1| Les pouvoirs de la parole Chapitre 1. L’art de la parole Question 2 : L’éloq

1| Les pouvoirs de la parole Chapitre 1. L’art de la parole Question 2 : L’éloquence peut-elle s’enseigner ? Texte 1, manuel p. 34 Gorgias Gorgias est le personnage principal du célèbre dialogue éponyme de Platon. Il était un des plus célèbres sophistes de l’Antiquité et se fit connaître à Athènes par son art oratoire et son éloquence. 1. D’après Socrate, Gorgias prétend qu’il peut faire un bon orateur de n’importe quel homme souhaitant apprendre la rhétorique. 2. Pour Socrate, Gorgias apprend à ses élèves à convaincre sur n’importe quel sujet qu’ils ne connaissent pas n’importe quel public qui n’en connaît pas davantage. 3. Pour Socrate, tandis que le médecin a un savoir sur ce dont il parle, l’orateur n’en a pas (« il convainc mieux qu’un connaisseur », l. 16-17) ; il sait seulement par quel procédé il peut convaincre. 4. Il est étonnant de penser que l’orateur puisse être plus convaincant que le médecin sur les questions de santé, dans la mesure où il n’en a aucune connaissance précise, contrairement au médecin. Mais le talent propre de l’orateur, nous rappelle ce dialogue, est de savoir convaincre n’importe quel public ignorant sur n’importe quel sujet. Or, la médecine est un corpus de connaissances précises, que peu maîtrisent, hormis les médecins, et qui n’est pas immédiatement attrayant. Si l’orateur peut réussir à être plus convaincant que le médecin sur les questions de santé, c’est justement parce que, par la rhétorique, il ajoute à son discours ce dont manque celui du médecin : un pouvoir de séduction. Pour réfléchir au pouvoir des orateurs sur les questions de santé, le professeur pourra se référer à l’affaire du Médiator, où les communicants des laboratoires Servier ont élaboré certains discours persuasifs fondés sur des adages comme « on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs » et des procédés de généralisation comme « tout médicament peut avoir des effets secondaires ». Les médecins investis pour dénoncer les effets tragiques du Médiator sur ceux qui en consommaient ont mis énormément de temps à être entendus. Texte 2, manuel p. 36 Isocrate Isocrate (436-338 av. J.-C.) était un élève de Gorgias. Professeur d’éloquence, il a écrit plusieurs discours qui servirent de modèles pour son enseignement, discours fictifs où il expose ses idées morales et politiques. Son activité se rattache à la fois à la rhétorique et, à cause de sa dimension éthique et politique, à la philosophie. 1. Isocrate évoque deux types d’orateurs : les orateurs besogneux, qui par leur travail ont compensé l’absence de don naturel, et les orateurs qui « étaient naturellement doués » (l. 4) mais n’ont pas travaillé pour cultiver ce don. 2. L’orateur idéal est une synthèse de ces qualités respectives : grâce à un don naturel, il possède l’assurance et les dispositions à briller du second type d’orateurs, mais il les cultive par son travail si bien que par la pratique il se dépasse lui-même. 3. L’école enseigne l’art de composer des discours, ce qui peut former un très bon « faiseur de discours » (l. 13) ; mais pour que celui-ci soit un bon orateur, capable de parler en présence de la foule, il faut qu’il ait en lui « l’assurance » (l. 14), la confiance en soi qui permet d’oser s’adresser à une multitude. 4. La compétence essentielle au bon orateur que la fin du texte met en avant, c’est l’assurance. Comme le dit Juliette Dross dans le texte de la p. 42, « être maître dans l’art de la dissertation ne signifie pas être un orateur » (l. 8). Isocrate partage sur l’éducation le même avis qu’elle : être éduqué à la composition du discours ne suffit pas, il faut être capable de le prononcer devant une foule, d’en faire « un discours incarné par un orateur et tourné vers un auditoire » (Juliette Dross, p. 42, l. 14-15). Texte 3, manuel p. 37 Cicéron Cicéron (106-43 av. J.