées, revendues, sans laisser de trace historique et sans assumer la responsabilité historique de leurs activités. 2e remarque Pour la première fois, dans le monde occidental, l’on note depuis quelques décennies la disparition des « rituels ». Ce fait conduit fatalement à la perte de la conscience d’existence sociale autonome, ce qui implique la mort du « tragique » qui, à son tour, implique (ce que votre compatriote Jean Baudrillard appellerait) la perte du « destin » avec l’émergence d’une individualité morbide qui s’effondre sous le poids du contrôle et de la responsabilité de son être fantasmatique. La déification de la certitude et de la sécurité et la transformation du risque – mère du tragique- en épouvantail, minent toute tentative de contestation (fondement de la culture européenne, depuis Eschyle jusqu’à Descartes). Et, c’est ici que nous nous trouvons face au maudit microbe du petit-bourgeoisisme. 3e remarque Telle la peste, le petit-bourgeoisisme a été transmis jusqu’au plus petit des villages. Il en a résulté (outre l’aliénation par rapport à la nature) la mort de l’excès et la canalisation de ce dernier au paroxysme. Toutefois, ce qu’il y a de pire c’est la disparition du caractère essentiel (flambeau de la culture européenne) du dipôle « amour-révolution » (ce que vos compatriotes, Jean-Luc Godard, François Truffaut et d’autres ont montré de manière on ne peut plus dramatique). Dans le milieu petit-bourgeois, l’individu ne peut tomber amoureux, c'est-à-dire, oser entreprendre sa mission naturelle, l’expérience biologique-créatrice de dieu associée à la proclamation joyeuse, triomphale, vécue du changement et de son altérité. Par conséquent, ses rébellions (absence de l’autre = foule), ne porteront pas la joie du changement, mais la marque de la haine et de la vengeance contre le différent ou le privilégié. 4e remarque La moral de la peur apparaît sous la forme de la réaction, de l’agression et de la violence. C’est la morale de la grève, de la mendicité, de la revendication médiocre des esclaves envers les employeurs auxquels ils demandent de redevenir de bons patrons. Le mauvais patron est transformé, en un coup de baguette magique, en bon patron grâce à une augmentation de salaire de l’ordre de 100$, pour les esclaves contemporains (à propos, du point de vue statistique, les Grecs sont constamment lésés et professionnels-victimes –ce qui est un vestige de la soumission ottomane). À l’opposé de la morale de la peur, se trouve la morale de la curiosité sacrée. Elle se manifeste non pas en tant que réaction mais en tant qu’action. La différence déterminante entre action et réaction est que la première part de ce qui nous plaît tandis que la seconde est court-circuitée dans ce qui ne nous plaît pas. L’action peut emprunter une variété infinie de sentiers tandis que la réaction ne dispose que d’une seule voie : celle de la transaction insipide avec le « laid » ciblé. (Ne me méprenez pas, je n’attaque pas les grévistes. C’est ce qu’ils ont appris, dans une condition sociale qui ne garantit pas a priori à tous les membres de la communauté nourriture, logis, santé, instruction, les biens dont l’absence constitue la source de toute phobie sociale. La responsabilité incombe plus sur le compte de ceux qui détiennent le capital culturel et social, à savoir ceux qui ont la possibilité de s’adresser à des groupes d’individus, c'est-à-dire, les politiques, les intellectuels et les artistes). Pouvoir Les individus qui gèrent les biens de la communauté –locale ou universelle – devraient avoir pour premier devoir non pas celui d’administrer, de partager ou d’imposer la fausse paix sociale, mais celui de redonner un sens à l’âme humaine, inspirant et diffusant le capital culturel dont ils disposent. Le virus du pouvoir, cependant, n’agit pas de manière pyramidale. Il s’agit d’un réseau horizontal, de la toile invisible d’une araignée sociale vénéneuse, d’une imitation quotidienne – à l’école, dans la famille, au travail, avec les copains – d’archétypes pervers liés au pouvoir. Pensez, par exemple, que ce qui est correct sur le plan moral est exprimé dans notre code linguistique (lié au pouvoir) par le terme « devoir », c'est-à-dire, par