1 Organisation du travailrevue, corrigée et augmentée d’une polémique entre M.

1 Organisation du travailrevue, corrigée et augmentée d’une polémique entre M. Michel Chevalier et l’auteur, ainsi que d’un appendice indiquant ce qui pourrait être tenté dès à présent Louis Blanc Bureau de la société de l’industrie fraternelle, Cinquième édition, 1847 Exporté de Wikisource le 7 février 2021 2 Table des Matières PREMIÈRE PARTIE DEUXIÈME PARTIE. APPENDICE Introduction Chapitre I. Chapitre II. La concurrence est pour le peuple un système d’extermination Chapitre III. La concurrence est une cause de ruine pour la bourgeoisie Chapitre IV. La concurrence condamnée par l’exemple de l’Angleterre Chapitre V. La concurrence aboutit nécessairement à une guerre à mort entre la France et l’Angleterre Conclusion De quelle manière on pourrait, selon nous, organiser le travail Chapitre I. Quelle est la nature du mal ? Chapitre II. Impuissance et absurdité du remède qu’on a proposé Chapitre III. Quel est, selon nous, le moyen de remédier au mal Appendice 1 Ce qui pourrait être tenté dès à présent Appendice 2 Contrat Appendice 3 Projet de règlement 3 INTRODUCTION Juillet 1847. S’il n’y avait que des douleurs exceptionnelles et solitaires à soulager, la charité y suffirait peut-être. Mais le mal a des causes aussi générales que profondes ; et c’est par milliers qu’on les compte, ceux qui, parmi nous, sont en peine de leur vêtement, de leur nourriture et de leur gîte. Comment cela est-il possible ? Pourquoi, au sein d’une civilisation tant vantée, cet abaissement tragique et cette longue agonie de la moitié des humains ? Le problème est obscur. Il est terrible. Il a provoqué des révoltes qui ont ensanglanté la terre sans l’affranchir. Il a usé des générations de penseurs. Il a épuisé des dévouements d’une majesté toute divine. Voilà deux mille ans déjà que des nations entières s’agenouillent devant un gibet, adorant dans celui qui voulut y mourir, le Sauveur des hommes. Et pourtant, que d’esclaves encore ! Que de lépreux dans le monde moral ! Que d’infortunés dans le monde visible et sensible ! Que d’iniquités triomphantes ! Que de tyrannies savourant à leur aise les scandales de leur impunité ! Le Rédempteur est venu ; mais la Rédemption, quand viendra-t-elle ? Le découragement, toutefois, est impossible, puisque la loi du progrès est manifeste. Si la durée appartient au mal, elle appartient aussi, et bien plus encore à cette protestation de la conscience humaine qui le flétrit et le combat, protestation variée dans ses formes, immuable dans son principe, protestation immense, universelle, infatigable, invincible. Donc, la grandeur du problème ne nous doit point accabler. Seulement, il convient de l’aborder avec frayeur et modestie. Le résoudre, personne en particulier ne le pourrait ; en combinant leurs efforts, tous le peuvent. Dans l’œuvre du progrès universel, que sont, considérés l’un après l’autre, les meilleurs ouvriers ? Et néanmoins, l’ouvrage avance, la besogne du genre humain va s’accomplissant d’une manière irrésistible, et chaque homme qui étudie, travaille, même en se trompant, à l’œuvre de vérité. 4 Aussi bien, rendre son intelligence attentive aux choses dont le cœur est ému, donner à la fraternité la science pour flambeau, penser et sentir à la fois, réunir dans un même effort d’amour la vigilance de l’esprit et les puissances de l’âme, se faire dans l’avenir des peuples et dans la justice de Dieu une confiance assez courageuse pour lutter contre la permanence du mal et sa mensongère immortalité… est-il un plus digne emploi du temps et de la vie ? ORGANISATION DU TRAVAIL : Ces mots, il y a quatre ou cinq ans, expiraient dans le vide ; aujourd’hui, d’un bout de la France à l’autre, ils retentissent. « Faisons une enquête sur le sort des « travailleurs, » disait il y a quelque temps M. Ledru-Rollin dans un journal sincère et courageux, la Réforme ; et il n’en a pas fallu davantage pour faire tressaillir notre société malade. Voilà le sujet d’études trouvé. Il n’y en aura jamais d’aussi vaste, mais il n’y en eut jamais d’aussi nécessaire. Que nous opposent les ennemis du progrès ou ceux qui l’aiment d’un amour timide ? Ils disent qu’à entretenir le peuple de ses misères, avant de l’avoir investi de sa souveraineté, il y a peut-être imprudence et péril ; ils disent craindre de le confiner dans des préoccupations égoïstes, en remplaçant chez lui par un mobile matérialiste et grossier, ces grands mobiles qui se nomment la dignité humaine, l’honneur, la gloire, l’orgueil du bien, la patrie. Ainsi, le pauvre céderait à une