Le dernier monte-plats (pièce courte) Clarisse Peabody Maîtresse de maison, naï
Le dernier monte-plats (pièce courte) Clarisse Peabody Maîtresse de maison, naïve amatrice d'art moderne Georges Peabody Son mari, infidèle, pragmatique Katherine Peabody Leur fille aînée, épouse désabusée du défunt Joanna Peabody Leur fille cadette, pragmatique, comme papa Rachel Summerville Maîtresse de Georges, opportuniste Alice (ou Alan) Doublecup Intendant(e), discrètement adroit(e) Perceval de Oriega (nom d'emprunt) Ecrivain de second ordre, ivrogne de premier plan Florence Westmore Amie détestée de la famille, à la vertu décourageante Camilla Westmore Sa sœur, tout aussi acerbe et impénétrable La cuisinière (même rôle que Rachel) Voix off (Pour commentaires dans les pauses explicatives) 1 Décor : Années cinquante. Grand salon avec plusieurs éclairages cosy et large baie vitrée au fond à travers laquelle on voit les cimes enneigées et « enlunées » (probablement les Rocheuses). A côté, un double vantail cache le monte-plats, qui ne se montrera qu'à la fin. Sur les côtés, des tableaux abstraits sont appendus aux murs. Les invités et les membres de la famille Peabody, en tenue de soirée, vont par grappes. De Oriega, l'écrivain enivré, écroulé sur un divan est encadré par Katherine et Joanna Peabody (près du bord de la scène, cote jardin). La première semble avoir renoncé à toute conversation avec lui ; la seconde s'accroche. Georges Peabody, en alerte, profite que sa femme Clarisse soit occupée ailleurs pour aller sur la terrasse courtiser Rachel qui ne demande pas mieux. Les sœurs Westmore, habillées un peu bizarrement, observent les toiles abstraites, dubitatives. Florence Westmore arrive de l'escalier côté cour. La maitresse de maison, Clarisse Peabody, ne remarquant rien du manège de son mari, rejoint les sœurs Westmore. SCENE 1 Clarisse Peabody — Je me demande pourquoi Georges fait tant d'histoires à propos de la L’art moderne et de sa supposée complexité. Pour moi, il n'y a aucune difficulté. Florence Westmore — Vraiment ma chérie ? Vous comprenez ces… œuvres que Kreutzfeld vous vend régulièrement ? (elle désigne les toiles empilées contre le mur) Camilla Westmore — Cette croûte intitulée, on ne sait trop pourquoi, « étude du mouvement 21 », vous comprenez ça ? Clarisse — Bien sûr. En réalité, quand l'œil est affûté tout devient simple. Voyez-vous cette tache orange dans l'angle gauche ? C'est un train, une machine à vapeur si vous voulez… Et cette traînée (les sœurs tournent un œil méprisant sur Rachel qui se dirige au même moment avec Georges vers la terrasse) c'est comme si quelqu'un avait traversé le tableau à bicyclette avant que la peinture ne sèche… C'est exactement ça ! Ne cherchez pas plus loin... Camilla — Et cette trace verte se terminant par un gros pâté, là ? Clarisse (un bref moment décontenancée puis sûre d'elle) — Un oiseau en plein vol ! Florence — Tiens donc ! Quelle sorte d'oiseau, ma chérie ? Clarisse — Une mouette, je pense. (elle l'examine de plus près). Peut-être un goéland... 2 La majordome, Alice Doublecup, fait son entrée et cherche Clarisse du regard, se dirige vers elle. Alice — Veuillez m'excuser, Madame, je dois vous avertir d'une certaine contrariété relative au dîner de ce soir... Clarisse — Oh, Alice ! Vous tombez bien ... Vous qui savez toujours tout, à votre avis, qu’est- ce que c'est que cet oiseau ? Alice — (sans regarder la toile) Un albatros, Madame. C'est certainement un albatros. Clarisse — Evidemment ! Un albatros ! (elle l'examine encore). C'est amusant, je n'avais encore jamais eu l'occasion d'observer un albatros de si près ... (Pendant ce temps, Georges et Rachel batifolent sur la terrasse, on les devine par la fenêtre) Alice — A propos du dîner, Madame… Je crains qu'il ne soit quelque peu retardé... Clarisse — Retardé ? Oh ! nous qui avons tellement faim … (elle soupire) Ne me dites pas… La cuisinière a encore bu ! (Alice attire discrètement sa maîtresse en avant-scène) Alice — Oui, Madame … Mais il n'y a pas que cela... M. Kreutzfeld est allongé sur la table de la salle à manger, à l’étage inférieur… Clarisse — Allongé sur la table ... ? Alice — Oui, de la salle à manger ; et il a un couteau dans le dos. Clarisse — Un couteau dans le dos ? .. (un temps) Mais, ce n'est pas du tout dans les façons de faire de mon gendre. Est-ce une plaisanterie ? Alice — Non, Madame. Il est mort. Clarisse (effarée) — Mort ? ... (un temps) Sans même avoir dîné ? Alice — Ni même s'être habillé pour la soirée. Pourriez-vous me donner vos instructions, Madame ? (Clarisse