l’affirmation de la soumission du débiteur à son créancier (NdT : un des termes de la langue grecque pour désigner le « devoir » est en effet synonyme de « crédit »). Europe (en bref) L’Europe n’est pas arrivée à inspirer ses peuples ni à comprendre et à respecter leurs traits particuliers. Sa responsabilité historique réside en l’établissement d’un pont entre son expérience sanglante et la recherche de l’être, et les cultures irrationnelles de l’Orient et le nouveau-né politiquement immature et dangereux (d’à peine 300 ans) d’Amérique du Nord. Au lieu de remplir cette mission, l’Europe se laisse mener par les volontés des rapaces spéculateurs. Je vous rappellerais, M. Lamarque, que cette année-ci, votre ministre de l’agriculture a annoncé, très triste, la mort imposée à votre agriculture traditionnelle par la société multinationale Monsanto. Est-ce que cela ne rappelle pas les fameuses « mesures pour le développement » adoptées en Grèce et qui ne réussissent qu’une seule chose : détruire ce qui reste des richesses naturelles du pays ? La montée du nationalisme et la xénophobie sont les effets de l’invasion du modèle puritain (étranger au siècle des lumières européen) des gens de l’Ouest. N’oubliez pas, M. Lamarque, que le pogrom lancé par votre gouvernement contre les Roms ressemble beaucoup aux agressions racistes et aux camps de concentration des immigrés, en Grèce. Grèce (en bref) La Grèce est le fruit de la folie de la création des états « nationaux » des 150 – 200 dernières années. Depuis sa naissance, elle vivait non pas tellement de sa richesse nationale mais de sa richesse d’emprunt, dont la majeure partie aboutissait dans les poches des rapaces domestiques. Les guerres nationales, balkaniques, mondiales, civiles, les dictatures successives, ont contribué à ce que le pays n’ait pas encore atteint le stade de l’état bourgeois où le droit est bien respecté (au sens occidental). Plus de la moitié de la population vit à Athènes (quelle hydrocéphalie…) et la campagne s’est fanée en envoyant ses enfants aux marchés aux esclaves du petit-bourgeoisisme de la capitale. Ceux qui restent se réfugient dans la délinquance, l’alcoolisme et le suicide (Athènes et la Crète sont en tête de classement, concernant le dernier). Derrière tous ces phénomènes de décomposition se trouve l’absence de vision-point de départ d’un mouvement collectif. La culture était et demeure le grand avantage de la Grèce, son industrie lourde. Cela est dû à sa situation géographique. N’oubliez pas que c’est le seul lieu situé entre trois continents (Asie, Europe, Afrique) et les cultures fleurissent là où se rencontrent des gens nombreux et différents. Ce grand avantage (de l’histoire séculaire) combiné à la beauté naturelle et au climat doux du pays, a détérioré en désavantage. Logiquement, ce petit pays à la grande histoire, avec son soleil, ses montagnes et ses mers, devait être la Suisse de l’esprit, une grande zone décommercialisée, pleine d’écoles d’études grecques, arabes, de mathématiques, d’astronomie, d’ethnologie, de musicologie, de beaux arts, etc. Au contraire, est-il devenu la baignoire et le logis de touristes domestiques et étrangers (saouls, pour leur majorité) qui reproduisent leur misère petite- bourgeoise dans sa forme la plus dangereuse : celle des vacances. Il n’existe pas de phénomène où l’abus, la pauvreté, le refus de voir la réalité et le déni de l’existence soient plus marqués que dans celui de l’homme qui va en vacances. C’est l’homme qui s’évade (selon l’expression préférée des médias), contribuant tacitement à son emprisonnement spatial et temporel quotidien. C’est l’être social (qui a, provisoirement, osé-je espérer- perdu son chemin ou dont la communauté n’a pas trouvé sa vocation particulière) qui évite le conflit avec les structures vieillies sous l’effet de la drogue des vacances et de l’écran, qui n’agit pas mais qui réagit de manière convulsive (p.ex., même le mouvement des indignés a montré sa nudité, à l’arrivée de l’été et des vacances – à tout le moins, quelques-uns ont pu faire connaissance). Ce qui importe ce n’est pas où l’on uploads/s3/ dimitris-apostolakis-fr.pdf

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