L’histoire de l’art et l’institutionnalisation en Turquie La peinture turque au

L’histoire de l’art et l’institutionnalisation en Turquie La peinture turque au 19ème et au début 20ème siècle En Turquie le passage de la tradition de la miniature à la pratique occidentale de la peinture à l’huile est assimilable à une révolution. Les notions comme la perspective, le sens de l’espace, les valeurs nouvelles pour la tradition de la peinture orientale, étaient les moyens de cette évolution, déterminée, radicale. Ainsi, une caractéristique majeure de la tradition occidentale est la diversité des manières, d’un artiste à l’autre, due à l’interprétation de chacun. Cette liberté, ces nuances individuelles sont favorisées dans la peinture occidentale où même les formes d’approche les plus objectives de la nature et de l’homme n’entravent pas la manifestation d’un style personnel. Une telle faculté d’expression de soi est reconnue depuis près de cinq siècles dans cette tradition. En revanche dans la peinture islamique, où se répétaient les stéréotypes traditionnels, tout se passait comme s’il n’y avait pas de style personnel, pas de fixation possible d’une vision, d’impressions individuelles, bref expression dramatique. Sans doute la raison essentielle en vient-elle de l’impossibilité, mieux, de la défense d’une représentation concrète de Dieu dans le système de pensée islamique. La figure divine se trouve exclue de la peinture et de la sculpture. Pour la pensée islamique, Dieu est unique, présent en tout temps et en tout lieu. Il ne peut recevoir de forme. On ne saurait le représenter, l’imaginer ou pouvoir dire qu’on le connaisse sans posséder la science de l’univers entier, ce qui dépasse la mesure de l’homme. Cet interdit jeté sur la représentation de Dieu était destiné en réalité à la prévention de l’idolâtrie. Pourtant les Traditions du Prophète, les Hadis, qui interdisaient l’image divine, ont comme résultat de restreindre le champ artistique, la pratique de l’art de la peinture. Cet interdit inhérent au système de la pensée islamique en est un des principes avérés. Néanmoins il est d’autant plus remarquable que, développée et stylisée dans ces conditions, l’illustration du manuscrit ottoman, c’est à dire la miniature, se voue à la représentation humaine. Façonné par la structure guerrière et pragmatique de l’Empire, elle s’est épanouie dans cette représentation. D’après R. Ettinghausen1, il était inévitable que la miniature ottomane, qui, pour saisir la réalité historique, se risquait à une facture dépouillée et documentaire subit cette évolution. Car cette pratique ne s’inspirait pas des héros imaginaires, des beautés de la nature, des histoires d’amour, mais de la chronique quotidienne, des activités des souverains, des exploits d’une grande armée toujours en campagne. Issue des ateliers de la cour, cette peinture traditionnelle était à tous égards un art officiel. Depuis la création de l’Etat, les influences de la culture européenne s’exerçaient sur la société ottomane. Durant les phases d’extension et d’expansion, ces influences se font, grâce au commerce et aux guerres, la forme d’un échange réciproque. La greffe d’éléments isolés spécifiquement européens sur la société ottomane commence à être effective au 18ème siècle. Même si un rôle préparatoire est dévolu à cette greffe, dont les turcs ont conscience, dans le changement de l’altitude conservatrice de l’Empire envers l’Europe, la cause véritable en est, à la fin du 18ème siècle, avec le changement du système agraire, l’éclatement de la structure de la société ottomane. A l’époque « des Tulipes » (1718-1730) les barrières sprituelles entre l’Empire n’étaient plus aussi solides qu’auparavant. Les œuvres d’art et les produits européens ont commencé à entrer dans le pays. A la cour, un modèle européen est apparu surtout dans les vêtements, les accessoires, les parures féminines. Les nouvelles relations culturelles mentionnées ci-dessus rendaient inévitables l’apparition de changements dans l’art pictural ottoman, dus à l’éclosion d’une sensibilité influencée par l’Europe. Les travaux des peintres européens qui 1 Turani A., Renda G., Erol T., Onsezgin K. et Aslier M., L’histoire de la peinture turque, Palasar S.A., Genève, Suisse, 1998 -Richard Ettinghausen, préface à Turquie, Miniatures Anciennes – Paris ; Unesco, 1961 séjournaient longuement à Istanbul exerçaient sans nul doute une influence sur le goût turc ottoman. La peinture ottomane du 18ème siècle, de même que la société ottomane contemporaine, étaient le lieu d’un clivage entre l’Orient et l’Occident. Ce clivage, qui fonde la contradiction de la peinture turco-ottomane, imprimait aux 19ème et 20ème siècles l’élan de la transformation, en sorte qu’il persistait dans tous les domaines et dans toutes les institutions de la société, bien que peu à peu la tradition orientale est abandonnée. La notion européenne de l’art, qui imprégnait aussi le domaine éducatif, a commencé à se propager dans la première moitie de 19ème