préoccupation égoïste, en faisant connaître ce qu’il souffre et combien il souffre, non pas seulement dans lui-même, mais dans ses enfants condamnés à un labeur précoce et homicide, dans sa femme inconsolable d’une maternité trop féconde, dans son vieux père mourant sur le grabat de la charité publique ! Ainsi, elle était empreinte de matérialisme, cette admirable et lugubre devise des ouvriers de Lyon, affamés et soulevés : Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! Non, non. La vie, le travail, toute la destinée humaine tient dans ces deux mots suprêmes. Donc, en demandant que le droit de vivre par le travail soit réglé, soit garanti, on fait mieux encore que disputer des millions de malheureux à l’oppression de la force ou du hasard : on embrasse dans sa généralité la plus haute, dans sa signification la plus profonde, la cause de l’être humain ; on salue le Créateur dans son œuvre. Partout où la certitude de vivre en travaillant ne résulte pas de l’essence même des institutions sociales, l’iniquité règne. Or, celui-là ne saurait faire acte d’égoïsme qui se raidit contre l’iniquité, fût-il seul au monde à en souffrir ; car, en ce moment, il représente toutes les douleurs, tous les principes, et il porte l’humanité dans lui. Loin d’accuser des préoccupations matérialistes, l’ORGANISATION DU TRAVAIL en vue de la suppression de la misère, repose sur le spiritualisme le mieux senti. Qui l’ignore ? La misère retient l’intelligence de l’homme dans la nuit, en renfermant l’éducation dans de honteuses limites. La misère conseille incessamment le sacrifice de la dignité personnelle, et presque toujours elle le commande. La misère crée une 5 dépendance de condition à celui qui est indépendant par caractère, de sorte qu’elle cache un tourment nouveau dans une vertu, et change en fiel ce qu’on porte de générosité dans le sang. Si la misère engendre la souffrance, elle engendre aussi le crime. Si elle aboutit à l’hôpital, elle conduit aussi au bagne. Elle fait les esclaves ; elle fait la plupart des voleurs, des assassins, des prostituées. Nous voulons donc que le travail soit organisé de manière à amener la suppression de la misère, non pas seulement afin que les souffrances matérielles du peuple soient soulagées, mais aussi, mais surtout, afin que chacun soit rendu à sa propre estime ; afin que l’excès du malheur n’étouffe plus chez personne les nobles aspirations de la pensée et les jouissances d’un légitime orgueil ; afin qu’il y ait place pour tous dans le domaine de l’éducation et aux sources de l’intelligence ; afin qu’il n’y ait plus d’homme asservi, absorbé par la surveillance d’une roue qui tourne, plus d’enfant transformé pour sa famille en un supplément de salaire, plus de mère armée par l’impuissance de vivre contre le fruit de ses entrailles, plus de jeune fille réduite, pour avoir du pain, « à vendre le doux nom d’amour ! » Nous voulons que le travail soit organisé, afin que l’âme du peuple, — son âme, entendez-vous ? — ne reste pas comprimée et gâtée sous la tyrannie des choses ! Pourquoi séparer ce qu’il a plu à Dieu de rendre, dans l’être humain, si absolument inséparable ? Car enfin, la vie est double par ses manifestations, mais elle est une par son principe. Il est impossible d’attenter à l’un des deux modes de notre existence sans entamer l’autre. Quand le corps est frappé ; n’est-ce point l’âme qui gémit ? La main de ce mendiant tendue vers moi, me révèle la déchéance forcée de sa nature morale, et dans le mouvement de cet esclave qui s’agenouille, qui tremble, je découvre l’abaissement de son cœur. Comment la vie ne serait-elle pas respectable dans chacun de ses modes ? N’est-ce pas de la mystérieuse intimité de l’âme et du corps que résulte l’être humain ? Que le christianisme ait frappé la chair d’anathème, c’est vrai. Mais cet anathème ne fut qu’une réaction nécessaire contre la grossièreté des mœurs païennes. Le paganisme avait été une longue et brutale victoire de la force sur l’intelligence, des sens sur l’esprit. Le christianisme ne vint pas rétablir l’équilibre, il fit durer le combat, en déplaçant la victoire. C’est ainsi qu’après avoir adopté, avec le dogme du péché originel, de la chute des anges, du paradis et de l’enfer, l’antique théorie de la lutte de deux principes : le bien, le mal, il plaça le principe du mal dans la matière. Mais fallait-il confondre ce que le christianisme avait de relatif, de transitoire, avec ce qu’il avait de divin et d’éternel ? Fallait-il s’écrier : uploads/s3/ organisation-du-travail-1847 1 .pdf

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