51 Thélème (Madr., Internet). 36(1) 2021: 49-55 Thélème. Revista Complutense de
51 Thélème (Madr., Internet). 36(1) 2021: 49-55 Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses ISSNe: 1989-8193 https://dx.doi.org/10.5209/thel.70245 L’imaginaire haptique chez Georges Limbour Saadia Khabou1 Recibido: 20/06/2020 / Aceptado: 15/01/2021 Résumé. Étant imbu de la philosophie phénoménologique, Georges Limbour est sensible aux Texturologies de Jean Dubuffet, qui non seulement font apparaître « la chair du monde » en faisant valoir la « chair de la peinture », mais aussi et paradoxalement deviennent le lieu par excellence où l’imagination matérielle, telle qu’elle est définie par Bachelard, trouve sa parfaite illustration. Ce qui fait que la contemplation d’une toile de Dubuffet déclenche chez Limbour une suite d’images fantasmagoriques, attestant la puissance haptique de ces Texturologies et leur aptitude à faire advenir l’absence à travers la forte présence de la matière picturale. Mots clés : Georges Limbour, haptique, texturologie, indice, image, imaginaire. [es] La imaginación háptica en Georges Limbour Resumen. Al nutrirse de la filosofía fenomenológica, Georges Limbour es sensible a las Texturologies de Jean Dubuffet, que no sólo revelan “la carne del mundo” al enfatizar la “carne de la pintura”, sino que también y paradójicamente se convierten en el lugar por excelencia donde la imaginación material, tal como la define Bachelard, encuentra su perfecta ilustración. Esto hace que la contemplación de un cuadro de Dubuffet desencadene en Limbour una serie de imágenes espeluznantes, que atestiguan el poder háptico de estas “texturologías” y su capacidad para provocar la ausencia a través de la fuerte presencia de material pictórico. Palabras clave: Georges Limbour, háptica, “texturología”, índice, imagen, imaginario. [en] The Haptic Imagination of Georges Limbour Abstract. Being nourished by phenomenological philosophy, Georges Limbour is sensitive to Jean Dubuffet’s Texturologies, which not only reveal “the flesh of the world” by emphasizing the “flesh of painting”, but also and paradoxically become the place par excellence where the material imagination, as defined by Bachelard, finds its perfect illustration. The contemplation of a Dubuffet painting triggers in Limbour a series of eerie images, thus attesting to the haptic power of these Texturologies and their ability to bring about absence through the strong presence of pictorial material. Keywords: Georges Limbour, haptics, texturology, index, image, imaginary. Sommaire. 1. La dimension haptique de la peinture chez Jean Dubuffet. 2. L’imaginaire haptique chez Georges Limbour. 3. L’image-indice ou la surmatérialisation de l’absence Cómo citar: Khabou, S. (2021). « L’imaginaire haptique chez Georges Limbour ». Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses. Vol. 36, Núm. 1 : 49-55. 1. La dimension haptique de la peinture chez Jean Dubuffet Selon Peirce, le passage de la catégorie de l’« icône » à celle de « l’indice » et du « symbole » va de pair avec l’accentuation de la coupure entre le signe et la chose, car plus on s’éloigne de l’« icône », plus la part de l’arbitraire 1 Université de Sfax (Tunisie), saadiayahia@gmail.com ARTÍCULOS 52 Khabou, S. Thélème (Madr., Internet). 36(1) 2021: 49-55 devient grande. Mais si la définition de l’image, telle qu’elle a été élaborée par Peirce est opératoire dans le cadre de la peinture figurative, elle ne l’est pas pour la peinture informelle, qui « mobilise des codes reposant sur les lignes, les couleurs et les textures, prises indépendamment d’un quelconque renvoi mimétique » (Klinkenberg, 1996 : 379). Toutefois, celle-ci peut paradoxalement relever d’une autre catégorie de signes, à savoir celle de l’indice. Si pendant des siècles, on accordait la prééminence à la mimèsis au détriment de la dimension indicielle de la peinture, celle-ci devient au XXe siècle le lieu d’exploration des peintres. Les Texturologies de Dubuffet, en l’occurrence, corroborent le pouvoir déictique et indexical de la peinture moderne, à travers la présence des matières élémentaires – telles que le sable, le silex, les morceaux de pierres, l’ardoise…– et la puissance de la texture. En effet, ces Texturologies renouvellent la manière d’aborder le très ancien couple matière/forme et mettent en avant les propriétés de la matière au détriment de tout ce qui relève de la forme. La particularité de ces Texturologies réside dans la place privilégiée qu’elles accordent à la matière, enfin libérée de cet assujettissement réducteur à la forme. L’art devient ainsi, « le siège d’une transsubstantiation qui s’opère de manière subtile lors du passage du matériau à l’œuvre informée » (Peysson, 2014 : 23). Dans un article intitulé « Jean Dubuffet », Georges Limbour souligne ce processus, en fonction duquel se fait le passage de la matière au matériau, qui constitue le principe fondateur des Texturologies du peintre : L’exubérance colorée étant