réfléchit intensément, on doit croire que c'est motivé par l'annonce) Clarisse — Voyons ... Voyons ... Est-ce que les plats peuvent être gardés au chaud encore quelques minutes ? Alice — Certainement, Madame. J'ai demandé à la cuisinière de le faire. Clarisse — Alors, Alice , installez un buffet et servez-nous ici. (puis, à la cantonade : ) Les amis, écoutez tous ! J'ai une idée charmante ! Au lieu d'un dîner cérémonieux, j'ai demandé à Miss Doublecup de nous installer un buffet plus intime ici, à l'étage. Ne protestez pas, je vous avais prévenus que ce petit week-end réserverait des surprises ... (les autres s'esbaudissent) 3 SCENE 2 Rachel — Vos cocktails, Misses Peabody, sont réputés pour leur côté imprévisible ! Camilla — Elle dit cocktails comme ça ... tout comme elle pourrait dire pince-fesses … Katherine — ... ou sauteries. .. (Elles gloussent. Rachel qui a entendu, leur signifie son mépris) Clarisse — Alors, mes filles chéries, êtes-vous prêtes pour le dîner ? Katherine, votre protégé se décidera-t-il à manger quelque chose de solide ce soir, ou persistera-t-il à vouloir se noyer de l'intérieur ? Katherine — J'ignore ses intentions, Mère. Je suis pour le moment dans l'impossibilité d'établir le moindre contact intellectuel avec lui. Les seuls signes qui m'en parviennent sont les gouttes de whisky dont il abreuve périodiquement mes avant-bras et mes jambes… Clarisse — J'avoue quant à moi ne pas me souvenir de tout le week-end de la moindre phrase intelligible de sa part ... C'est simple, je ne sais même pas son nom. Joanna — Il s'appelle Perceval, Maman ... Perceval de Oriega (réactions des autres) Il écrit des romans policiers. (réagissant aux moqueries camouflées) Ce ne sont pas des romans policiers ordinaires... ils ont, voyez-vous, une portée disons… sociologique, presque ... ornithologique... Perceval est à sa façon un génie. Georges (revenu) — Attends, ornithologique … Tu veux sans doute dire ... ontologique ou quelque chose du genre ? Joanna — Non, non … ornithologique ; le mot est de lui. Florence (regardant la toile, puis l'écrivain et s'adressant à Clarisse) — Mon œil a dû s'affûter, j'arrive mieux à percevoir votre albatros à présent… Tout compte fait, je le préférais en plein vol qu'affalé sur un canapé… Rachel — Et puis Perceval, pour un albatros... faut avouer… Clarisse — Bien. Tout cela est meeeerveilleux ! J'espère que notre génie va tout de même s'interrompre de boire assez longtemps pour être en mesure, une fois dans le week-end, d'admirer nos montagnes avec leur parure de neige et de glace... SCENE 3 Katherine — A propos de glace, je me demande bien où peut bien être ce qui me tient lieu de mari. Voilà un certain temps que je ne l'ai vu … (Clarisse, embarrassée, se tourne vers...) 4 Alice (qui rangeait les verres) — M. Kreutzfeld ne dînera pas avec nous ce soir. Je crois qu'il n'a pas faim. Katherine — Jacob ? Ne pas avoir faim ? Pour cela il faudrait qu'il soit mort ! Alice — A la vérité… Joanna — J'ai l'impression que Perceval s'éveille. Il a ouvert un œil. Katherine — Ça peut signifier qu'il s'éveille, effectivement, ou qu'il a une attaque (elle lui tire la paupière pour vérifier). Qu'il ouvre le second s'il veut, moi je m'en fous. C'est moi qui l'ai amené, c'est vrai, mais j'en ai soupé. Tu peux tenter ta chance, ma cocotte... Clarisse (entraînant sa fille aînée) — Ecoutez-moi, Katherine. J'aimerais de temps en temps avoir un entretien sincère avec vous, comme une mère doit en avoir avec sa fille. De mon temps, une jeune fille de bonne famille ne s'abaissait jamais à mêler ses amants aux réceptions familiales ; encore moins en présence - même théorique - de son mari. Qui plus est, je vous inviterais ma chérie à un peu plus de discernement dans le choix de vos "invités" Katherine — Quand je l'ai rencontré, il était encore sobre. Et tout de même écrivain... Clarisse — … de romans policiers … De mon temps, on ne s'abaissait jamais au-dessous d'un romancier primé, d'un pianiste de concert ou… d'un poète de haut vol… Katherine — Justement, ce sont ses longs bras d'oiseau triste qui m'ont séduite. Clarisse — Ses longs bras d'oiseau ? Tsss…(vexée) Décidément, ma fille, je ne parviendrai jamais à vous comprendre. (elle retourne vers sa toile) Camilla — La psychologie, hélas, n'est pas une science aussi exacte que la peinture abstraite. Florence — Je dois dire uploads/s3/ le-dernier-monte-plats.pdf
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- Publié le Sep 20, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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