-C.) était un homme d’État romain connu pour ses talents d’orateur. Son parcours politique fut semé d’embûches, mais il ne cessa jamais d’exercer une influence politique sur la République romaine. Cicéron, outre ses nombreux discours politiques et plaidoyers, a écrit un grand nombre de dialogues ou d’ouvrages philosophiques, et des traités de rhétorique. Sur l’orateur, dont nous avons ici un extrait, est l’un d’entre eux. 1. Selon Cicéron, les qualités d’un grand orateur ne relèvent pas seulement de la rhétorique : ce sont aussi des qualités morales. En effet, l’orateur doit avoir à cœur de dénoncer les crimes et les injustices, d’inciter le peuple à aller dans la bonne direction, à punir les méchants, missions que Cicéron développe dans une longue tirade épique qui va des lignes 4 à 9 ; la reprise anaphorique « un homme qui », pour désigner le bon 2| Les pouvoirs de la parole orateur, insiste sur l’ampleur de la tâche morale qui incombe à l’orateur. Pour accomplir cette mission, les qualités proprement rhétoriques doivent seulement servir d’outil : « avec sa seule éloquence » (l. 5), « par son génie » (l. 6-7), « par sa parole » (l. 10-11). 2. La subordination de l’éloquence à des finalités morales est ce qui distingue le travail de l’orateur idéal de celui des « harangueurs de métier » (l. 1) ou des « déclamateurs braillards du barreau » (l. 2). L’orateur idéal ne parle pas pour parler, mais pour défendre la cause qu’il estime juste, et cela demande, en plus de l’honnêteté, de la bravoure : « nous cherchons un homme qui (…) s’avance sans peur au milieu d’une armée ennemie » (l. 3-4). 3. Les « sources » où l’orateur doit puiser (l. 16-17) sont donc la morale et la justice. 4. Si Cicéron écrit qu’il ne peut mener les orateurs « jusqu’au but » (l. 18), qu’il ne peut que leur « indiquer la route » (l. 19), ce n’est pas (ou pas seulement) par fausse modestie. C’est parce que, selon lui, l’éloquence doit être subordonnée à des finalités morales : ainsi, indiquer le « but » (l. 18), c’est indiquer le bien, comme valeur morale, et déterminer ce qu’est le bien est un travail de bien plus grande ampleur que définir des techniques rhétoriques. Il ne fait donc qu’indiquer « la route » (l. 19), qui consiste à suivre son instinct de justice. Texte 4, manuel p. 39 Virgile Virgile (70-19 av. J.-C.) a écrit les Bucoliques, puis les Géorgiques, dont nous avons ici un extrait. Il a ensuite été l’auteur de L’Enéide, œuvre épique vite devenue très populaire. 1. Dans cette scène, Orphée descend aux Enfers et charme par ses chants les ombres qui y résident. La force de son chant va jusqu’à arrêter les Euménides et Cerbère, le chien à trois têtes qui garde l’entrée des Enfers. 2. Virgile suggère l’éloquence d’Orphée en constituant un crescendo dans l’effet de son chant : le poète énumère les ombres attirées par le chant, les accumule des lignes 9 à 14, en jouant sur la singularisation des personnes évoquées : d’abord « ombres minces », « fantômes des êtres privés de lumière » (l. 9), puis « mères, maris » (l. 12), « enfants », « jeunes filles » (l. 13). L’effet de crescendo arrive à son terme quand les créatures et divinités des Enfers elles- mêmes apparaissent touchées par le charme : « Enfin elles se figèrent, les demeures mêmes de la Mort » (l. 18), « Cerbère retint, béant, ses trois gueules » (l. 20). Son chant attire les ombres et arrête l’activité propre aux Enfers, celle de la nature comme celle des créatures qui les gouvernent. 3. L’éloquence du poète qu’est Virgile n’a rien à voir, à première vue, avec celle de l’homme politique et orateur qu’est Cicéron. Quand la prose de Cicéron est dynamique, rythmée, presque agressive par ses anaphores épiques (« un homme qui », l. 3,4,6,7,10) et ses exclamations, la poésie de Virgile est douce, elle transmet la mélancolie d’Orphée, d’abord en s’inscrivant dans le décor des « gorges du Ténare » (l. 4) où résident les ombres des morts, ensuite en dessinant des mouvements lents qui aboutissent à l’immobilisation des Enfers. Cicéron et Virgile ne cherchent pas à provoquer les mêmes émotions chez leurs lecteurs : le premier cherche à susciter l’engouement et l’adhésion au contenu de son discours, tandis que le second crée un univers propice à déclencher une émotion mélancolique, qui à la fin de l’extrait touche au sublime, avec le prodige que constitue l’arrêt des Enfers. Cependant, l’un comme l’autre ont en commun de chercher à produire un effet : le discours ne vise pas seulement à convaincre de son contenu, il doit aussi émouvoir. Cicéron et Virgile ont également pour point commun la maîtrise parfaite du rythme de leur texte, qui chaque fois est en adéquation avec la réaction qu’ils cherchent à susciter, enthousiaste d’un côté, mélancolique de l’autre. À VOUS DE JOUER ! Orphée, héros de la mythologie grecque, est enfant d’une muse, Calliope. Selon la légende, Orphée fut comblé uploads/s3/ nathan-ldphumaniteschap-1-chap-6.pdf

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