tombée (il a renoncé aux tubes de couleurs préparées qu’il achetait à Montparnasse), ce qui le passionne, c’est la matière, mais non seulement la matière picturale, la matière même des matériaux dont est composé l’univers. Inspiré, sous le sortilège de la matière, il compose alors des tableaux avec du goudron, de l’asphalte et du blanc de céruse. Ces produits sont jetés, étalés et triturés à l’aide d’instruments divers, non plus sur une toile trop fragile, mais sur des plaques de staff posées sur le sol. Avant que le matériau n’ait durci, le peintre trace, avec une pointe, une figure très générale et sommaire. Il fait encore entrer dans son laboratoire le mastic, le plâtre, les siccatifs, vernis et colles de tout genre, la chaux et le ciment, le sable et le poussier de charbon, puis des cailloux, enfin plus rarement des éclats de bouteilles et de miroir, de la ficelle effilochée, de la paille, de l’étain doré. Ces matières étaient tourmentées d’empreintes faites avec des outils divers révélant souvent des dessous, grumelées, raclées, arrachées, balafrées ou peignées à la brosse métallique (Limbour, 2013 : 852). Dubuffet détourne sa peinture de la fonction strictement visuelle et introduit une nouvelle vision de la matière, une vision véritablement haptique2. La peinture de Dubuffet témoigne d’une rencontre privilégiée entre l’artiste et la matière, d’une expérience particulière ancrée dans le monde sensible. Placée sous le signe de l’immanence, cette peinture devient le lieu où « la vision se fait geste » (Merleau-Ponty, 1964 : 42), où le mode d’être charnel du corps trouve son extension dans la texture et où la frontière entre la « chair du monde » et « la chair de la peinture » se dissipe progressivement. Paradoxalement, c’est en coupant les amarres avec la tradition figurative, qui a longtemps figé la peinture dans un « réalisme soumis », que la peinture s’approche du monde sensible et fait advenir le réel dans sa dimension la plus indicielle et la plus indexatrice, grâce à la mise en avant des matériaux3 élémentaires. L’originalité de l’expérience picturale de Dubuffet réside dans l’importance capitale qu’il accorde à la matière élémentaire. Si la peinture figurative se contentait de peindre les objets de l’extérieur, Dubuffet s’attache à expérimenter les matières dont ceux-ci se constituent et s’efforce de les animer de l’intérieur. Il pénètre au-dedans de ces matériaux en optant pour l’inscription et l’incision, deux procédés innovants permettant de révéler, à travers le geste pictural, les ressources de la matière. Étant taillées dans des matières telluriques (cailloux, pierre, goudron, asphalte, mâchefer, sable,…), les Textutologies du peintre corroborent la richesse de l’expérience sensible et attestent la forte prégnance du monde concret. Le changement du paradigme pictural, qui marque le passage de la transparence iconique à l’opacité indicielle, permet paradoxalement d’ancrer plus concrètement le fait pictural dans l’expérience immanente du monde sensible et de créer par de-là même un imaginaire haptique qui fera la singularité de l’œuvre littéraire de Georges Limbour. En effet, plus la texture est prégnante, plus elle suscite l’imagination : Textures, mais de quelles matières ? De terre, de pierre, de végétaux, d’eau ou d’étendue céleste ? Ce sont bien des textures, c’est-à-dire des agencements de cellules ou fibres, ou d’éléments qui se combinent et se répètent sans limite pour former un tissu ou une matière continue. Bien mieux : un peintre ne pourrait-il inventer une structure interne de matière, une texture que la nature n’aurait pas encore employée ? Ainsi les Texturologies de Dubuffet prennent-elles des sens très divers, réalistes ou imaginaires. Nous y trouvons au gré de notre imagination, mais ne faisant que rejoindre le vœu de l’auteur, la texture d’un sol de printemps, celle d’une eau qui coule ou d’une lumière qui se répand ; la structure de vastes rochers, et pourquoi pas aussi, puisque la peinture les matérialise, la texture de nos sentiments (Limbour, 2013 : 977 ) ? La matière cesse d’être perçue comme amorphe et atone. Elle est dotée d’ores et déjà d’une structure intime et d’un ordonnancement interne, qui lui confèrent son identité propre. La dichotomie matière/forme disparaît au profit 2 Du grec ἅπτομαι (haptomai) qui signifie « je touche ». La science haptique exprime la dimension tactile du terme grâce à son origine étymologique, celle du verbe grec « hapto » (toucher), alors que la deuxième partie du mot fait écho à la perception optique propre à l’espace de la vision. 3 Par opposition à la matière, le matériau est une « matière finalisée » qui s’inscrit dans une pratique. 53 Khabou, S. Thélème (Madr., Internet). 36(1) 2021: 49-55 d’une uploads/s3/ l-x27-imaginaire-haptique-chez-georges-limbour-theleme-revista-complutense-de-estudios-franceses 1 .pdf
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- Publié le Oct 20, 2021
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