136 137 epuis la fin du XIX° et début du XX° siècle, la notion d´avant-gardiste

136 137 epuis la fin du XIX° et début du XX° siècle, la notion d´avant-gardiste impulsa le culte de l´originalité artistique, comprise comme une propriété présente dans ces œuvres qui sont produites à partir d´une référence préalable déconstruisant celle-ci jusqu´à obtenir une proposition rénovée, en apparence sans précédents et allant au-delà de la tradition. Selon ce discourt, l´œuvre originale surgit avec un supposé état de pureté sans s´être dérivée de quelque chose qui existait déjà. A partir de ce moment, les processus de reconnaissance artistique à l´intérieur du marché et du monde formel de l´art commencèrent à être dominés par un régime de valeurs qui privilégia l´innovation sur la tradition. Sous ce régime de valeur, les artistes étaient reconnus et valorisés pour leur supposée anormalité et exceptionnalité et non plus pour leur capacité à suivre une tradition artistique2. Malgré tout, en plus d´être une notion inventée à partir de la domination masculine dans le monde de l´art, cela ayant marginalisé les créatrices féminines, ce discours sur l´originalité avant-gardiste fut imposé dans la périphérie à partir du centre. Les artistes non-occidentaux furent condamnés à être des imitateurs tardifs des mouvements européens avant-gardistes. C´est le mouvement féministe qui fut le premier à mettre en question ce régime. Par la suite, avec l´arrivée des politiques multiculturelles et l´intense circulation et reproduction d´images, facilitée par la technologie digitale, les notions d´originalité, d´avant-garde et d´authenticité sont entrées en crise. Aujourd´hui, bien qu´il est vrai qu´une œuvre déterminée puisse posséder un style personnel identifiable, nous savons également que toutes les productions culturelles ont des précédents visuels et conceptuels : tous les artistes produisent à partir d´une position politique et un espace-temps spécifique, ceci découlant d´une histoire sociale et personnelle, ainsi qu´à partir d´une grande diversité d´expériences et mondes culturels. Au moment où une œuvre est mise en circulation, elle acquière une propre vie. Dans le monde du spectacle, ceci permet de donner aux œuvres la capacité de générer des milliers de sens et significations. Sanctuaires et l’art figuratif et abstrait de Cristian Pineda: Entrels tradition et l’expérimentation Víctor M. Espinosa 1 1. Víctor M. Espinosa est docteur en sociologie à la Northwestern University. Il travaille le thème de l´art et la migration et est spécialiste dans l´art et la vie de Martín Ramírez, un artiste autodidacte et migrant qui produisit toute son oeuvre à l´intérieur d´un hôpital spychiatrique en Californie dans les années 1950. Actuellement il travaille ensemble avec Ana E. Puga, professeure à The Ohio State University, à un projet sur le performance et la représentation de la souffrance et de la migration. 2. Pour un discours sur le mythe de l´originalité à partir du modernisme et de l´avant garde se référer à Rosalind E. Krauss. La originalidad de la vanguardia y otros mitos modernos. Madrid: Alianza Editorial, 1996. 138 139 Néanmoins, quand une œuvre est décontextualisée par les discours et pratiques dominantes de l´exposition, les interprétations élaborées à partir d´une vision purement formaliste résultent pauvres et limitées, ignorant le contexte dans lequel l´œuvre fut produite, l´intention originale ou le lien émotif avec son producteur ou le monde social qui lui donne toute la valeur à l´œuvre. Aujourd´hui, l´artiste se confronte à un paysage artistique fragmenté, dans lequel il n´y a pas une tendance, un courant ou un style dominant. Toute fois, le monde de l´art continue à être dominé par un régime de valeurs qui favorise la singularité et qui s´étend jusqu´aux espaces marginaux de la production artistique. Ceci signifie que même s´il y a une libération du mythe de l´originalité avant-gardiste, tous les artistes sont forcés, consciemment ou inconsciemment, de travailler sous une pression constante qui les oblige à expérimenter formellement jusqu´ à construire un style personnel ou un langage visuel propre. Au moment où l´on atteint et reconnaît cette singularité artistique, le langage visuel se converti en une marque d´identité du créateur et lui permet d´être reconnu immédiatement. Pour l´artiste, le processus créatif continue à être une recherche incessante, une production et construction allant jusqu´à la rencontre d´un langage visuel propre, d´une formalité visuelle qui lui donne une cohérence dans son travail de communication et de connexion émotionnelle avec l´autre, avec nous, avec le spectateur. En d´autres mots, le succès d´un langage visuel se manifeste au travers de la production d´une structure formelle externe permettant à l´artiste de se reconnaitre en soi-même. Au spectateur cela lui permet d´apprécier l´œuvre et de lui octroyer un sens à partir de ses propres émotions et à partir de son