siècle. Malgré cela, même dans cette période nouvelle, c’est seulement dans la sphère de la cour, sous la protection des sultans passionnés d’art, et dans les écoles militaires, que la peinture pouvait prendre son essor. Cours de peinture dans les écoles militaires La plupart des peintres turcs d’une avant-garde tournée vers l’art occidental recevaient l’enseignement des écoles militaires. Sultans et dignitaires étaient convaincus qu’en tête des mesures à prendre dans l’armée pour recouvrer l’ancienne puissance de l’Empire figurait la nécessité d’instruire les officiers selon les méthodes européennes. Dans cet objectif, sous le règne de Selim III (1761-1808), l’Ecole Impériale du Génie, Muhendishane-i Berr-i Humayun fut fondée. Ensuite l’Ecole Impériale des Sciences Militaires, Mekteb-i Ulûmu Harbiye-i Sahane, a ouvert ses portes, en 1834. Les cours de peinture figuraient dans les programmes enseignés dans les deux écoles militaires, afin que les jeunes officiers exécutent à des fins militaires, des dessins techniques, des relevés topographiques, des vues en perspective. La nécessité se faisait sentir d’officiers versés dans les techniques de la cartographie, de la gravure, de la sculpture. D’ailleurs, parmi les cours dispensés aux élèves envoyés en Europe dans les années 1830 afin qu’ils puissent délivrer un tel enseignement dans ces écoles militaires, figuraient la peinture, la gravure et la sculpture. Alors que les cours de peinture n’étaient pas dispensés dans les écoles civiles, qu’en général la peinture et les peintres ne jouissaient pas d’un grand prestige dans la société, la création de cours d’une peinture réaliste dans les écoles militaires a pour résultante en Turquie, effet sans doute unique au monde, l’apparition des peintre-soldats. Enfin ce mouvement a bénéficié de l’appui que prodiguaient les sultans amateurs d’art aux jeunes officiers de talent. Darussafaka, l’Académie et les premiers peintres turcs Quelques peintres du 19ème siècle ont reçu un enseignement à l’Institution d’Instruction et d’Education nommée Darussafaka (de l’arabe dar ush-shafka : « maison de compassion ») car elle formait et préparait à des carrières civiles des orphelins nécessiteux. D’après les recherches menées ces dernières années, il s’avère que le nombre des peintres de Darussafaka dépassait les précédentes estimations. Autrement dit, il est acquis que la plupart des œuvres du 19ème siècle ont été exécutées par des artistes issus de cette école. Ainsi, fondée en 1873, bien après les deux écoles militaires, et bien avant l’Académie des Beaux-Arts. L’apparition de quelques expositions organisées par Seker Ahmet Pasha s’est achevée par une institution d’art équivalent à l’Ecole des Beaux-Arts à Paris. En 1883, Sanayi-i Nefise Mektebi-i Alisi (aujourd’hui Mimar Sinan Universitesi) a ouvert ses portes avec ses sections d’architecture, de peinture et du sculpture. Le premier directeur de cette école était Osman Hamdi Bey, peintre, directeur du musée impérial. Cet événement doit être considéré comme un tournant dans l’histoire de l’art turc qui coïncidait au passage à la deuxième monarchie grâce aux efforts des « Jeunes Turcs2 ». Qu’ils soient ou non issus du cadre militaire, les peintres turcs apparus dans la deuxième moitié du 19ème siècle ont possédé des traits communs. Les artistes 2 jeunes turcs : Les Jeunes Turcs ont été un parti politique nationaliste révolutionnaire et réformateur ottoman, officiellement connu sous le nom de Comité Union et Progrès [en turc Ittihat ve Terakki Cemiyeti], dont les chefs ont mené une rébellion contre le Sultan Abdülhamid II (renversé et exilé en 1909) comme Seker Ahmet Pasha3 (Ahmet Ali Pasha), Suleyman Seyyit4, Halil Pasha5, et Osman Hamdi Bey6 qui ont été envoyés en Europe, surtout en France, pour des études en art par l’Empereur Abdelaziz sans oublier Huseyin Zekai Pasha, bien que n’ayant pas quitté la Turquie, sont considérés comme les premiers peintres turcs7. image-1, Seker Ahmet Pasha, Orman, Fôret, huile sur toile, 140x181cm 3 Seker Ahmet Pasha, voir annexe, p.2 4 Suleyman Seyyit, voir annexe, p.3 5 Halil Pasha, voir annexe, p.4 6 Osman Hamdi Bey, voir annexe, p.1 7 Cezar M.; Sanatta Batiya Acilis ve Osman Hamdi, L’ouverture vers l’Europe et Osman Hamdi, 1971 image-2, Osman Hamdi Bey, Kablumbaga Terbiyecisi, Maitre de tortues, huile sur toile, (1906, 223x117cm) On n’a pu établir avec certitude quels ont été les premiers exemples de peintures en Turquie. On en ignore la localisation et la fortune. Jusqu’à présent, Osman Nuri Pasha, Cihangirli Mustafa, Fahri Kaptan, Ahmet Sekur, Ibrahim Pasha, Tevfik Pasha, Husnu Yusuf et Hodja Ali Riza8 figurent comme les premiers peintres turcs. En fait, une grande partie des tableaux répertoriés du 19ème siècle et figurant dans les collections publiques et privées sont des œuvres anonymes d’auteurs inconnus. Quant à ceux qui uploads/s3/ l-x27-histoire-de-l-x27-art-et-l-x27-institutionnalisation-en-turquie.pdf

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