propre univers d´expériences personnelles. Il existe des milliers de manières de construire un langage propre et de trouver une structure formelle qui offre une cohérence visuelle à l´œuvre d´art. Or, les résultats ayant rencontré un succès semblent toujours être le résultat d´une combinaison d´expériences personnelles qui répond à un contexte social, culturel et artistique et qui s´alimente d´une immense variété de concepts et d´images visuelles qui ne proviennent pas uniquement du champs artistique. Aujourd´hui, l´artiste produit au sein d´un monde saturé d´images où au moment de s´approprier ces images, il ne fait pas de différence entre les images cultes et les images populaires. Dans le cas de Cristian Pineda, l´artiste a construit un langage et une structure formelle très personnelle au travers de l´incorporation de deux paires d´éléments en apparence contradictoires : un équilibre entre la tradition et l´innovation ainsi qu´une intégration réussie entre le figuratif et l´abstrait. En somme, une synthèse vers laquelle de nombreux artistes aspirent de nos jours. Son œuvre Sanctuaires est un échantillon de tout celà. En termes formels, le langage visuel atteint dans Sanctuaires se caractérise par la centralité des lignes dans le processus créatif et la composition finale de l´œuvre. Pineda utilise le fusain pour tracer des éléments sur des fonds de peinture à eau. Suite à l´application de divers « layers » ou couches de peinture, il manipule de manière spontanée les lignes afin de définir ce qu´il appelle les personnages centraux de chaque travail. Pour le spectateur, certains de ces personnages sont facilement identifiables, alors que d´autres sont impossible à définir, et ce même pour l´artiste. La liste de ces personnages non identifiables inclut des figures humaines des deux ou d´aucun sexe, des fragments du corps humain comme par exemple des visages, des muscles, des squelettes, des crânes ; des animaux et créatures réels et mystiques ; des éléments naturels tel que des arbres, des racines, des troncs, des branches, des feuilles, de l´eau, de l´air, le ciel et la terre. Certains des éléments les moins identifiables représentent des villes imaginaires, des maisons et des figures organiques sans sens apparent, mais ouvertes à l´imagination du spectateur. De plus, il y a des formes qui ont surgies de manière spontanée et qui furent réhabilitées par l´artiste comme par exemple les coulées de peinture qui après avoir été redéfinies par des tracés de fusain, sont ensuite transformées lors du passage d´une œuvre à une autre, dans des structure de poissons, de branches ou de racines. La maîtrise des espaces remplis de couleurs brillantes et de patrons qui suivent des rythmes supposés respectifs, ainsi que la présence de toutes ces figures organiques hallucinantes, humaines et non humaines, organiques et non organiques, en mouvement constant, qui surgissent de la mutation, de la transformation ou de la métamorphose, est ce qui donne à son œuvre une dimension tant figurative qu´abstraite. Le premier élément, à savoir le figuratif, semble avoir surgi d´une manière intuitive, alors que le second élément, l´abstrait, a surgi au travers d´accidents, de surprises et de découvertes formelles. Cette intégration réussie entre l´abstrait et le figuratif est la base qui soutient la structure formelle de son œuvre et offre une cohérence et une dimension transversale qui unifie toutes les parties sans imposer ni hiérarchie ni dissolution et ce dans une totalité confuse et vide de sens. Dans l´œuvre de Pineda, chaque personnage, objet, zone et espace de couleur semble être tout à fait à sa place. Dans Sanctuaires, rien ne se trouve hors lieu car il n´y a pas de hiérarchie interne entre les éléments qui intègrent ses compositions. Il est important de mentionner qu´à première vue, l´œil du spectateur, 140 141 spécialiste ou non, cherche à tout moment des connexions faciles entre l´œuvre aperçue pour la première fois et d´autres œuvres connues, et ce dans le but de donner un sens à ce qu´il voit. A partir d´un point de vue très superficiel, il est par exemple facile de faire des connexions entre le village d´origine de Pineda, Juchitán, et l´ombre de Francisco Toledo en observant la présence et la métamorphose de figures humaines et animales dans ses œuvres, ainsi qu´avec Rufino Tamayo en référence à l´abstraction, ou encore avec l´art populaire d´Oaxaca et l´intensité des couleurs qu´il utilise. Malgré tout, en terme formel, l´œuvre de Pineda possède une similitude majeure et accidentelle avec l´œuvre de Jackson Pollock, non pas celle que tout le monde connaît et qui succomba aux jugements avant-gardistes du critique d´art Clement Greenberg, mais bien avec son œuvre datant de l´étape de transition de Pollock, quand uploads/s3/ espinosa-2015-santuaires-et-l-x27-art-figuratif-et-abstrait-de-cristian-pineda-entrels-tradition-et-l-x27-experimentation.pdf

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